MBAPPÉ FACE AU PSG 61 millions de consolation
La bataille juridique entre l’attaquant français et son ancien employeur s’est jouée mardi au conseil des prud’hommes de Paris. Le club a été condamné à verser la somme correspondant uniquement à ses salaires, primes et congés payés réclamés.
Si le jugement rendu mardi n’est donc qu’une semi-victoire pour les avocats de Kylian Mbappé, il n’en est pas moins une lourde défaite pour le club de la capitale.
17 Dec 2025 - Libération
PAR GRÉGORY SCHNEIDER
Le tribunal des prud’hommes de Paris aura sifflé la fin de la récréation : un écart de plus de 700 millions d’euros entre les réclamations des uns et des autres, les 263 millions demandés par les avocats de Kylian Mbappé et les 440 millions sollicités par les conseils du Paris-Saint-Germain. Mardi, le club de la capitale a été condamné à verser près de 61 millions au joueur. Soit les 55 millions de salaires et de primes non versés à l’attaquant international, plus 6 millions de congés payés, correspondant à la période où Mbappé a évolué sous le maillot parisien sans toucher un sou entre mars 2024 et juin 2024. Les quatre derniers mois de son bail au PSG, le capitaine des Bleus signant dans la foulée au Real Madrid sans que le club espagnol ne s’acquitte d’une indemnité de transfert, puisque le joueur était arrivé au bout de son contrat.
Les avocats de Mbappé se sont félicités de la décision du tribunal par communiqué : «Ce jugement confirme que les engagements pris doivent être respectés. Il rétablit une vérité simple: même dans l’industrie du football professionnel, le droit du travail s’impose à tous.»
M. Mbappé a quant à lui scrupuleusement respecté ses obligations sportives et contractuelles pendant sept ans et jusqu’au dernier jour. Il a tout tenté pour éviter un contentieux, allant jusqu’à retirer une plainte pour harcèlement dans un souci d’apaisement. Au total, cela fait plus de dix-huit mois qu’il demandait le paiement de ses salaires et primes.»
DEMANDES FANTAISISTES
Les juges n’ont cependant pas, de beaucoup s’en faut, suivi toutes les demandes du joueur. Pas trace des 37,5 millions d’euros réclamés pour harcèlement moral, Mbappé ayant été brièvement mis à l’écart du groupe professionnel en août 2023 parce qu’il refusait de prolonger son contrat avec le club parisien au-delà de juin 2024 avant de subir, une fois son intention de partir à Madrid formalisée à la direction parisienne en février 2024, des mises à l’écart ou des remplacements rapides en cours de match sous le prétexte de «préparer l’avenir», un élément de langage imaginé par la direction parisienne pour se couvrir juridiquement. Il n’aura pas plus obtenu la requalification de son CDD en CDI, ce qui aurait pu lui donner droit à des indemnités de requalification ainsi qu’à celles liées à un licenciement sans cause : les juges ont simplement suivi l’arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2018, validant le recours à un contrat à durée déterminée d’usage pour un joueur de football professionnel.
Si le jugement rendu n’est donc qu’une semivictoire pour les défenseurs du joueur, il n’en est pas moins une lourde défaite pour le club parisien, qui s’est vu débouté de toutes ses demandes. Du reste bien fantaisistes, entre les 180 millions demandés au joueur «pour atteinte à la loyauté des négociations contractuelles» (Mbappé ne se serait pas décidé dans un timing correspondant aux desiderata parisiens) et cette même somme réclamée au titre de «perte de chance de réaliser le transfert». Ce qui revient à interdire aux joueurs d’aller au bout de leur contrat sous peine de sanction financière, une véritable fantasmagorie juridique.
SUSCEPTIBLE D’APPEL
Cachant mal le véritable but poursuivi par Nasser al-Khelaïfi, le président parisien : multiplier les procédures pour accoler une image ingrate et vénale au joueur, une stratégie qui aura porté auprès des fans du club parisien, histoire de lui faire payer à la fois son départ et des attitudes jugées négatives lors de la fin de son bail parisien.
Au regard du droit, l’issue de l’affaire ne faisait cependant de doute pour personne. Pour autant, on n’en a peut-être pas terminé puisque le jugement rendu mardi est susceptible d’appel. Le conseil des prud’hommes a cependant assorti sa décision de l’exécution provisoire: le Paris-SG doit payer immédiatement. Et communiquer le jugement sur son site internet, dans toutes les langues où celui-ci est décliné. Les conclusions du tribunal des prud’hommes de Paris auront donc les honneurs d’une traduction en malais indonésien. Ça n’arrive pas tous les jours quand même.
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Sous le maillot du Real, des stats irréelles
Après deux saisons difficiles, Mbappé espère encore battre le record de buts sur un an détenu par Cristiano Ronaldo, portant sur ses épaules un club en crise.
17 Dec 2025 - Libération
G.S.
Et un de plus qui fait 63. Dimanche, au stade Mendizorrotza d’Alavés, l’attaquant des Bleus et du Real Madrid Kylian Mbappé a scellé la victoire (2-1) des Merengues en inscrivant son 63e but sur l’année civile 2025, le 56e avec le club espagnol. Il lui reste deux matchs, ce mercredi contre Talavera de la Reina (division 3) en 16e finale de Coupe du roi, puis samedi 20 décembre en Liga contre le FC Séville, pour atteindre ou dépasser le record du club de 59 buts établi par Cristiano Ronaldo en 2013. Après deux années difficiles, le Bondynois a remis la main cet automne sur ses superpouvoirs: l’impression visuelle de vitesse et de spontanéité est désormais très proche de ce que le monde entier avait sous le nez lors d’un Mondial qatari qu’il avait dévoré. Plutôt que d’apporter des réponses à des questions anciennes, cet état de grâce en pose en vérité de nouvelles. Mais il en est souvent ainsi aux altitudes où navigue la superstar madrilène.
Quel sens aurait ce record ?
En Liga comme partout, les inégalités se creusent : dimanche, le Real Madrid affichait un budget annuel dix-sept fois supérieur à celui du Deportivo Alavés, les buteurs des gros clubs cartonnant mécaniquement en proportion de l’écart entre leur équipe et les adversaires qu’ils croisent (en matière de talent, de profondeur d’effectif et de moyens mis en oeuvre autour de l’équipe, influence sur les arbitres comprise). Pour autant, le fait que le capitaine des Bleus évolue statistiquement dans les eaux de Cristiano Ronaldo montre qu’il tient son rang.
Et la pression qui va avec : pas tant externe que dans le vestiaire madrilène où Vinicius Junior (deuxième du Ballon d’or en 2024, le Français n’a jamais été classé aussi haut), Rodrygo et Jude Bellingham sont de fait vassalisés par un joueur qui a inscrit 17 des 34 buts des Merengues en Liga cette saison. Touché à une cheville avec les Bleus en octobre face à la sélection azerbaïdjanaise (3-0) et forfait en Islande, il avait été titularisé en Liga à Getafe dans la foulée : le Bondynois doit aussi assumer partout, tout le temps, coûte que coûte. Son efficacité entretient un lien presque fantasmatique entre le joueur et la marque Real, les deux devenant au fil des semaines de plus en plus indissociables, la réussite du club passant par le joueur et inversement. Rien moins que la notion de «franchise player» essentielle dans le basket professionnel nord-américain qui, de son propre aveu, a nourri l’attaquant madrilène dans sa perception du sport de haut niveau. Et la manière dont une équipe doit être structurée.
La dépendance du Real est-elle toxique ?
Matraqué par la direction du PSG dès que Mbappé lui a signifié qu’il ne prolongerait pas au-delà de 2024, le storytelling d’une équipe étale, sans superstars décidant à elles seules du résultat, doit être pris avec des pincettes. Sans Achraf Hakimi, Ousmane Dembélé et Gianluigi Donnarumma, ou même juste un des trois, le club de la capitale n’aurait pas été champion d’Europe en mai. Il n’en était pas moins une machine collective. Attendu depuis un an aux commandes techniques du Real, l’ex-entraîneur du Bayer Leverkusen Xabi Alonso a débarqué cet été avec trois objectifs : redonner le goût de l’effort à des joueurs qui avaient réussi à courir un demi-marathon de moins que leurs adversaires d’Arsenal lors des deux matchs de quart de finale (0-3, 1-2) de la Ligue des champions en avril, faire la transition après le départ des monstres sacrés qui ont fait gagner le club pendant dix ans (Toni Kroos, Luka Modric…) et hiérarchiser le vestiaire en conséquence.
Dans l’idée du président, Florentino Pérez, la nouvelle donne consiste à donner le leadership offensif à Mbappé, quitte à raccourcir les prétentions d’un Vinicius. Dès lors, difficile d’imputer la politique du club au joueur: Mbappé est une pièce du puzzle. Certes centrale, autour de laquelle l’équipe doit s’organiser collectivement. Lors de ses interventions médiatiques post-match, le Bondynois renvoie depuis cinq à six semaines ses coéquipiers à leurs devoirs, notamment au niveau de l’engagement, entendant implicitement qu’il sait devoir aussi prendre sa part. Assurément plus importante, mais Mbappé a grandi avec la conviction forte, inébranlable, que l’équipe passe par lui, comme la sélection argentine passait par Diego Maradona ou Lionel Messi. L’histoire du foot raconte que la réussite d’un tel projet passe par la stature du joueur concerné et le degré de dévotion qui l’entoure dans le vestiaire.
Le contexte madrilène peut-il le rattraper ?
Donné partant avant la victoire du Real sur la pelouse d’Alavés (2-1) dimanche, Xabi Alonso a reconnu après le match les insuffisances de son équipe, par ailleurs déjà battue deux fois en Ligue des champions : «Nous continuerons à lutter, mais nous avons besoin de consistance.» Cinq mois pourtant que le Basque est aux commandes de l’équipe, dans un club où rien (nécessité de reconstruire, succès passés…) ne justifie de perdre un match et où une quinzaine de joueurs ont gagné la Ligue des champions il y a seulement dixhuit mois : c’est tout le projet qui tangue. Et il ne se passe pas trois jours sans qu’un média espagnol ne se fasse l’écho du mécontentement réel ou fantasmé de certains joueurs, le nom de Jude Bellingham revenant souvent.
Dit autrement, si l’efficacité de l’attaquant des Bleus et l’imprimatur de Florentino Pérez mettent le Bondynois hors de portée sur le strict point de vue du jeu, il est attendu sur sa capacité à fédérer et pousser ses voisins de vestiaire un cran plus haut. Un chantier que Mbappé a ouvert en équipe de France quand il a pris le brassard de capitaine en mars 2023 sans jamais avoir été contesté depuis : si certaines initiatives (le communiqué à teneur politique avant les législatives de 2024, son absence lors du récent déplacement des Bleus en Azerbaïdjan) ont pu surprendre, ou si un Aurélien Tchouaméni, par ailleurs coéquipier de Mbappé au Real, a parfois pris sur lui dans un souci d’apaisement, les tricolores sont bien les premiers à savoir que Mbappé n’est pas un joueur comme un autre. Et son rôle de locomotive est communément admis, quand bien même il irait avec quelques maladresses. Reste à imposer cette vision à Madrid.
Que s’est-il passé entre 2023 et 2025 ?
A l’aune de la carrière du joueur, son rendement depuis quelques mois est dans ses standards : c’est la longue éclipse qui intrigue, entre le début de la guérilla que lui a menée la direction parisienne en août 2023 et les premiers signes du retour au premier plan du joueur au printemps dernier, étant entendu qu’il n’aura jamais cessé de marquer des buts dans l’intervalle. Mbappé s’est exprimé une unique fois sur le sujet, en décembre 2024 sur Canal +.
Il avait alors rejeté l’hypothèse de la dépression : «Laissez-la où elle est, la dépression. On parle d’un truc grave. Il ne faut pas déconner avec ça.» Avant d’évoquer sa propre structure mentale et l’influence du changement de cadre sur son fonctionnement : «Moi, j’ai toujours voulu savoir où j’étais, avec qui et comment. Je suis dans l’apprentissage. Les joueurs sont des êtres humains. Ils ont des forces, des faiblesses, des doutes, parfois ils manquent de confiance… J’ai dû me connecter avec un nouveau climat.» Loin, très loin de l’image de la superstar boulimique et invulnérable qui prévalait depuis ses débuts. Et qui se superpose à nouveau sur les wagons de buts entassés par l’attaquant en mondovision.

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