L’obstiné récompensé
Jordan Jegat (à droite) a réussi à se glisser dans l’échappée hier.
Ce qui n’a pas plu à Simone Velasco, juste derrière lui.
Jordan Jegat s’est encore échappé hier, vers Pontarlier. Il a résisté aux plaintes de ses compagnons de fugue et à la poursuite des JaycoAlUla, validant sa place dans le top 10 du Tour.
"Sans ça, il ferait 15e, mais en courant comme ça,
le voilà 10e, et c’est toute la différence"
- LOUIS BARRÉ, COUREUR D’INTERMARCHÉ-WANTY
ET AMI DE JORDAN JEGAT
"On peut l’imaginer fragile, mais il est résistant
et son mental est l’un de ses gros points forts"
- LYLIAN LEBRETON, DIRECTEUR SPORTIF
DE TOTAL ENERGIES
27 Jul 2025 - L'Équipe
PIERRE MENJOT
PONTARLIER (DOUBS) – Ne jamais croire Jordan Jegat. Jeudi, épuisé au sommet de la Loze, le Breton expliquait avoir vécu « un enfer » après s’être « surestimé en voulant prendre l’échappée dans le premier col. Je finis complètement vidé. Demain ( vendredi), je vais rester dans les roues, je n’attaquerai pas, je suis traumatisé ». Le lendemain, vers La Plagne ? Le grimpeur de TotalEnergies était encore à l’avant, parti un peu à contretemps, mais parti quand même. « J’ai des fils qui se sont touchés », se marrait-il, avant de juger son « top 11 » au général : « Le top 10, je pense que c’est mort, il va falloir se contenter de la 11e place, mais si on m’avait dit ça au départ, tout le monde aurait signé, non ? » Et bien pas lui, finalement.
Car qui se trouvait encore dans l’échappée hier, sur une étape jurassienne dessinée pour les baroudeurs? Encore et toujours le dossard 186. «Jordan finit ce Tour en boulet de canon, il récupère très bien, il avait envie de récompenser toute l’équipe en essayant de faire une belle étape», expliquait Lylian Lebreton, l’un de ses directeurs sportifs. Ce qui n’a pas plu à tout le monde, puisque la présence du Français incitait les Jayco-AlUla à rouler en tête de peloton afin de défendre la 10e place de Ben O’Connor, quatre minutes devant au général.
«(Simone) Velasco (XDS-Astana) m’a insulté de tous les noms, rouspétait Jegat à l’arrivée. Je ne parle pas italien, mais je comprends très bien ce qu’il m’a dit, des propos qui ne sont pas bons d’être tenus. C’est du sport, chacun est libre de faire ce qu’il veut, j’avais le droit d’être dans l’échappée. Tim Wellens ( UAE) et d’autres lui ont dit qu’il n’avait pas à parler comme ça. D’autres m’ont dit que c’était dommage que je sois là, mais ils comprenaient.»
Le Breton n’allait pas se relever, et alors que l’écart montait petit à petit, il a même attaqué, à 65 bornes du but, dans la bosse la plus difficile, la côte de Thésy. Quitte à brûler pas mal d’énergie. « J’ai accéléré pour distancer Groves ou Stewart, car je savais qu’avec eux au sprint, c’était injouable », répondait-il, en quête de succès. Harry Sweeny (EF Education-EasyPost) l’a rejoint et, sentant l’entreprise vaine, le garçon formé à Locminé s’est relevé. Au chaud parmi les poursuivants, il a alors entendu que les Jayco, en manque de main-d’oeuvre, abandonnaient la poursuite au sein du peloton, validant ainsi son top 10 sur le Tour après sa 7e place à Pontarlier.
« Il se bat toujours, va toujours de l’avant en sautant dans des petits coups. Sans ça, il ferait 15e, mais en courant comme ça, le voilà 10e, et c’est toute la différence » , soulignait Louis Barré (Intermarché-Wanty), l’un de ses meilleurs amis depuis leurs années au Nantes Atlantique et qui se tenait au courant des écarts auprès des coureurs de TotalEnergies. « J’ai mis ce que j’avais à mettre sur la route, et ça a payé, forcément je suis ému, souriait Jegat. Je ne sais pas si je le mérite, pourquoi moi plus qu’un autre ? C’est la tête et les jambes qui font la différence. »
Et de la tête, il en a. « Jordan, reprenait Lebreton, parce qu’il est assez frêle physiquement ( 1,76 m ; 59 kg), on peut l’imaginer fragile, mais il est résistant et son mental est l’un de ses gros points forts. » Il l’a mené dans les dix meilleurs du Tour, qu’il ne dispute que pour la deuxième fois, à 26 ans, coureur à maturation lente, longtemps resté chez les amateurs avant de vraiment se lancer et qui découvre de nouveaux horizons.
En janvier, Jegat était revenu sur sa première année au plus haut niveau, tous ses voyages, le Rwanda, la Slovénie, le Japon, « des endroits incroyables où, sans le vélo, je ne serais jamais allé ». Le top 10 du Tour est aussi un nouveau monde pour lui et, promis, « je ne vais pas aller à l’attaque » aujourd’hui. Avant d’ajouter, au cas où: «Sauf si je veux être super combatif (sourire).»
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Doubs et amer
Sur ses routes, Romain Grégoire est parti à la faute dans un virage à 21,5 kilomètres, alors qu’il semblait être en mesure de jouer la victoire.
“Il avait reconnu les 60 derniers kilomètres sur ses routes,
il connaissait le final par coeur"
- BENOÎT VAUGRENARD, DIRECTEUR SPORTIF
DE GROUPAMA-FDJ
27 Jul 2025 - L'Équipe
THOMAS PEROTTO
PONTARLIER (DOUBS) – Parce qu’il était chez lui, parce qu’il avait mis une petite croix à côté de ce final dans le Doubs, parce qu’il marchait très bien hier et parce qu’il avait tourné autour de la victoire en début du Tour (4e à Boulogne, 5e à Rouen), Romain Grégoire était un homme malheureux sous le soleil qui faisait son retour à Pontarlier en fin d’après-midi. Rarement un rideau suspendu au-dessus du marchepied et des deux marches d’un car avait monopolisé autant l’attention des caméras, des photographes et des micros tendus. Tout le monde attendait le puncheur de Groupama-FDJ, tombé à 21,5 kilomètres de l’arrivée dans un virage et sous la pluie.Amoché après sa chute dans un virage, Romain Grégoire a dû se faire poser des points de suture à une hanche.
Grégoire s’est finalement présenté après s’être fait poser « quatre ou cinq points de suture à la hanche». «Je pense que j’avais tout bien fait jusqu’à cette chute. C’était une échappée sur des routes que je connaissais, avec des super sensations. Il y avait vraiment mieux à faire. Il y avait une super occasion d’aller chercher la victoire, je me sentais bien, articulait le Franc-Comtois de 22 ans. C’est aussi moi qui fais la faute, hein… Si Romeo ne tombe pas, je pense que je peux m’en sortir. Je connaissais le virage par coeur, je savais que ça refermait, mais j’ai vu un coureur tomber devant moi et j’ai été obligé de freiner. Et quand on freine comme ça en plein virage, on part à la faute.»
Avec l’épaule amochée, le dossard déchiré et le sang qui ne séchait pas sous les gouttes de pluie, Grégoire est quand même allé chercher une 5e place au sprint. « On a eu très peur, en plus ils ont bien repassé en boucle la chute à la télé, soupirait la mère de Romain Grégoire à quelques mètres. J’avais le coeur qui battait très fort mais j’ai vu qu’il se relevait tout de suite, donc je n’étais pas trop inquiète. Il était bien parti, on y a tous cru, on était tous hyper déçus pour lui. Il avait la rage, il la voulait celle-là. »
« Il avait reconnu les 60 derniers kilomètres sur ses routes, il connaissait le final par coeur, soufflait Benoît Vaugrenard, l’un des directeurs sportifs de Groupama-FDJ. On avait décidé de lui faire faire les deux étapes de montagne un peu en dedans car on misait beaucoup sur cette étape. On savait que c’était notre coureur qui serait le plus fort mentalement pour s’arracher alors que tout le monde était cuit ce matin. »
Dans la côte de Longeville, Grégoire est malgré tout passé en tête dans le virage squatté par tous ses proches. « Au-delà de ça, j’ai quand même passé une super journée, disait-il à ce propos. Être à l’avant sur ces routes-là, être encouragé comme ça, ça m’a vraiment porté. D’un côté, ça ajoute une petite note positive et d’un autre, ça ajoute de la dramaturgie au scénario. Ça aurait été encore plus beau de gagner devant eux. » Un virage pour vibrer, un autre pour tout perdre…
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