En sursis à Paris, Bayrou s’offre un Tour à Pau
PHOTO JEFF PACHOUD.AFP - François Bayrou, maire de Pau,
lors du passage du Tour de France dans la ville, le 9 juillet 2016.
Dans son fief du Béarn, qui accueille ce samedi l’épreuve pour la soixante-seizième fois, une brève parenthèse mêlant vélo et événement populaire attend le Premier ministre, menacé de censure par l’opposition.
19 Jul 2025 - Libération
Par Jean-Baptiste Daoulas et Quentin Girard Envoyé spécial sur le Tour
Ce samedi, peu avant midi, Tadej Pogačar aura une obligation en plus du protocole habituel. Le Slovène, écrasant leader du général, devra se rendre dans le Bois Louis, à deux pas du stade PhilippeTissié de Pau (Pyrénées-Atlantiques) et du départ du jour, pour inaugurer son nouveau totem jaune. Chaque année, le vainqueur du Tour précédent se doit d’inaugurer le fétiche à sa gloire dans ce musée à ciel ouvert. Qu’il en ait envie ou non. A ses côtés, Christian Prudhomme, le patron de l’épreuve, et François Bayrou. Le Premier ministre et maire de Pau pourra savourer: c’est lui qui a eu l’idée de cet espace, inscrivant un peu plus sa ville dans l’histoire de la Grande Boucle.
Qu’il fait bon être un Premier ministre en sursis sur les routes du Tour. Après le passage de Macron jeudi, lors de l’étape d’Hautacam, Bayrou s’octroie une journée loin des menaces de censure de l’opposition sur son tour de vis budgétaire. Serrage de pinces dans les rues de sa ville et balade tranquille dans la voiture de Prudhomme. Ce samedi, les emmerdes que son ancrage local lui vaut depuis décembre resteront en sourdine. Pas de reproches sur l’embarrassant cumul de son mandat de maire avec le poste de Matignon, objet d’une polémique en décembre, en pleine crise de l’ouragan Chido à Mayotte. Presque pas non plus d’embarras au passage du peloton à Lestelle-Bétharram, où le collectif de victimes de Notre-Dame de Bétharram n’a pas prévu de coup d’éclat contre le chef du gouvernement, accusé de ne pas avoir retiré son soutien à l’établissement catholique dans les années 1990.
«Petit moment d’insouciance»
«Même au sommet de l’impopularité, les présidents de la République ou les Premiers ministres bénéficient de la bienveillance des spectateurs», notait Bayrou dans un entretien croisé avec le patron du Tour, publié le 3 juillet dans Paris Match. Avec une cote de popularité à 19% selon le dernier baromètre Ipsos en juillet, voilà une observation rassurante.
«Pour les gens du bord de la route, le Tour c’est un petit moment d’insouciance qui ne va pas changer fondamentalement leur vie. Pour les politiques aussi, c’est une parenthèse, une sorte de coquille», confirme Christian Prudhomme, croisé jeudi matin, à Auch (Gers). «Le public du Tour est un public extrêmement sympathique, une force tranquille, ajoute Marc Madiot, le manager de la Groupama-FDJ. C’est la France profonde, c’est pas des gens qui sortent avec des banderoles et des pavés. Depuis les années 1980, le rendez-vous est quasi annuel à Pau. La préfecture des Pyrénées-Atlantiques accueille l’épreuve ce samedi pour la soixante-seizième fois. La troisième ville la plus souvent visitée après Paris et Bordeaux, presque 80.000 habitants, est la porte d’entrée des Pyrénées, la seule avec une capacité hôtelière suffisante. «Entre l’organisation et les équipes, nous réservons 1850 lits tous les soirs. Autour des Pyrénées, on ne peut loger qu’à Toulouse ou ici, sinon il faut aller en Espagne ou en Andorre», détaille Christian Prudhomme.
La ville est la seule en France à avoir une adjointe «déléguée au Tour de France», la même depuis 1983, Josy Poueyto. Elle l’était officiellement jusqu’à être élue députée Modem en 2017, mais garde la charge officieusement. Celle que tout le monde appelle «madame Tour de France» nous chante au téléphone les louanges de la cité et de la continuité entre François Bayrou, maire depuis 2014, et le socialiste André Labarrère, à la tête de la ville de 1971 à 2006: «C’est les mêmes bonshommes.» Elle loue désormais «la réelle amitié» entre Bayrou et Prudhomme. «Candidate permanente» pour recevoir le Tour, l’agglo n’a pas besoin d’envoyer un nouveau dossier chaque année. En revanche, le prix reste le même que pour les autres: 120.000 euros pour un départ, 200.000 pour une arrivée.
Un coût que personne n’envisage de sabrer, même dans l’opposition. «Ce n’est pas un débat, reconnaît l’élu Jérôme Marbot, qui défendra les couleurs du PS aux prochaines municipales. C’est devenu une habitude. Au contraire, si le Tour ne passe pas, les Palois ne sont pas contents.» François Bayrou «voit le Tour comme une opportunité. Il s’inscrit dans la continuité, mais il ne peut pas s’en attribuer la paternité, le mérite. Le Tour était là avant lui, et il sera là après», critique de son côté l’élu Jean-François Blanco, tête de liste écolo pour 2026. Les deux remarquent que, si Pau se plie en quatre pour le grand barnum d’ASO, qui organise le Tour, elle n’est pas à la pointe pour les déplacements du quotidien. «La politique vélo de Bayrou se réduit au strict minimum», tacle Marbot. «Il est étranger à ce sujet, comme à l’écologie en général, ajoute Jean-François Blanco. C’est un homme du passé. Il ne comprend pas la mutation dans laquelle on est engagé.»
«Allégorie de l’effort»
Rien qui ne puisse gâcher la passion de l’ancien professeur pour la Grande Boucle. «Il n’a jamais raté une étape depuis que je le connais», témoigne l’un de ses amis. Le Premier ministre est intarissable sur ses souvenirs de spectateur. Il revoit encore la victoire à Pau de son héros d’enfance, Raymond Mastrotto, en 1967. Un sport «dramatique comme au théâtre», admire-t-il.
Une résonance avec la politique, aussi. Combien de ses proches l’ont déjà entendu décrire la scène du cycliste à bout de souffle, en pleine ascension d’un col, qu’un spectateur assis sur une chaise pliante houspille: «Allez, vas-y, pédale!» Exégèse d’un proche de Bayrou: «Les hommes politiques ont l’impression de se défoncer, de faire le maximum, et les Français les prennent pour de grosses feignasses. Pour lui, le Tour est une allégorie de l’effort et de ce mélange de dureté et de gentillesse du public.» Le Palois célèbre aussi le Tour comme le reflet d’une France, «ce pays individualiste», presque étonnée de communier ensemble sur les bords de route. «Pour moi, ce n’est pas l’âme du pays, mais l’âme de ce que voudrait être le pays», développe-t-il dans Paris Match. Cette ambiance, les politiques la jalousent et l’aimeraient plus qu’une journée par an. Bayrou verrait bien Christian Prudhomme au gouvernement? Long rire gêné de l’intéressé: «Je me sens très bien comme directeur du Tour de France. J’ai l’immense chance qu’on me dise neuf fois sur dix merci. Pour les politiques, c’est très différent.»
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Dans les Pyrénées, derrière Mattéo Vercher, l’infortuné bon dernier
Vendredi, on a suivi en voiture lors du contre-lamontre à Peyragudes le grimpeur de la Total Energies, pas verni depuis le début de l’épreuve, alors que Pogacar a écrasé davantage le Tour en remportant l’étape.
Q.Gi. Envoyé spécial sur le Tour
Vendredi, dans la chaleur pyrénéenne, aux abords du lac de Génos, on s’est glissé dans une voiture de l’équipe TotalEnergies, lors d’un contre-la-montre en côte. A force de voir triompher Pogacar presque tous les jours, on avait envie de passer un peu de temps derrière un humain dont on comprend les performances. Qui de mieux que Mattéo Vercher, actuel dernier du classement? Entre Loudenvielle et Peyragudes, en Haute-Garonne, à deux pas de l’Espagne, les Italiens appellent joliment l’étape du jour un cronoscalata. Ils ont un don pour nommer poétiquement des horreurs : ce jour, 10,9 km dont 8 de montée à 7,9%, et 500 derniers mètres vers un altiport d’une raideur traumatisante.
Lors de la première étape, Mattéo Vercher a chuté en mondovision. Un bête accident lors d’un sprint intermédiaire dans le Nord. Pour gagner un petit point et un maillot à pois, son compagnon d’escapade Benjamin Thomas (Cofidis) a glissé et l’a emporté avec lui.
Père peinard.
Ça arrive. Ça fait partie du vélo. Depuis, le jeune coureur prometteur de 24 ans, qui est encore tombé un autre jour, traîne sa peine. Au général, ça se ressent : il est une solide lanterne rouge. Si, fut une époque, d’aucuns purent en tirer une certaine gloire, lui se passerait bien de ce titre. Vainqueur cette année du Tour du Doubs, sa première victoire pro, deuxième de la 18e étape de la Grande Boucle en 2024 derrière Victor Campenaerts, il avance: «J’espère pouvoir inverser les choses.»
Etre dernier a ses petits avantages. Lors d’un contre-la-montre, on ouvre la route. Tout le monde vous encourage. La vue est dégagée. Vercher: «Il faut un premier et un dernier. C’est cool de partir le premier. Le public attend depuis un moment, il est bien bien chaud, il connaît ton nom. La bosse passe plus vite.» Vendredi, le gamin originaire de la banlieue lyonnaise s’élance à 13h10, quatre heures avant Pogačar. Un autre monde. Vercher veut simplement arriver dans les délais. Le matin même, ils ont été rehaussés de 33% à 40% (1). Avec le monstre slovène, on ne sait jamais. Le coureur de la TotalEnergies s’élance pleine balle. La voiture, conduite par un des assistants de l’équipe, Fabrice Bernard, la quarantaine, suit. A ses côtés, Dimitar Dimitrov, la cinquantaine, un autre assistant sportif. Il est chargé de donner des consignes dans l’oreillette et de surgir du véhicule en cas de pépin mécanique, pour changer une roue ou de vélo. En père peinard qui en a vu d’autres, il lance des phrases rassurantes : «Ça va aller vite.»; «Profite encore un peu, après ça monte.»; «Cool ici, prends de la vitesse et tu vas gagner 500 mètres en montée.» Les charmants petits hameaux défilent avec leurs cortèges habituels de drapeaux publicitaires, de supporteurs schtrumpfés de tee-shirt à pois ou de pancartes en hommage à toute une palanquée de sportifs. Le fan-club de Mathieu Burgaudeau hurle en petite tenue. Un homme joue à la trompette la Marseillaise. D’autres abusent de cornemuses en plastique.
A l’oreillette, Dimitar Dimitrov a la parole retenue. Il sait que Mattéo Vercher est un discret, un introverti, préférant se réfugier dans sa bulle pour se concentrer sur la route. Parfois, l’assistant joue avec la réalité. A 8 kilomètres de l’arrivée, alors qu’il reste tout à faire: «Allez, tu me fais ça vingt minutes et on est bon.» Puis, «quinze minutes encore, c’est une fois, deux fois, trois fois cinq». Ou : «Regarde tout droit devant toi», pour que son protégé évite de jeter un coup d’oeil vers le haut, face à un mur vert qui nous laisse pantois.
Titans insatiables.
Lorsque la magnifique vue se dégage, dans les pourcentages de montée les plus intenses, Mattéo Vercher est à 12km/h. Il termine en trente minutes et une seconde. Peu avant la ligne, il se lance dans un wheeling, une roue avant. Le public s’en amuse. Lui aussi. Il se précipite dans un bain glacé. Il sait que la route est encore longue avant Paris, surtout quand on doit vivre avec la douleur. Il dit, presque badin, comme s’il faisait une liste de course : «Je me suis tapé deux fois le bassin, j’ai le sternum bloqué et mon épaule droite se déboîte. Elle a dû se reluxer au moins cinq fois.» Il faudra tenir jusqu’au bout. La route est encore longue et épuisante, surtout avec la cadence démente du peloton. «C’est un truc de fou, reconnaît Vercher. Dans les vallées, sur le plat, on est à 55, 60 à l’heure. Pour attaquer, faut être à plus de 60 à l’heure mais moi avec mon gabarit, c’est impossible…» Sur le Tour, les plus forts sont des titans insatiables. Ils ne laissent rien, même pas des miettes. Le plus puissant d’entre tous, Tadej Pogacar, est Cronos, le maître du temps. Il est si obsédé par ses rares défaites précédentes que dévorer ses adversaires est son unique but. Jeudi, pour se venger d’avoir perdu à Hautacam en 2022 face à Jonas Vingegaard, le grimpeur Slovène a collé 2’10" au Danois blafard. Une performance comparable à celle du super vilain Bjarne Riis en 1996. Vendredi, encore vexé de la leçon reçue à Combloux en 2023, il a survolé le chrono, reléguant son adversaire préféré à trente-six secondes. Quand le Slovène a franchi la ligne, Mattéo Vercher, 156e du jour, était déjà à l’hôtel à Lourdes. Béni soit-il.
(1) Les coureurs ne doivent pas être 40 % plus lents que le premier, sous peine d’être éliminés.
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