Milan, le géant vert sort du déluge
CYCLISME Dans la 17e étape, entre Bollène et Valence (160,4 km), victoire au sprint de l’italien Jonathan Milan (Lidl), rescapé d’une chute collective. Ce jeudi, entrée dans les Alpes.
24 Jul 2025 - L'Humanité
Envoyé spécial. JEAN-EMMANUEL DUCOIN
Acte I, scène 1. Avec un peu de collyre dans les yeux, la grande remontée vers les contrées étouffantes de la vallée du Rhône nous offrait une clarté absolue. Entre Bollène et Valence (160,4 km), le peloton quitta donc sans se retourner le Géant de Provence et les souvenirs fabuleux du triomphe de Valentin Paret-peintre, cinquième Français de la Grande Histoire à vaincre le Ventoux. Par le Vaucluse et la sublime Drôme, nous vécûmes le retour d'une étape dite de « transition » avec deux minicols au programme (4e cat.), un profil a priori promis à un sprinteur. Avant d'attaquer, jeudi et vendredi, les montagnes alpestres qui, d'ordinaire, marquent la course de son sceau céleste. Ou pas.MARCO BERTORELLO/AFP L’arrivée de Jonathan Milan (à gauche), à Valence (Drôme), le 23 juillet.
MONSTRUEUX RECORDS DE MUTANTS
L'ambiance oscilla entre l'électrique des nerfs à vif, afin de prendre la bonne échappée, et une certaine normalité des jours plus calmes, quoi que tout soit relatif sur le Tour. Une belle bataille s'engagea dès le kilomètre zéro, dès les faubourgs de Bollène, sachant que le plat absolu n'exista jamais en s'aventurant sur ces contrées. Quatre courageux prirent la poudre d'escampette, Pacher, Burgaudeau, Abrahamsen et Albanese, sans avoir l'assurance d'un ticket gagnant. Beaucoup misaient sur un éventuel coup de théâtre pouvant survenir d'une « opération bordures », si le vent se mettait à souffler.
Acte I, scène 2. Le chronicoeur, qui en a vu d'autres en 36 éditions, s'attendait à quelques commentaires acerbes, à la suite du spectacle dans le Ventoux. Sur le site cyclisme- dopage. com, le pourfendeur du dopage, l'ami Antoine Vayer, expliquait ainsi : « Deux records monstrueux ont été battus par Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, nos deux mutants habituels. » Et il entrait un peu dans le détail : « Primo, celui de la montée du Ventoux depuis SaintEstève jusqu’au Chalet Reynard,
9,53 km dans les bois à 9,19 % qui appartenait à Nairo Quintana depuis 2020 en 28’05’’. Quatre secondes de mieux (28’01’’) pour le tandem VingegaardPogacar, soit du 20,4 km/h de moyenne pour 464 watts-étalons. Secundo, celui de la montée du Ventoux depuis Saint-estève, 15,7 kilomètres à découvert avec du vent contraire à 10 km/h sur le haut à 8,54 %, un record qui appartenait à Iban Mayo depuis 2004, 45’47’’. C’est donc une minute de mieux pour
Pogacar-Vingegaard, soit du 21 km/h pour 455 watts-étalons. »
Du déjà-vu. Mais cette fois, Antoine Vayer allait plus loin : « Derrière ces deux mutants, d’autres performances nous paraissent surnaturelles comme celles de Ben Healy et de Valentin Paret-peintre. Nous allons prendre le temps de vérifier et d’affiner. Nous dénombrerons aussi les incroyables et répétées attaques à 500600 watts du Français (50 kg pour 1,78 m) et de l’irlandais dans la montée. » Pour Vayer et ses spécialistes, « il y a un truc » , car cette « débauche de puissance » serait « impossible humainement » . Et Antoine Vayer enfonça le clou : « On dit que les voleurs ont toujours une longueur d’avance. Ou plusieurs. Peut-être qu’on peut en trouver une dans les modificateurs allostériques de l’hémoglobine. » Le discrédit était jeté… et pas uniquement sur Pogacar-vingegaard. Chacun pensera ce qu'il voudra. À suivre.
Acte II, scène 1. Alors que les échappés voyaient leur avance fondre à moins d'une minute, un ciel nuageux et endiablé ronronna, crachotant parfois, menaçant souvent de se fendre. Et le vent se dressa de face, après le col de Tartaiguille (3,6 km, 4e cat.), à 40 kilomètres du but, dans lequel Wout Van Aert s'extirpa du peloton dans un geste désespéré. Nous guettâmes les bastons en cours pour le maillot vert de Jonathan Milan (Pogacarla-menace), pour le classement de la montagne et les velléités de Lenny Martinez (toujours le spectre Pogacar), puis les choses entrèrent dans le dur de la gagne. Quelques grosses armadas embrayèrent ( Lotto, Lidl, etc.). C'en était sans doute fini pour nos quatre éclaireurs empanachés.
UN SPRINT SANS GLOIRE
Acte II, scène 2. La pluie s'annonça, comme une alliée imprévue des fuyards, les chaussées devinrent dangereuses. Un déluge, et un vent tournant. Une bordure, une glissade, nos héros de juillet franchirent dès lors des seuils inconnus qui menaçaient de les meurtrir à tout instant. Le scénario fut pourtant taillé sur mesure. Rien ne put empêcher le retour du peloton, lancé à pleine allure malgré les risques. À 4 kilomètres de Valence, le rescapé Abrahamsen, entré seul en résistance, céda avec les honneurs. Le sprint, façonné pour une puissance brute malgré les trombes d'eau, revint évidemment à l'italien Jonathan Milan (Lidl). Mais sans gloire, puisque, à 800 mètres de la ligne, une chute brisa le peloton, éliminant la concurrence. Dans cet emballage à une dizaine d'unités, ce fut le retour du géant vert (1,94 m, 84 kg, 46 de pointure), et de précieux points pour son paletot, lui qui tractait sa désolation depuis les Pyrénées.
Épilogue. Avant de penser à la suite, le chronicoeur refusa des cookies et dégusta plutôt un « suisse », ce biscuit sablé à la fleur d'oranger en forme de soldat pontifical, spécialité de Valence depuis plus de deux cents ans. Et il se souvint d'une pancarte aperçue sur le parcours, peu après la traversée de Dieulefit : « Messieurs les coureurs, restez des Humains. » Ce jeudi, vers Courchevel, bien d'âmes en souffrance le souhaiteront ardemment. Trois cols hors catégorie se dresseront sous les roues des rescapés : le Glandon, la Madeleine, et puis l'apothéose avec l'arrivée au sommet du fameux col de la Loze, infernale et monstrueuse montée (26,4 km à 6,5 %), toit du Tour cette année (2 304 m). Vu l'état du peloton, éreinté et rincé, la clarté devrait y être absolue. Sinon définitive.
Commenti
Posta un commento