Chaud au coeur, tête froide
Ci-dessous, la joie du groupe lensois après sa victoire à Angers,
dimanche (2-1), qui lui a permis de prendre la tête de la Ligue 1.
La cité minière s’est réveillée hier matin avec le sentiment de sortir d’un doux rêve, finalement bien réel : le RC Lens est leader de Ligue 1. La fierté est là, mais sans emballement.
“Je pense qu’avec Pierre Sage, on arrive à l’apogée.
C’est lui qui a trouvé la bonne recette, avec plus de calme.
Sa personnalité colle parfaitement avec le club"
- THIBAULT, SUPPORTER DU RC LENS
“Maintenant, il va y avoir l’envie de rester premier,
même s’il faut garder de la lucidité,
avec Paris et Marseille derrière.
Mais on l’aura été au moins une semaine,
dans tous les cas"
BERTRAND, SUPPORTER DU RC LENS
2 Dec 2025 - L'Équipe
NATHAN GOURDOL
Chaud au coeur, tête froide
LENS (PAS-DE-CALAIS) – Il n’y a pas eu de cortège particulier au retour des Lensois d’Angers après leur victoire contre le SCO (2-1), dimanche soir, sur les coups de 22heures, à l’aéroport de Lille-Lesquin – évidemment, pas d’applaudissements des joueurs du LOSC qui arrivaient en même temps du Havre, même si certains ont quand même salué leurs voisins –, et pas plus d’effusion à la Gaillette une heure plus tard, avec l’affluence habituelle d’une dizaine d’irréductibles pour accueillir les nouveaux leaders de Ligue 1.
Si le RC Lens s’applique à gommer tout signe d’emballement, la cité minière et ses 33000 fans lensois bouillonnaient pourtant de l’intérieur au réveil hier. La dernière fois qu’elle avait ouvert les yeux en tête du Championnat remontait au 23 août 2004, trois mois avant que le Premier ministre d’alors, Jean-Pierre Raffarin, ne se déplace dans l’Artois pour annoncer l’implantation d’une antenne du Louvre à Lens (qui a finalement ouvert ses portes en 2012).
Cette fois, le Racing est leader au coeur de l’automne, après 14 journées, ce qui ne dit pas tout à fait la même chose, et la fierté est décuplée d’être tout en haut pour la Sainte « C’est un temps de passage à la symbolique forte », confirme un intime de la Gaillette. Les festivités pour célébrer la patronne des pompiers et des mineurs commencent à peine autour de certains terrils, que les Sang et Or ont déjà allumé le plus beau feu du secteur. Le club organise d’ailleurs ce soir un gala caritatif au profit du fonds de dotation du club, le Racing Coeur de Lens, pour la Sainte-Barbe, une fête interne avec tous les joueurs, le staff technique, la direction du club, dont le propriétaire, Joseph Oughourlian, et les partenaires.
Si la pile de journaux a fondu plus vite que d’habitude au kiosque de la gare de Lens, un alliage de fierté et de pudeur était palpable dans les rues de la ville hier. En attendant son cornet à la friterie place du Cantin, René, sapé sang et or de la tête aux pieds, n’avait ainsi pas le temps de nous parler, comme s’il avait peur qu’on fasse éclater sa bulle d’émotions. « C’est juste fantastique, c’est tout ce que je peux vous dire », soufflait-il pour nous éconduire. Lui aussi paré du survêtement du club, Thibault était plus loquace de l’autre côté de la rue, sandwich « américain » à la main, avec son pote Karim : « Cette place, elle veut dire quelque chose, c’est le travail et le fait qu’on monte en niveau depuis plusieurs années. Je pense qu’avec Pierre Sage, on arrive à l’apogée. C’est lui qui a trouvé la bonne recette, avec plus de calme. Sa personnalité colle parfaitement avec le club. »
« Quand on est à l’extérieur, on a envie d’en être. Maintenant, j’ai l’occasion d’en être. Et je suis impatient de découvrir ce qui fait que ces choses-là émergent et qu’elles sont séduisantes à l’extérieur » , disait l’entraîneur lensois lors de sa présentation début juin. Six mois après, le voilà déjà avec une place à part pour le peuple lensois, conquis par son humilité et sa sagacité, son ambition teintée de zenitude. « Je veux un cri de leader les gars », lançait-il dans l’euphorie du vestiaire angevin, avant de se montrer taquin en offrant un jour off hier… déjà planifié depuis des semaines.
« Depuis qu’il est arrivé, il a insufflé un truc un peu magique » , plante Christophe, bonnet du RCL sur la tête à la sortie de la piscine olympique jouxtant le stade Bollaert, en compagnie de son pote Bertrand, abonné en tribune Delacourt comme lui, et de leurs épouses. « Sage a repris ce que Franck Haise (février 2020-2024) avait mis en place. Will Still ( la saison passée) avait un peu surfé sur cette vague mais ça s’était délité. Lui, en quelques mois, il a tout remis en place. Il est toujours calme et ça se transmet à tout le monde, même les supporters » , complète Bertrand. Un avis visiblement pas partagé par sa femme, qui l’a quand même trouvé « un peu énervé et stressé » la veille au soir à mesure que la première place se dessinait. Le vent glacial dans la rue Daniel Leclercq n’était pas de taille à refroidir les deux fans dans ce début de saison enflammé. « Tout le monde est aligné, le recrutement a été fait en ce sens, avec uniquement des joueurs plein de valeurs (lire par ailleurs). Ils sont bons sportivement, mais s’ils n’avaient pas été de bons gars, ils ne seraient pas là. C’est une vraie alchimie. Ils appellent ça une famille et c’est ce qu’on ressent, avec les supporters pleinement intégrés dedans », assure Christophe, vite rejoint par Bertrand. « Maintenant, il va y avoir l’envie de rester premier, même s’il faut garder de la lucidité, avec Paris et Marseille derrière (respectivement à un et deux points). Mais on l’aura été au moins une semaine, dans tous les cas. Rien que la perspective de jouer la Ligue des champions, c’est comme un titre. On veut revoir Bollaert à 21 sur 20 comme contre Arsenal ( 2-1 en octobre 2023). »
À La Loco, bistrot emblématique en face de la gare, les stigmates de la soirée de fête de la veille avaient déjà été effacés pour le service du midi, et la playlist Noël Lounge avait remplacé les Corons. « Leader, on ne va surtout pas s’en plaindre, plaisante le gérant Fred, qui a déjà reçu son cadeau de Noël avec la visite de Sage et de ses adjoints le mois dernier, du jamais vu pour l’enseigne.
Quand ils sont venus, on a senti des gens humbles, simples, des gens comme nous. C’est ça le secret de la réussite, cette mentalité à la lensoise. On ne cherche pas la brillance ou les stars, c’est le coeur d’abord. »
Ce coeur qui a battu fort en Anjou dimanche, quand tout un groupe est allé au bout de lui-même pour rendre hommage au guerrier Jonathan Gradit, victime d’une double fracture tibia-péroné à l’entraînement vendredi, un traumatisme pour tout un club. Le cri de la victoire ne pouvait pas se faire sans lui et, après de multiples tentatives du coach et de Florian Sotoca, c’est le téléphone du directeur sportif Jean-Louis Leca qui a finalement réussi à dribbler le réseau facétieux pour le joindre.
« C’était magnifique, même trop, j’avais l’impression d’être mort par moments, nous glisse le convalescent, sorti de l’hôpital lundi, dans son humour caractéristique.
Maintenant, fini les hommages, il faut que je me remette au travail pour revenir avant la fin de saison. » « Jo la Perceuse » est devenu «Jo le Lion» et trépigne déjà de retourner rugir avec une bande qui a les crocs, mais qui veille à ne pas trop le montrer.
***
Le directeur sportif de Lens, Jean-Louis Leca, au Parc des Princes,
lors de la défaite lensoise face au PSG (0-2), le 14 septembre.
Été astucieux, automne radieux
La première place du RC Lens tient beaucoup à la réussite de son recrutement malin, orchestré par son directeur sportif Jean-Louis Leca et son équipe.
Lorsqu’il boit un café dans son bureau de la Gaillette, le directeur sportif Jean-Louis Leca fixe le numéro 28 entouré à gauche d’un tableau où figure l’ensemble de l’effectif, soit la masse salariale en millions d’euros brut du RC Lens cette saison. Celle-ci dépassait encore les 40 M€ en mai, et la première place de Ligue 1, malgré cette baisse drastique qui va se poursuivre selon les dirigeants, témoigne de la prouesse réalisée par le Corse et ses équipes.
Lors de sa première prise de parole, en marge de la présentation de Pierre Sage début juin, l’ancien gardien avait annoncé sa volonté de «refaire du Lens» , à savoir recruter malin et à prix bas des joueurs en adéquation avec les valeurs du club, et remplacer les gros salaires du banc par des promesses de la Gaillette. Cette maxime et la pique à peine voilée à ses prédécesseurs – ceux qui ont acheté Elye Wahi pour près de 35M€ à l’été 2023 ou l’éphémère Diego Lopez et ses paris coûteux de la saison passée – ont été suivies d’actes.
En échange constant avec une équipe restreinte – les scouts Valentin Michalski, Jonathan Martins Pereira et Alaeddine Yahia, le directeur juridique Victor Linglart et le directeur général Benjamin Parrot –, Leca a réussi le double tour de force de dégraisser fort (départs d’Abdul Samed, Agbonifo, Fulgini, Koyalipou, Zaroury…) tout en dénichant les tauliers d’aujourd’hui. Après la signature de la pierre angulaire du projet nommée Sage, le mercato lensois a été un jeu d’équilibriste.
Hormis Matthieu Udol, courtisé depuis de très longs mois et arraché à Metz (3,5M€), les autres pistes prioritaires du début de mercato (un gardien étranger en prêt, Gaëtan Perrin, Mathias Kvistgaarden) ont été jetées à la poubelle et l’adaptation a été permanente. Rien ne s’est fait sans un alignement absolu.
Après avoir abandonné la piste Yéhvann Diouf face à la gourmandise rémoise, le board a ainsi misé d’une seule voix sur le potentiel du gardien strasbourgeois Robin Risser (3M€+2M€ de bonus), sans craindre son inexpérience de la L1. Pour le roc autrichien Samson Baidoo, l’unanimité a été immédiate, mais la cellule ne pensait pas ce transfert réalisable, au vu du pedigree du jeune défenseur (21ans). Ce sont les discussions poussées avec Salzbourg et l’agent Meïssa Ndiaye qui ont permis ce coup retentissant (8M€ bonus compris). Ce dernier était encore impliqué dans l’arrivée de Florian Thauvin (6M€, ex-Udinese), pour qui l’intérêt était déjà là un an avant.
Le téléphone sonne déjà pour janvier
C’est le directeur général Parrot, séduit par les mots et la passion de « Flotov » à son premier échange avec le DS, qui a poussé pour foncer sur ce dossier, alors qu’un autre gros profil d’animateur de côté faisait davantage débat en interne. Pour Mamadou Sangaré (5M€+3M€ de bonus), le coup de foudre a été similaire à celui pour Baidoo, et quand Leca a senti qu’une ouverture était possible, il a foncé à Vienne pour convaincre le Rapid. La future vente d’Andy Diouf (25M€ à l’Inter Milan) était déjà dans les tuyaux, mais Lens l’a savamment dissimulée pour éviter d’aiguiser la gourmandise autrichienne.
La recherche de l’avant-centre a été la plus longue, avec un enlisement sur le dossier Lassine Sinayoko puis la volte-face d’Auxerre, désireux de conserver le joueur. Mais Leca était déjà en contact depuis la mijuillet avec Odsonne Édouard, dont le nom a été soufflé par Sage, qui partage une connaissance en commun avec lui et l’avait rencontré à Paris, deux mois avant d’arriver au club. Dans les dernières heures du mercato, Crystal Palace a accepté de céder le buteur pour un prix très atteignable (3,7M€) et celui-ci a aussi fait un gros effort salarial pour rentrer dans les clous. Toutes les recrues ont vite été cornaquées par les tauliers, dont le capitaine Florian Sotoca, pour adopter au plus vite l’ADN lensois.
Le téléphone sonne déjà pour janvier, date à laquelle le club devrait faire quelques ajustements, notamment après la grave blessure de Jonathan Gradit (fracture tibia-péroné). Mais la méthode ne changera pas d’un iota.

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