UNE PASSION FRANÇAISE
Le triomphe de PAULINE FERRAND-PRÉVÔT au Tour de France a créé un incroyable élan populaire et suscite déjà des vocations.
Décryptage d’une « PFPmania » partagée par les grands noms du cyclisme.
«PFPmania»
Couronnement suprême d’une carrière déjà riche, le Tour de Pauline Ferrand-Prévôt a suscité un engouement inédit dans le cyclisme féminin qui la propulse au rang des légendes françaises, sports et genres confondus.
"Il y a aussi quelques demandes plus fantaisistes,
comme pouvoir déjeuner avec Pauline"
- CHRISTOPHE DUQUESNE, PRÉSIDENT
DU FAN-CLUB DE FERRAND-PRÉVÔT
6 Aug 2025 - L'Équipe
LUC HERINCX et AUDREY QUÉTARD (avec B. F. et Q. C.)
Avec sa main magique qui transforme tout en or, les champions s’accordent à dire qu’elle n’avait pas besoin de ce succès bonus. Avant même de remporter le Tour, Pauline Ferrand-Prévôt appartenait déjà au panthéon du sport français par cette polyvalence unique, ces disciplines éloignées, le VTT, le contre-la-montre, la course en ligne, le cyclo-cross, qu’elle domine depuis plus de dix ans, relevant avec succès chaque challenge qui mérite à ses yeux un investissement corps – en le transformant en fonction du terrain – et âme – en s’enfermant dans une bulle ascétique où peu sauraient s’épanouir.
« Je la connais depuis toute petite, elle a toujours gagné toutes ses courses. Quand tu allies ça avec le sérieux, la persévérance et un mental de championne, souvent tu as des coureuses hors norme et Pauline en fait partie », résume Marion Rousse, son amie directrice du Tour de France femmes avec Zwift. Cette discipline de fer, qui tranche avec la sensibilité de ses larmes précédant toujours un sourire communicatif sur le podium, a conquis le public. Le grand public.
Au bord des routes, un enthousiasme débordant
Jour de défense de son maillot jaune sur la dernière étape de cette quatrième édition du renouveau de la Grande Boucle féminine, dimanche, Ferrand-Prévôt a réuni sur France 2 4,4 millions de téléspectateurs, avec un pic à 7,7 millions à l’arrivée. Une audience qui dépasse largement la dernière finale de RolandGarros entre Aryna Sabalenka et Coco Gauff, atteignant pourtant déjà un score record (3,15 M) pour un sport au tableau féminin historiquement plus ancré et populaire. Plus éloquent encore, le deuxième succès d’affilée de la Française de 33 ans a accaparé des parts d’audience similaires à l’ultime étape mythique des hommes à Montmartre (41,2 % pour les femmes contre 42,1 %). « Je suis dans le cyclisme féminin depuis 2007, et on n’aurait jamais espéré cela », souligne Stephen Delcourt, patron de l’équipe FDJ-Suez de Demi Vollering, principale rivale de Ferrand-Prévôt.
Dimanche, avec émotion, les parents de la Maillot Jaune ont donc rappelé à Rousse cette guerre que les deux coureuses faisaient aux garçons il y a vingt ans. Maintenant, c’est une guerre comme les garçons, dans un sport qui s’est professionnalisé de façon express en une décennie avec des structures, du matériel, des stages en altitude et des hébergements à la pointe. Donc, quand Ferrand-Prévôt ressort encore vainqueure de cette bataille, son succès transcende des frontières surannées. « Elle est exceptionnelle, on ne parle pas d’athlète féminine ou française, on parle d’athlète tout court, elle a marqué l’histoire de son sport, s’enthousiasme Rousse. On s’en souviendra toute notre vie. »
Dans un sondage publié lundi sur notre site (lire ci-contre), vous avez même élu Ferrand-Prévôt comme la plus grande sportive française de l’histoire, loin devant la porteuse de la flamme olympique l’été dernier, Marie-José Pérec. La culture de l’instant, la fraîcheur des émotions nuancent forcément ce résultat mais l’engouement est réel, palpable. « Franchement, tout au long du parcours, tout le monde criait le nom de Pauline sur le bord de la route, a relevé la Polonaise Katarzyna Niewiadoma, vainqueure du Tour 2024. Je crois que ça devait être super spécial pour elle, pour ses amis, pour les fans français et peut-être aussi pour les futures championnes françaises. » Thomas Voeckler, qui a lui-même expérimenté des raids frissonnants en portant cette tunique mythique devant le public français, analyse cette bascule dans l’irrationnel : « Ce qu’a fait Pauline, maintenant ça dépasse le cadre du vélo. »
En un week-end, Ferrand-Prévôt a fait doubler le nombre d’adhérents de son fan-club envers qui les sollicitations ne cessent de pleuvoir. « On avait déjà eu des demandes supplémentaires de teeshirts et de photos dédicacées après sa victoire à Paris-Roubaix, mais rien à voir avec ce qu’il se passe en ce moment, décrit Christophe Duquesne, président débordé du groupe de supporters. Là c’est un truc de fou, ce qui nous arrive. On traite entre 80 et 100 mails par jour depuis l’arrivée. Jamais je ne me serais attendu à ça. Il y a aussi quelques demandes plus fantaisistes, comme pouvoir déjeuner avec Pauline par exemple. Les gens veulent absolument la rencontrer, beaucoup plus que par le passé. On voit bien la folie du Tour de France. »
Elle répond à une attente jugée t ro p longue, quarante ans de disette depuis Bernard Hinault, car même si Jeannie Longo et Catherine Marsal se sont imposées depuis (1990 pour la dernière, sur le Tour de la CEE), ce sont bien les frustrations des échecs masculins qui se sont mêlées à la curiosité autour du défi de Ferrand-Prévôt pour ensuite en déborder de joie. Certains y sont venus aussi trouver de la fraîcheur, un cyclisme plus débridé, aux affrontements plus directs entre des leaders isolées. Un vélo qui a trouvé sa voie, son audience. Mais à la fin, comme avec Tadej Pogacar, c’est Ferrand-Prévôt qui gagne.
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Ce qu'ils pemsent d'elle
Luc Herincx
BERNARD HINAULT
« C’est notre cyclisme qui brille »
« On ne peut pas être surpris de son triomphe, tout le monde l’attendait. Mais elle a réalisé tellement de choses… Que ce soit un homme ou une femme, elle est Française, donc on ne peut que se réjouir, c’est notre cyclisme qui brille ! Et c’est une battante. Je l’avais rencontrée à Reims quand elle n’avait que 15 ou 16 ans, elle avait déjà une détermination terrible, ça m’avait marqué ! J’ai écouté un peu ce qu’elle a dit après son succès, elle a travaillé énormément pour passer du VTT à ces longues étapes, c’est une preuve de sa détermination. J’étais présent aussi au départ du Tour à Plumelec, je crois qu’elle aurait déjà pu prendre le maillot jaune si elle le voulait, mais elle a bien fait d’attendre. Tout a été parfait sur ce Tour, avec en plus les deux victoires de Maëva (Squiban), ça montre que la domination des coureuses étrangères est peut-être finie ! »
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THOMAS VOECKLER
« Elle transforme tout en or »
« Les Français attendaient cette victoire, que ce soit chez les hommes ou les femmes parce que maintenant c’est pareil, il n’y a pas un Tour de France plus grand que l’autre. Ce qu’elle a fait, ce n’est pas juste du sport, ça fait partie du patrimoine français, ça dépasse le cadre du vélo. Elle transforme tout ce qu’elle touche en or, ce qui n’est pas courant en France ni même dans le monde entier.C’est notre Pogi à nous, elle arrive à gagner une classique pavée puis en haute montagne. Et ça fait déjà longtemps qu’elle est dans le paysage à travers différents sports, le VTT, le cyclo-cross et la route, ça multiplie le nombre de gens touchés. Puis il y a sa personnalité, elle est très active sur les réseaux sociaux. Et pour l’avenir, je pense qu’elle a beaucoup appris quand il y avait déjà beaucoup d’attente autour d’elle, comme à Tokyo (10e en VTT aux JO). »
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PATRICK LEFéVèRE
« Elle était sur ma liste de recrutement »
« À l’époque, elle était sur ma liste de recrutement, mais elle avait choisi d’aller dans une autre équipe ! C’est une grande championne, son palmarès est unique. Je dois vraiment creuser très loin dans ma mémoire pour trouver une coureuse comme elle. Il n’y a qu’une grande championne qui est capable de faire ça, gagner Roubaix puis perdre 4 kg… C’est quelqu’un qui répond toujours présent. Les Français sont assez chauvins, mais avec une telle championne, vous pouvez l’être ! C’est bien pour le cyclisme français et pour le cyclisme féminin en général. On a quelques coureuses françaises dans notre équipe, comme la fille de Vincent Lavenu ( Nina), espérons que ça les motive à faire les mêmes sacrifices parce que ce n’est pas facile non plus pour elles de devoir gérer leurs études en même temps que leur carrière. »
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CHRIS FROOME
« Elle a montré qu’elle était l’une des coureuses les plus talentueuses et polyvalentes »
« Toutes mes félicitations à Pauline pour sa performance incroyable au Tour de France femmes. Une fois de plus, elle a montré qu’elle était l’une des coureuses les plus talentueuses et polyvalentes de ce sport. Sa force, sa détermination, et sa classe tout au long de la semaine sont vraiment inspirantes. C’est une performance exceptionnelle pour le cyclisme français et un grand moment pour le cyclisme féminin mondial. »
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« Elle a une précision extrême »
« C’est quelqu’un qui n’avait pas forcément besoin de gagner le Tour au regard de son palmarès, car elle était déjà une icône du sport, mais c’est une consécration. En tant que fan de vélo, on accueille ça avec beaucoup d’enthousiasme, cette fin de la distinction entre les hommes et les femmes, on sent qu’on rétablit le cours des choses, on va vers la normalité. Je me rappelle de Pauline déjà au début des années 2010, elle a toujours été performante, elle a une précision extrême dans tout ce qu’elle fait. Évidemment, il y a un talent intrinsèque énorme, mais, de l’extérieur, on observe aussi quelqu’un qui prend du plaisir dans cette exigence exacerbée envers elle-même, contrairement à beaucoup de gens qui ont pu ressentir une lassitude vis-à-vis de cette vie d’ascète. Elle trouve une quête personnelle là-dedans, elle apprécie le chemin. »
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Sacrée locomotive
6 Aug 2025 - L'Équipe
AUDREY QUÉTARD et BENOÎT FURIC (avec L. He.)
Admirée par ses pairs et inspirante pour la nouvelle garde tricolore, Pauline Ferrand-Prévôt, lauréate du Tour de France, se mue en propulseur d’un peloton qui cherche, encore et toujours, à grandir.
"Avec une championne de sa dimension,
on a la vitrine pour inspirer des jeunes femmes"
- MICHEL CALLOT, PRÉSIDENT DE LA
FÉDÉRATION FRANÇAISE DE CYCLISME
"C’est la locomotive qui manquait au cyclisme féminin"
- THOMAS VOECKLER
Tenez, une petite historiette qui résume tout. À Châtel, dimanche, au pied du podium que Pauline Ferrand-Prévôt irradiait de bonheur en enfilant son maillot jaune pour de bon, Marion Rousse a rejoint les parents de la svelte frimousse blonde. Qui lui ont susurré : « Tu te souviens, il y a vingt ans, quand vous étiez toutes les deux à faire la guerre aux garçons? »Pauline Ferrand-Prévôt tout sourire avant le départ dimanche de la 9e étape du Tour de France.
Bien sûr que la directrice du Tour de France femmes a exhumé de ces souvenirs toutes ces bagarres de petites filles. Entre elles, la Nordiste, et son amie la Rémoise. « Il y a un beau chemin qui a été parcouru », réalise-t-elle. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit sa pote d’enfance, devenue morfale de victoires sur n’importe quel terrain et à peu près n’importe quel deux-roues, enlever la « plus belle course du monde » .
Assez pour provoquer le destin d’un cyclisme féminin qui croît, c’est sûr, mais qui pâtit quand même d’un fragile 12,6 % de licenciées sur 100 000 au total ? « Quand on parle de créer des vocations, il n’y a pas de plus beau modèle que Pauline pour toutes les petites filles », rassure Marion Rousse, qui savait « pertinemment » que le come-back de la championne olympique de VTT sur la route cette saison « ne serait que du positif » .
« Avec une championne de sa dimension, on a la vitrine pour inspirer des jeunes femmes, renchérit Michel Callot, président de la Fédération française de cyclisme (FFC). En plus, Pauline a beaucoup de personnalité, elle est très avenante. Elle renvoie une image très positive de notre sport. »
Pas dit que ses collègues tricolores, qui ont ferraillé à ses côtés sur la Grande Boucle, aient omis un seul superlatif dès que son nom revenait derrière un micro tendu. « Elle fait rêver », encensait en zone mixte sa coéquipière Marion Bunel avec l’allégresse d’une rookie, et groupie, de son aînée. Maëva Squiban, double lauréate d’étape, rabâchait sans retenue le mot « incroyable » – assurément le tube de la dernière journée – en riant de fascination : « À défaut de la suivre, on peut l’admirer » .
La Bretonne fait partie d’une jeune garde désinhibée qui pourrait, qui sait, avoir autant la dalle de succès que le Graal Ferrand-Prévôt. « Je me réjouis de voir des Françaises qui pointent leur nez avec du culot, reprend Callot. Cette nouvelle génération est décomplexée et va permettre de rapidement s’équilibrer avec la sélection néerlandaise qui nous a longtemps dominés chez les femmes. »
En tout cas, la sauce prend bien chez les néophytes. Troisième du Championnat de France Juniors l’an passé et fraîchement promue professionnelle, Amalia Debarges (19 ans) l’a entrevue deux fois au bord des routes du Tour: « Elle a activé la course et montré que nous, les filles, on peut faire du vélo comme les garçons. » Elle a enseigné la patience à une bouillante
jeunesse aussi : « Quand on voit une coureuse comme elle, on se dit qu’on a le temps. Que si à 20 ans on n’est pas la plus forte, ça ne veut pas dire que l’on ne peut pas performer plus tard. » « C’est la locomotive qui manquait au cyclisme féminin, complète Thomas Voeckler.
C’est un peu comme si on avait plusieurs wagons qui marchaient bien déjà depuis quelques années, avec de la densité, mais qu’il manquait quelque chose à la conclusion. Elle vient tracter ça. Et arrive à ne pas être jalousée. »
On n’a pas vu le moindre souffle, ni la plus petite moue sur les visages de la Néerlandaise Demi Vollering (FDJ-Suez), deuxième, ou de la Polonaise Katarzyna Niewiadoma (Canyon-Sram), troisième, à l’arrivée. « Elles n’étaient pas déçues, confirme Marion Rousse, mais déjà tournées vers le futur. À se dire: “Maintenant, on sait ce qu’il nous reste à faire. Il va falloir travailler encore plus dur pour la battre l’année prochaine.” » Autrefois faiblarde, la concurrence au sein du peloton féminin gonfle. Et Ferrand-Prévôt y a insufflé quelques bouffées d’air frais.
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« Elle n’a pas laissé la place au hasard »
Le perchiste français Renaud Lavillenie, champion olympique en 2012 et ex-recordman du monde, est revenu sur le sacre de Pauline Ferrand-Prévôt sur le Tour. En dix ans d’amitié, le Clermontois a vu la Rémoise s’asseoir sur les cimes du cyclisme mondial.
"C’est un énorme plaisir de la voir rebondir et revenir
au plus haut niveau comme ça quevousvous"
6 Aug 2025 - L'Équipe
A. Q.
Renaud Lavillenie et Pauline Ferrand-Prévôt se connaissent depuis plus de dix ans. Le perchiste et la cycliste partageaient, à l’époque, le même agent. Quelques messages échangés, unbonfeeling, puis unepremière rencontre fin 2014, lors de la remise des trophées des Champions des champions, organisée par L’Équipe. « On s’est bien entendus, on a tissé des liens très rapidement », se rappelle le perchiste. Depuis, il aassisté auxtrès hauts, et auxtrès bas, aussi, de la toute fraîche lauréate du Tour de France femmes. L’a invitée à son mariage, en 2018. Partagé quelques sorties à vélo, sur routes ou chemins. Et l’a encouragée sur la Grande Boucle, bien sûr: « C’était très agréable d’avoir vu l’impact qu’elle a. C’est un bon et vrai rayon de soleil. »Renaud Lavillenie (à droite) était venu rendre visite à Pauline Ferrand-Prévôt jeudi dernier lors de l’étape 6.
- On vous a vu sensemble avant le départ de la 6e étape, àClermont. Quelui avez-vous dit?
Queje la voyais bien enjaune àla fin. Elle n’a pas acquiescé demanière franche, mais je savais que, si elle faisait les choses dans l’ordre, et sans erreur, il y avait le potentiel.
- Qu’est-ce qui vous aépaté chez elle?
Saforce mentale, sa détermination. Elle n’a pas laissé la place auhasard dans son système. C’est commeçaque, nonseulement ça apayé, mais àchaquefois auprix de démonstrations. C’est ce qui est d’autant plus éblouissant àvoir. Sur le Tour, il n’y apaseude place pour les autres.
Mais c’est dan's'ladouleur étiez rapprochés, auxJOdeRio(2016)… Cen’était pas les meilleurs momentsquel’on apupasser ( rires). C’est pour ça quesavictoire sur le Tour est d’autant plus appréciable. C’est unénormeplaisir dela voir rebondir et revenir auplus haut niveau commeça.
- Àl’époque, vous vous étiez consolés ensembleautour d’un croque-monsieur…
(Il rit.) C’était la soirée déprime. Après être passés autravers. Çanousafait dubien de passer dutemps“déconnectés”. Pour se rendre compteducheminparcouru, se dire qu’il y aencore debonsmomentsàvenir. Il n’y avait pas 50 trucs àcuisiner. Alors ons’était fait des bons croque-monsieur. Çanousavait redonné le sourire, unpeu.
- Vous avez aussi partagé quelques sorties en VTT…
Je pratique depuis pas mald’années, pour monloisir et maprépaphysique. Çarajoute un certain lien. Onafait des petites sorties ensemble. C’est toujours agréable. Mais je n’ai pas réussi àlui faire essayer la perche…
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