Un sport d'ouvrier... mais un statut de privilégié

La chronique de Jordan Jegat
coureur professionnel chez Total Energies, né en 1999
Miroir du cyclisme - n. 475/2025
Il m'est déjà arrivé d'avoir froid sur le vélo, au point de trembler de tous mes membres, ou même d'avoir du mal à freiner, ce qui peut poser un problème dans les descentes! Pour peu qu'il pleuve, la sensation de froid est accrue. C'est dans ces moments-là qu'on se demande: «Pourquoi je m'entraîne, pourquoi je cours, pourquoi je fais ce métier?» Mais j'ai une chance: celle d'avoir bossé en usine. C'est peut-être ce qui fait que je suis aujourd'hui sur un vélo. Travailler dans le froid, je connais. Autour de mes 18 ans, j'ai passé mes «vacances» dans une entreprise de surgelés en Bretagne. J'ai aussi été affecté au rayon poissonnerie d'un supermarché pour les fêtes de fin d'année, alors certains copains me disent que ça me fait un point commun avec Jonas Vingegaard! J'étais aux trois-huit, parfois levé pour embaucher à 5 heures. La vie normale de beaucoup de salariés - ou d'intérimaires, le statut que j'ai eu. J'ai travaillé dans le poisson, mais aussi dans les légumes, dans les gâteaux... Des boulots d'usine, tout simplement. Je n'avais pas vocation à les exercer toute ma vie, parce que j'ai passé un BTS en management des unités commerciales, mais toujours est-il que le froid, travailler dur, je sais ce que ça représente.
Un sport d'ouvrier...
mais un statut de privilégié
Souvent, on dit que le cyclisme est un métier de souffrance. Bien sûr qu'on souffre. Il y a toujours ces quarante-cinq minutes où on sent le corps en feu: jambes, poumons... IL n'empêche que la comparaison s'arrête là, entre le travail d'un ouurier et le cyclisme pro- fessionnel. Oui, il existe des valeurs communes: l'effort, la répétition des tâches, la division du travail. Mais je ne connais pas beaucoup d'ouvriers qui, comme nous, en rentrant à la maison, sont nourris, logés, massés, choyés... Pour être honnête, nous, coureurs cyclistes du Tour de France, sommes des privilégiés.
L'usine a été une chance pour moi. Je suis passé de l'usine à coureur cycliste professionnel dans une équipe de troisième division, le CIC U Nantes Atlantique. Payé au Smic, mais je me considérais déjà comme chanceux. En 2024, je me retrouve sous le maillot de Total- Energies, engagé sur mon premier Tour de France, et c'est ainsi que j'ai eu l'occasion de disputer le sprint contre Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, qui étaient revenus sur mon échappée à l'arrivée de l'étape à Bologne! Un bon souvenir, aussi bien pour moi que pour les copains devant la télé. Privilégié, je vous dis... Mes parents sont toujours ouvriers au bout de trente ans. D'une certaine façon, il faut toujours se souvenir d'où on vient.
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La rubrica di Jordan Jegat
Corridore professionista alla Total Energies, nato nel 1999
Mi è già capitato di avere freddo in bici, al punto da tremare tutto il corpo o addirittura avere difficoltà a frenare, il che (soprattutto) in discesa può essere un problema! Se piove, la sensazione di freddo si accentua. È in momenti come questi che ti chiedi: "Perché mi alleno, perché gareggio, perché faccio questo lavoro?". Ma sono fortunato: ho lavorato in fabbrica. Forse è per questo che oggi sono in bici. So tutto sul lavorare al freddo. Intorno ai 18 anni, ho trascorso le mie "vacanze" in un'azienda di surgelati in Bretagna. Sono stato anche assegnato al banco del pesce di un supermercato per le festività natalizie, quindi alcuni amici mi dicono che questo mi accomuna a Jonas Vingegaard! Lavoravo su tre turni, a volte alzandomi alle 5 del mattino. Era la vita normale di molti dipendenti, o lavoratori temporanei, lo status che avevo io. Ho lavorato nel settore ittico, ma anche in quello ortofrutticolo, in quello dolciario... Lavori in fabbrica, semplicemente. Non ero destinato a farlo per tutta la vita, perché ho conseguito un diploma in gestione di unità aziendali, ma resta il fatto che il lavoro duro e freddo... so cosa significa.
Uno sport da operaio...
ma uno status privilegiato
Si dice spesso che il ciclismo sia una professione dolorosa. Certo che lo è. Ci sono sempre quei quarantacinque minuti in cui il corpo sembra andare a fuoco: gambe, polmoni... Tuttavia, il paragone finisce qui, tra il lavoro di operaio e il ciclismo professionistico. Sì, ci sono valori condivisi: impegno, ripetizione dei compiti, divisione del lavoro. Ma non conosco molti lavoratori che, come noi, tornano a casa e trovano cibo, riparo, massaggi e coccole... A dire il vero, noi corridori del Tour de France siamo privilegiati.
La fabbrica è stata una fortuna per me. Sono passato dalla fabbrica al ciclismo professionistico in una squadra di terza categoria, il CIC U Nantes Atlantique. Ricevevo il minimo sindacale, ma mi consideravo già fortunato. Nel 2024 mi sono ritrovato a indossare la maglia della Total Energies, a gareggiare nel mio primo Tour de France, ed è così che ho avuto la possibilità di giocarmi la volata contro Tadej Pogacar e Jonas Vingegaard, che mi avevano raggiunto al traguardo di tappa a Bologna! Un ricordo bellissimo, sia per me sia per i miei amici che mi guardavano in tv. Privilegiato, vi dico... I miei genitori ancora lavorano dopo trent'anni. In un certo senso, non dobbiamo mai dimenticare da dove veniamo.
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