Jean-Marc Bosman : « Tout le monde a profité de l’arrêt qui porte mon nom, sauf moi »
PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP
L’ancien espoir belge qui a chamboulé le football après avoir été en
conflit avec le club de Liège, qui l’empêchait de signer à Dunkerque,
publie son autobiographie, Mon combat pour la liberté.
L’ancien footballeur, à l’origine de la libéralisation du marché des transferts, il y a tout juste trente ans, revient sur son douloureux parcours.
16 Dec 2025 - Le Figaro
Propos recueillis par Gilles Festor
« L’arrêt a permis une activité économique sans précédent dans le football, d’abord en Europe, puis dans le monde. Si un ministre me prouve qu’il a créé autant d’emplois que moi dans toute l’europe, je suis prêt à lui tirer mon chapeau »
Le combat politique a pris le dessus sur mon cas personnel. (...) L’arrêt Bosman a fait tache d’huile partout dans le monde, de l’afrique aux îles Féroé et j’ai été reçu par Pelé, alors ministre des Sports. Mais mon téléphone n’a pas sonné
Le 15 décembre 1995, coup de tonnerre sur le football. La Cour de justice de la Communauté européenne (CJCE) met un terme au nombre de quotas de joueurs étrangers au sein des clubs limité jusque-là à trois, ouvrant une libéralisation du marché et l’ère du football business en Europe. Trente ans plus tard, l’ancien espoir belge qui a fait tomber le système après avoir été en conflit avec le club de Liège qui l’empêchait de signer à Dunkerque se livre dans une autobiographie coécrite avec Éric Champel, Mon combat pour la liberté (Éditions Solar). Trois décennies marquées par un manque de reconnaissance d’un sport individualiste et ingrat et une vie semée d’embûches face aux problèmes d’argent, la dépression et les idées noires. L’amertume et le calvaire sont passés et, à 61 ans, le Belge, installé à Liège, riant et blagueur, est revenu sur son incroyable parcours.
LE FIGARO. - Jean-marc, il y a trente ans, vous libériez les footballeurs en leur permettant de jouer où ils le souhaitaient en Europe. Avez-vous célébré cet anniversaire ?
JEAN-MARC BOSMAN. - Non, je n’ai pas préparé de gâteau d’anniversaire, pour vous dire la vérité. J’en ai longtemps voulu à la terre entière. Tout le monde a profité de cet arrêt, les joueurs, les clubs, la Fifa et L’UEFA, tout le monde du football, sauf moi. Mais aujourd’hui, j’arrive enfin à prendre tout ce qui m’est arrivé avec du recul et une certaine philosophie.
Depuis la sortie de votre livre, avez-vous reçu des témoignages de joueurs ou de dirigeants ?
Rien, toujours pas. Il y a eu une petite promotion ici, en Belgique, mais sans plus. La semaine passée, j’ai quand même été invité à un événement de paddle à l’initiative de l’ancien joueur Frédéric Piquionne. J’ai pu faire des photos avec de grands noms du football, Patrick Vieira, Blaise Matuidi, Rio Mavuba, Robert Pires. Il y avait une soixantaine d’anciens joueurs qui ont posé avec le livre en me disant : « Merci Jean-marc, car grâce à toi, nous avons super bien gagné notre vie. » Il y a au moins cette forme de reconnaissance de leur part.
Ce sont des joueurs de l’ancienne génération, mais les plus jeunes ?
Non, car je crois qu’ils ne savent pas ce qu’est l’arrêt Bosman… Il y a néanmoins eu un geste qui m’a beaucoup touché de la part de la famille Rabiot, il y a quelques années. Adrien avait été mis à l’écart de l’effectif, dans le fameux loft, en 2019. Je reçois un appel un soir, je décroche et une femme me dit : « Je suis madame Rabiot et j’aimerais vous aider pour le combat que vous avez mené il y a longtemps. » Je crois à des couillonnades et je me dis qu’on m’appelle encore pour de la pub. Elle insiste : « Non, non, on tient à vous aider. Donnez-moi vos coordonnées bancaires. » Quelques jours plus tard, mon compte a été crédité de 10 000 euros. Ensuite, elle est venue me voir chez moi à Liège avec une amie et le frère d’adrien. Elle m’a redonné 12 000 euros en me confiant que son fils lui aussi avait eu des problèmes similaires au mien, mais avec le PSG. Je lui ai répondu en plaisantant : «C’est bien dommage que tout le monde ne fasse pas comme vous, ce serait miraculeux ! » J’ai le souvenir d’une femme charmante, alors qu’on a peut-être eu tendance à la présenter dans les médias comme très dure en affaire. Elle n’a fait que défendre les intérêts de son fils.
Vous n’avez pas pu tirer profit de cet arrêt alors que le football est devenu, grâce ou à cause de vous, un immense business…
(Il réfléchit.) Effectivement. J’ai touché 200 000 euros de la part de la Fifpro (le syndicat professionnel des joueurs) en 1996 qui ont été taxés à 33 %. Et pour tout vous dire, j’ai été reconnu handicapé à 66 % avec un problème aux cervicales qui m’empêche de pouvoir tourner la tête correctement. Je touchais une indemnité de 1 750 euros mais on m’a retiré ma pension d’handicapé en fin d’année dernière. C’est extraordinaire, on a douze ministres de la santé ici en Belgique, ça doit être davantage que de lits disponibles dans les hôpitaux… C’est tragicomique, cette situation dans notre pays. Aujourd’hui, je n’ai pas de retraite de footballeur et plus rien du tout pour vivre. J’ai eu deux enfants dont un qui est encore à ma charge. La vie n’est pas évidente tous les jours pour faire les courses avec mon petit chariot.
Votre représentant a même lancé une cagnotte Leetchi…
Si quelqu’un veut faire un petit quelque chose, ce serait bienvenu. Je veux juste essayer de voir l’avenir un peu sereinement alors que je vais sur mes 62 ans. Je dois revoir la Fifpro avec un avocat concernant ma pension. Ils m’ont dit qu’ils aimeraient faire quelque chose pour moi. Aujourd’hui, le holding de cette organisation pèse 35 milliards d’euros alors qu’il y a trente ans ils n’avaient pas les mêmes moyens.
Durant le litige, on vous a proposé plusieurs accords à l’amiable, pourquoi n’avez-vous pas accepté ?
Au début de l’affaire, la Fédération belge m’avait proposé 450 000 euros brut. J’ai décliné. Plus tard, en septembre 1995, alors que le cas est examiné par la Cour de justice de la Communauté européenne, on m’a proposé à peu près 1 million d’euros mais on sentait alors que les conclusions de l’avocat général allaient nous être favorables. Mon avocat a répondu : « M. Bosman sait que sa carrière est foutue, ne le contactez pas à moins de 2,5 millions d’euros. » À ce moment-là, nous avions déjà décidé de ne plus négocier. Quel que soit le prix, alors qu’au début, quand j’ai envisagé de porter mon cas devant les tribunaux, des avocats m’avaient dit que je n’avais pas la moindre chance d’aller au bout et de gagner.
Pourquoi ?
Le combat politique a pris le dessus sur mon cas personnel. Je voulais mettre fin au système et rendre la liberté aux joueurs, tout simplement. Et puis j’imaginais l’avenir autrement, en étant reconnu dans le monde entier. Je pensais être réhabilité dans les clubs, auprès des joueurs, dans un rôle de consultant compte tenu du travail que j’avais fait durant ces longues années devant la justice. L’arrêt Bosman a fait tache d’huile partout dans le monde, de l’afrique aux îles Féroé et j’ai été reçu par Pelé, alors ministre des Sports. Mais mon téléphone n’a pas sonné.
Y a-t-il eu quand même quelques mains tendues ?
Le club de Newcastle m’avait proposé d’organiser un match en me reversant la recette de billetterie mais il n’a jamais été organisé. J’avais rencontré Pelé, Maradona, Cruyff et de grands footballeurs prêts à faire la même chose pour m’aider mais cela n’a pu se faire, notamment à cause de l’un de mes avocats. J’ai tout de même aussi reçu des dons de primes de match de la part d’internationaux néerlandais comme Edwin Van der Sar ou les frères De Boer. Sur trente ans, j’ai dû percevoir 45 000 euros, une misère. Si on divise cela par le nombre de membres de la Fifpro, soit 70000 adhérents, cela fait 0,64 euro ! (Sourire.)
Dans votre tête, vous aviez d’ailleurs imaginé une sorte de « taxe Bosman », rétribution de 100 euros par transfert international, ce qui aurait réglé tous vos problèmes…
Ils peuvent toujours la mettre en place s’ils le souhaitent. (Rire.) En 2024, il y a eu 78.000 mouvements internationaux dans le foot, il me semble. Faites le calcul, ne serait-ce que vingt euros par transfert, ça aurait fait de moi un homme très riche. Et la juste récompense de mon combat devant la justice.
En 2005, vous croisez Michel Platini qui vous lâche : « Toi, avec ton arrêt, tu vas rester dans l’histoire, comme Bic ou Coca-cola. » Que voulait-il dire ?
J’avais négocié des indemnités à la Fifa pour 310 000 francs suisses. À cette époque, j’en avais vraiment marre de tout cela. Il m’avait vu devant mon verre et sa phrase était pleine d’ironie je pense. La référence à Bic, c’était pour dire : « Tu t’es bien fait niquer », et le Coca Cola, c’était sans doute en référence au verre que j’avais entre les mains.
Justement, en plus de problèmes d’argent vous avez eu des pensées très noires et sombré dans l’alcoolisme et la dépression…
Oui, ça m’a poursuivi longtemps en Belgique, mais tout cela est derrière moi. Cela fait des années que je ne bois plus, même si je dois être suivi pour une cirrhose post-toxique. Je bois encore deux litres par jour mais de thé, d’eau et de café et mon foie se reconstruit. Quant aux pensées suicidaires, à un moment donné, je n’en pouvais plus. J’étais épuisé mais je suis parvenu à me raisonner en me persuadant que je n’avais finalement rien à me reprocher.
Cet arrêt a bouleversé le football en ouvrant le règne des clubs riches au détriment des petits clubs de nations secondaires. Est-ce l’effet pervers de l’arrêt Bosman ?
Oui et non. Prenez la Belgique, un petit pays de 11 millions d’habitants, nous avons deux clubs en Ligue des champions aujourd’hui, Bruges et l’union Saint-gilloise. Ce n’est pas si mal pour un petit championnat, non? Cette compétition ouvre aujourd’hui ses portes à beaucoup plus de monde qu’auparavant.
Mais depuis trente ans, c’est le règne des Real Madrid, Manchester United, Bayern Munich, Barcelone, PSG… Une surprise est devenue impossible...
L’arrêt a permis une activité économique sans précédent dans le football, d’abord en Europe, puis dans le monde. Si un ministre me prouve qu’il a créé autant d’emplois que moi dans toute l’europe, je suis prêt à lui tirer mon chapeau. Cet arrêt a profité à énormément de clubs, pas uniquement les plus aisés en permettant la libre circulation des joueurs dans d’autres pays.
Avec le recul et sachant les années difficiles qui vous attendraient, referiezvous un parcours identique ?
Je suis heureux de ce que j’ai réalisé. L’arrêt Bosman a changé la vie de tellement de joueurs et de familles entières qui ont pu découvrir des grandes métropoles : Amsterdam, Bruxelles, Londres, Madrid, Munich… Le nombre de transferts a explosé. Voir tout en noir ne sert à rien. Je ne suis qu’un petit bonhomme qui a quand même pu faire des choses extraordinaires et j’arrive à voir cela d’un oeil serein à mon âge. Ma vie est faite, ce qui m’importe c’est l’avenir de mes enfants. Mais, on va avoir une Coupe du monde qui va se jouer au Mexique, au Canada et aux États-unis l’été prochain et vous avez pu remarquer que c’était l’heure de la remise des médailles à la FIFA (Donald Trump a reçu le prix FIFA de la paix, NDLR). On pourrait m’en remettre une, celle de la liberté, non ?
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