Ligue des champions - Derrière le succès du PSG, le discours et la méthode Luis Enrique
La victoire des Parisiens face à Arsenal (2-1), mercredi, en demi-finale retour de la compétition reine a provoqué des scènes de joie dans la capitale. Croyance, jeunesse et départ des stars…
Tour d’horizon de ce qui a mené le club jusqu’en finale, face
«Le coach nous dit de toujours y croire quoi qu’il arrive,
de rester focus sur ce qu’il nous dit de faire.»
- Ousmane Dembélé
Joueur du PSG
9 May 2025 - Libération
Par Grégory Schneider
«Mikel [Arteta] est un très bon ami. Mais, je ne suis pas du tout d’accord avec lui.» Il était minuit passé dans la nuit de mercredi à jeudi, quand les reporters présents ont vu débarquer dans l’amphithéâtre du Parc des princes un Luis Enrique victorieux, froid comme une lame et un peu menteur : le coach du ParisSaint-Germain n’a pas d’ami dans le football. Pas plus l’entraîneur d’Arsenal qu’un autre. Ça fait sans doute le prix de l’Asturien: droit, dogmatique, manipulateur en rien et vingtcinq ans de psychanalyse au compteur, un domaine sur lequel il essaie d’ouvrir les joueurs qui passent entre ses mains.Des supporters aux abords du Parc des princes mercredi soir après la victoire du PSG et sa qualification pour la finale de la Ligue des champions.
Arteta venait d’expliquer qu’Arsenal, battu deux fois (2-1 mercredi, 1-0 à Londres une semaine plus tôt) en demi-finale de Ligue des champions par Marquinhos et consorts, avait été «meilleur mais malchanceux». Renvoyant aux mérites considérables du gardien parisien Gianluigi Donnarumma, aussi décisif que lors des deux tours précédents. Déloyal envers son propre gardien David Raya, qui a tout de même sorti un penalty, mais quelques statistiques viennent à la rescousse du coach londonien: plus d’attaques (61 à 26), plus de kilomètres parcourus (118 à 115), plus de frappes au but (19 à 11). Pour autant, Luis Enrique a raison. Ça n’a pas fait un pli. Les Gunners ont donné l’impression de couper les gaz passé la demi-heure de jeu, laissant un public parisien chauffé à blanc s’inviter dans la partie.
Qu’est-ce qui a basculé ?
Ce club distant, à bien des égards coupé du substrat géographique parisien où il évolue (la maire de Paris Anne Hidalgo a longtemps été persona non grata dans les tribunes du Parc), a déclenché des scènes de liesse jusqu’au milieu de la nuit dans tous les quartiers de Paris, y compris rive gauche où les habitants entretiennent un rapport plutôt lacunaire au ballon en général et au PSG en particulier. Au-delà du résultat sec et des performances à répétition d’une équipe qui aura déblayé les trois formations les mieux classées de Premier League (Liverpool et Manchester City en plus d’Arsenal) ainsi que la septième (Aston Villa), il faut se poser la question de ce que les joueurs parisiens dégagent, leur force expressionniste.
Au Parc mercredi, celle-ci avait à voir avec la souffrance. «En termes de passion, d’intensité, le match n’a pas déçu, a jugé Luis Enrique, laissant deviner en creux qu’il y aurait eu à redire sur le plan technique. Arsenal était venu gagner et, pendant la première période, ils ont tiré le match vers leur point fort. On a dû disputer un type de match qu’on ne voulait pas jouer. C’est le foot, on doit s’adapter et on l’a plutôt bien fait.» Aussi loin que l’on remonte, cette faculté à mettre les mains dans l’eau de vaisselle et à subir avec humilité est nouvelle dans l’ethos parisien, jadis porté par l’ego et le talent surnaturel de ses stars. Elle est raccord avec l’idée d’une page blanche, Doha ayant réinitialisé le logiciel de l’équipe et joué la carte jeune à (très) grands frais : 650 millions d’euros estimés pour les deux derniers mercatos estivaux. Après le match, le capitaine brésilien Marquinhos, le dernier à avoir vécu les temps héroïques (Thiago Motta, Zlatan Ibrahimovic, Neymar, Kylian Mbappé…) et les crashs à répétition, jetait un regard rétrospectif sur ses années dans un club qu’il a rejoint en 2013 à 19 ans: «Les déceptions donnent de l’expérience. Ce sont des cicatrices qui restent dans la carrière d’un joueur. Ça te fait grandir et profiter au maximum quand l’équipe est bien, devant au score. Certains [pratiquement tout le monde en fait] viennent d’arriver au PSG et je leur rappelle que cet ADN, cette mentalité ne sont pas acquis, il faut du temps pour la construire. Certains n’ont plus la chance d’être là. Moi, je profite au maximum d’être toujours dans cette équipe.» C’est cette dernière qui aura tiré le Brésilien vers la lumière. Pas le contraire. Luis Enrique n’a de cesse de rappeler qu’il est là pour faire à sa manière, en toute indépendance d’esprit : une équipe sans mémoire, c’est d’abord une équipe sans stigmate.
Pourquoi le PSG est-il en finale ?
Parce qu’avec ses 800 à 900 millions d’euros de budget pour la saison 2024-2025, le club sous pavillon qatari navigue bien au-dessus des 500 millions de rigueur permettant de jouer la gagne dans la compétition reine: une condition nécessaire, mais pas suffisante puisqu’il y a une dizaine de clubs engagés en Ligue des champions dans le même cas. Après la qualification, Luis Enrique est revenu sur l’automne compliqué du club sur le front européen, trois buts et quatre points seulement après les quatre premières journées lors des phases de poule: «J’ai défendu très souvent au fil de la compétition que ce qui se voit, c’est le résultat. Mais lors du tour de poule, on méritait neuf points de plus, sans aucun doute. Au fil de ces mois, les statistiques montraient qu’à part l’efficacité, on était l’une des meilleures équipes d’Europe sur le plan des occasions crées, des xG [buts raisonnablement attendus par rapport aux opportunités créées devant le but, ndlr], sur le contrôle du jeu, etc. Et quand l’efficacité est revenue à un niveau normal, les gens ont compris.» Certains de ses joueurs aussi du reste, aussi sceptiques que l’environnement du club sur les arguties du coach asturien. Reste que selon des proches de joueurs pas particulièrement amènes envers le management de Luis Enrique, celui-ci a développé à la longue une forme de croyance. Alimentée par les datas mais aussi la force de conviction et l’absence totale de doute de l’entraîneur au fil des mois. Et c’est cette croyance qui a permis de traverser les tempêtes, après la défaite initiale (0-1) contre Liverpool en huitième de finale ou lors du retour (défaite 2-3) contre Aston Villa en quart de finale.
«On a beaucoup de personnalité, expliquait l’attaquant des Bleus Ousmane Dembélé à Birmingham. L’équipe ne lâche rien. Le coach nous dit de toujours y croire quoi qu’il arrive, de rester focus sur ce qu’il nous dit de faire. C’est de la personnalité de l’équipe que l’on parle et on donne tout jusqu’à la dernière minute.» A ces altitudes, au PSG ou ailleurs, le manque d’envie ou d’investissement est un mythe. En revanche, le découragement et le sentiment d’impuissance existent. Les joueurs d’Arsenal l’ont du reste éprouvé lors des deux matchs. Dembélé explique que les joueurs parisiens voient toujours la lumière allumée.
L’équipe s’est-elle renforcée en perdant Mbappé ?
Provocatrices en ce qui nous concerne, la question et la réponse afférente sont partout. Sans même que le président du club, Nasser al-Khelaïfi, ait eu le besoin d’en rajouter publiquement pour justifier après coup le virage marketing décidé par Doha après le départ du capitaine tricolore. Le Bondynois a de fait été en difficulté lors de sa dernière saison parisienne. Il se sentait à la fois isolé, avec le sentiment que la direction du club jouait contre lui, et constamment menacé; ses fréquents passages sur le banc, son repositionnement dans l’axe pour laisser le flanc gauche à Bradley Barcola et un salaire qui n’est plus tombé dès le mois de mars, fragilisant un joueur qui, on se tue à le dire, est autrement vulnérable que son aisance dialectique, le laisse supposer.
Surtout, le départ d’un joueur pareil change à la fois les équilibres et les lignes de force dans des proportions cosmiques. Où l’on reparle de l’étrange argument utilisé en fin de saison passée par Luis Enrique à chaque fois qu’il mettait l’attaquant des Bleus sur le banc, pour complaire (mais ça, il oubliait de le dire) une direction plaidant pour une mise à l’écart pure et simple de la star : «Je prépare l’avenir.» De fait, l’ancien sélectionneur de la Roja espagnole a sans doute gagné un peu de temps. Et sa capacité à faire rapidement grandir les jeunes joueurs a fait le reste: trois d’entre eux (Warren Zaïre-Emery, Bradley Barcola et Désiré Doué) ont été appelés pour la première fois en équipe de France depuis qu’il entraîne le club de la capitale. Souvent utilisée par les détracteurs de Mbappé, la pusillanimité que l’on prête au Madrilène sur les efforts apparaît surjouée.
S’il court peu comparé aux joueurs qui l’entourent, 8 kilomètres par rencontre de Ligue des champions alors que la norme tourne autour de 11, Dembélé n’en avale jamais que 8,6 dans un rôle d’attaquant de pointe assez similaire à celui qu’occupait son prédécesseur à ce poste.
Le PSG est-il favori contre l’Inter Milan le 31 mai ?
Pour maîtriser des situations qu’il vivait chaque saison quand il jouait au Real Madrid ou au FC Barcelone, Luis Enrique a méthodiquement mis la charge de la pression sur le club lombard : «Je n’oublie pas que c’est leur deuxième finale en trois ans [après celle perdue en 2023 contre Manchester City, 0-1]. C’est une équipe déjà prête, où il y a eu très peu de changements dans l’effectif.
Avec une grosse mentalité, très forte avec le ballon ou sans. On a vu une demi-finale retour contre le FC Barcelone [4-3 après prolongations mardi, 3-3 à l’aller] d’un très haut niveau. Ils ont davantage d’expérience, pas seulement du fait de l’âge [des joueurs] mais ils ont déjà gagné trois Ligues des champions», en 1964, 1965 et 2010, cette dernière sous la mandature de l’entraîneur portugais José Mourinho. Il y a prescription.
Au vrai, l’Inter Milan est le reflet inversé du PSG 2024-2025 sur bien des points. Mardi, ce sont les vieux fusils du club milanais qui l’ont porté un tour plus loin : un Francesco Acerbi (37 ans), qui a laissé derrière lui une vie à ne pas dépasser le milieu de terrain comme tout bon défenseur italien qui se respecte pour égaliser et arracher la prolongation, et le gardien suisse
Yann Sommer (36 ans), dont l’état de grâce a renvoyé l’attaquant catalan Lamine Yamal à ses rêves de ballon d’or. Et ses miraculés : Lautaro Martínez n’aurait jamais dû reprendre si tôt, le buteur décisif en prolongations Davide Frattesi était incapable de s’entraîner la veille, Denzel Dumfries et Marcus Thuram ont dû abréger leur convalescence et serrer les dents… Une caravane furieuse, usée jusqu’à la corde après une saison interminable, selon l’entraîneur du club, Simone Inzaghi. Et qui s’accomplit depuis des mois dans le déséquilibre et le chaos, encaissant des wagons de buts tout en se débrouillant toujours pour en mettre un de plus. Si le Paris-SG est une équipe difficile à lire, capable d’évoluer sur des registres différents, l’Inter avance à coeur ouvert. On ne manquerait ça pour rien au monde.

Commenti
Posta un commento