Diego Maradona - La chute d’un génie au dope niveau
Diego Maradona, quelques jours après son contrôle antidopage positif,
lors d’une conférence de presse à Dallas (Texas), le 30 juin 1994.
Aboutissement d’un itinéraire chaotique, le dieu du foot argentin achève sa carrière internationale en juin 1994 par une exclusion retentissante de la Coupe du monde après l’analyse de son flacon d’urine. Un séisme à la hauteur d’une légende qnud’il ne maîtrisait plus.
30 Jul 2025 - Libération
Par GRÉGORY SCHNEIDER
Ernst Jean-Joseph, latéral haïtien, avait ouvert le ban en juin 1974. Ça lui avait valu un procès sommaire, deuxans de prison et, selon certains, de torture pour avoir «déshonoré le pays» alors dirigé par le dictateur sanguinaire Jean-Claude Duvalier et ses «tontons macoutes», miliciens qui faisaient régner la terreur. Vingt ans plus tard, c’est le plus grand footballeur de tous les temps qui aura refermé la parenthèse des joueurs convaincus de dopage en phase finale de Coupe du monde, dans un fracas infernal qui n’en finit plus de redessiner, encore aujourd’hui, les lignes de fracture de ce sport. Ce chaos racontait l’empirisme, l’extrême fragilité d’une superstar vivant sur le fil. Il disait aussi ce mélange de jusqu’au-boutisme sacrificiel et d’ego euphorisé par le jeu, la drogue, le sevrage, sa vie de jet-setter, le regard des autres et mille choses dont personne n’aura jamais idée. Ainsi que la morgue des gens de pouvoirs, qui regagnent en coulisse – et surtout en silence – ce que le jeu et les joueurs ont arraché sur la pelouse. Au coeur d’un fatras de témoignages de supputations – sans compter la charge fantasmatique qui n’aura cessé de s’entasser sur des faits qui, eux, tiennent sur une feuille A4 –, il demeure un point d’ancrage : la honte. Ce 27 juin 1994, au Babson College, près de Boston, où la sélection argentine a pris ses quartiers lors du Mondial américain, Diego Armando Maradona a honte. Le flacon FIFA 220 contenant l’urine d’«El Diez» («le Dix»), prélevée à l’issue du match remporté (2-1) deux jours plus tôt contre les Nigérians au Foxboro Stadium, a parlé : éphédrine, pseudoéphédrine, phénylpropanolamine, noréphédrine, météphédrine. Sur le moment, il est perclus de remords : «J’aurais voulu me tailler les veines.»
Sur tous les fronts
Trois jours plus tard, Maradona aura ce mot: «Ils m’ont coupé les jambes.» «C’est le moment où je l’ai vu le plus triste de toute ma vie, a raconté dans So Foot (1) le journaliste argentin Daniel Arcucci, qui était aux côtés du joueur lors des heures qui ont suivi l’annonce du contrôle antidopage positif. Il avait honte comme s’il avait trahi quelqu’un, ses proches, ses coéquipiers, son pays, sans même en avoir conscience. Il ne s’était jamais méfié des résultats magiques du traitement de Cerrini.» L’infiniment petit dans l’infiniment grand. Si Maradona n’avait eu qu’à s’occuper de lui et de son talent, il en aurait déjà porté des tonnes.
Mais en 1994, ça fait longtemps que l’Argentin navigue très au-delà de lui-même. Le sacre mondial de 1986 au Mexique lui a donné des ailes. Et une stature de leader «tiers-mondiste» qu’il porte sur tous les fronts – depuis le tout-puissant président brésilien de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), João Havelange («Qu’il me donne les adresses des stades qu’il prétend construire avec les bénéfices de la Fifa, j’irais voir»), jusqu’aux dirigeants de la Fédération italienne ou de son club du SCC Napoli, en passant par la CIA ou un président argentin, Carlos Menem, dont il aura un temps servi les desseins politiques.
Quatre ans plus tôt, lors de la Coupe du monde italienne de 1990, l’hostilité envers l’attaquant et sa sélection avait commencé à déborder sur le terrain, violant le sanctuaire où Maradona se pensait intouchable. Venu rendre visite à la star dans l’hôtel de la sélection, son frère s’est retrouvé en garde à vue, et l’Albiceleste argentine a systématiquement été programmée à 15 heures par 35°C à l’ombre, avant d’être démolie par un penalty de farceur (0-1) en finale contre les Allemands.
Un an plus tard, Maradona est contrôlé positif à la cocaïne à Naples, seul à écoper alors qu’elle irriguait toute l’équipe: quinze mois de suspension et quatorze mois de prison avec sursis, au terme d’une procédure parsemée de vices de forme (flacon d’échantillon ouvert, anonymat violé, etc.). «Je suis un drogué notoire, avançait-il deux ans plus tôt, dans l’euphorie d’une finale de Coupe de l’UEFA remportée (2-1, 3-2) au détriment du VFB Stuttgart. Mais on est en train de me la mettre par-derrière. J’ai juste le même vice que de nombreux chefs d’entreprise.»
Même l’Argentine n’est plus sûre : cinq semaines après sa condamnation en Italie, le joueur fait l’objet d’une arrestation pour consommation de drogue à 6 heures du matin chez lui à Buenos Aires, les caméras des journalistes précédant la police d’une bonne heure. Maradona ne conteste pas les faits. Mais déplace la focale sur leur instrumentalisation. La menace est partout. Le joueur la pressent, sans pour autant en deviner le visage par avance. Pour la postérité, ce sera donc celui de Daniel Cerrini.
Ni médecin, ni préparateur physique, ni nutritionniste, l’homme est un ancien culturiste dirigeant une salle de remise en forme dans le quartier select de Belgrano, dans le nord de Buenos Aires. Maradona l’a rencontré par l’intermédiaire d’un ami barman. Le joueur est alors sans club. Il flashe à 92 kilos pour 1,65 mètre. Cerrini sera l’homme d’une mission: faire maigrir El Diez pour lui permettre de disputer la fin des éliminatoires sud-américaines pour le Mondial 1994, qui emmèneront l’Albiceleste jusqu’à un barrage en Australie au coeur de l’automne. Cerrini retapera Maradona en moins de six semaines. Il y gagnera le droit de suivre la star partout.
La vérité n’est nulle part
Le 27 juin 1994, au soir de l’exclusion de Maradona du Mondial américain, quand Roberto Peidro, l’un des médecins de la sélection argentine, déboule dans la chambre de Cerrini, il le trouve assis sur son lit, prostré, regardant un sol jonché de médicaments. Parmi eux du Ripped Fuel, un euphorisant à l’éphédrine utilisé comme brûleur de graisse et prisé par les routiers américains pour se tenir éveillés. Selon Roberto Peidro, cité dans So Foot, l’agent de Maradona, Marco Franchi, menace Cerrini «de le tuer». Celui-ci prend la fuite et monte dans le premier avion. Il prendra sa part: «Je me sens responsable de lui avoir coupé les jambes. Mais c’est moi qui l’avais remis sur pied auparavant.»
Viré du rassemblement, Maradona prendra une suspension d’un an. A l’issue de laquelle il fera de nouveau appel aux services de Cerrini pour préparer son dernier retour à Boca Juniors, devenant par ailleurs le parrain d’une de ses filles. Fin de l’histoire. Celle d’une superstar ne devant rien à personne. Pas plus aux règles de son sport –lui qui avait construit le succès mondial de 1986 sur un but de la main («la main de Dieu», jugera-t-il) en quart de finale contre les Anglais– qu’aux lois des hommes.
Ou le début d’une deuxième histoire. Au fil des interviews qu’il a données sur le sujet jusqu’à sa mort à 60 ans en 2020, et il en a donné un paquet, Maradona a systématiquement déplacé l’affaire sur le terrain politique. Au niveau où le joueur respire en 1994, la vérité n’est nulle part, tout est affaire de perspective. Le joueur souligne notamment que le dernier joueur à avoir été contrôlé positif pendant un Mondial avant lui, à l’éphédrine aussi d’ailleurs, l’Espagnol Ramón Calderé en 1986 au Mexique, s’en était sorti avec un match de suspension avec sursis et une poignée de main, le Catalan fêtant sa relaxe en marquant à deux reprises cinq jours plus tard contre la sélection algérienne.
Surtout, l’histoire des Coupes du monde depuis 1994 fait basculer sans équivoque Maradona dans le camp des martyrs: aucun des 5248 joueurs qui se sont succédé en Coupe du monde depuis n’a été contrôlé positif. Ce qui, mécaniquement, relègue la lutte antidopage au rang d’outil de communication, crédibilisant un sport qui ne peut bien entendu pas s’en tirer à si bon compte. Et ce qui la transforme en instrument de pouvoir entre les mains des instances, celles-ci pouvant en user à loisir, au gré de leurs propres intérêts et selon un timing qu’elles maîtrisent.
Le rôle de Julio Grondona, président de la Fédération argentine et vice-président de la Fédération internationale alors chargé de la commission des finances de l’instance faîtière, a notamment fait parler. Selon la presse argentine, Grondona avait permis à la sélection de passer au travers des contrôles antidopage lors des deux matchs de barrage contre l’Australie comme lors de la préparation de l’équipe en amont du Mondial américain, l’un des médecins de la sélection affirmant à l’inverse avoir procédé de sa propre initiative à un contrôle urinaire (censément négatif) quelques semaines avant le début de la Coupe du monde.
Dans un contexte d’impunité générale, où personne n’avait la moindre raison de s’inquiéter quel que soit ce qu’il se mettait dans le cornet (Maradona avalait une quinzaine de pilules quotidiennement en plus de six ou sept repas protéinés), ces précautions n’ont jamais cessé d’intriguer. Surtout, le silence assourdissant des dirigeants argentins au moment du contrôle positif, renvoyant le joueur sans jamais contester les faits ni même défendre (fût-ce pour la galerie) le capitaine d’une sélection qu’il a emmenée deux fois en finale de la compétition suprême, apparaît pour le moins détonnant.
Et cela accrédite l’idée d’une Coupe du monde comme un théâtre d’ombres. Où des forces invisibles orientent et corrigent les lignes de force, au détriment de l’esprit originel des compétitions et d’un public aveuglé par la charge émotionnelle du spectacle qui lui est présenté. «Durant la compétition, il y a eu toute une série d’événements bizarres, a raconté le médecin de la sélection, Roberto Peidro. Un jour, pendant un entraînement précédant le premier match [contre les Grecs, victoire 4-0, ndlr], je reviens dans ma chambre pour chercher des affaires et la police américaine était là, avec des chiens. Elle faisait renifler des chambres une par une. Après le contrôle, quand je suis allé à Los Angeles pour la deuxième analyse de l’échantillon de Diego, le mot “éphédrine” était inscrit dessus alors que le règlement stipulait qu’aucune inscription ne devait y figurer.»
Bascule définitive
Quelques heures avant que l’Albiceleste dispute, sans lui, son troisième match de la compétition face aux Bulgares, Maradona en terminera par une conférence de presse. Dans son style épique et confus, il parlera de George Bush (senior) et de la CIA. La bascule est définitive. Seize ans plus tard, nommé sélectionneur de l’Albiceleste par un Grondona soucieux d’abîmer le mythe autant que possible, il reprendra pied sur une phase finale de Coupe du monde en Afrique du Sud, Falstaff tropical s’étant précédemment fait poser un anneau gastrique en mondovision chez Fidel Castro.
Il s’embrouillera avec Lionel Messi en coulisse et amusera les suiveurs en mal de sensations devant les micros. Toujours électrique. Mais tellement inoffensif. Une scène terrible, avant un entraînement : incapable de lacer ses chaussures de foot, Maradona devait se faire aider par un de ses adjoints. Le prix du matraquage dont il fut l’objet sur les terrains. En vérité, Maradona aimait infiniment plus le football que celui-ci (les joueurs, les dirigeants, son économie) ne l’auront aimé, lui.
(1) Lire le hors-série de So Foot de près de 500 pages qui lui est consacré, «Hasta Siempre».
DIEGO MARADONA DOPAGE COLLATÉRAL
Tricheries, bluff, impostures et dissimulations…
Un été pour briller de mille faux.
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