Affaire Rabiot: récit d’un psychodrame qui fait vaciller L’OM
AFFAIRE RABIOT, LA BAGARRE QUI ÉBRANLE L’OLYMPIQUE DE MARSEILLE
Secoué par la bagarre de vestiaire impliquant son international français, la semaine dernière à Rennes, le club phocéen a vécu huit jours mouvementés dont lui seul a le secret.
« Jusque-là, Pablo (Longoria) a été assez fin dans tout ce qu’il a fait.
Je pense qu’il faut lui accorder largement le bénéfice du doute sur le sujet.
Mais il ne faudrait pas que ce soit le mauvais fusible qui ait sauté »
- Christophe Bouchet, ancien président de L’OM
« On peut reprocher beaucoup de choses à Adrien (Rabiot),
mais certainement pas sa motivation, sa passion, son implication.
On nous parle d’amendes, de retards, c’est pathétique »
- Véronique Rabiot, la mère du joueur
23 Aug 2025 - Le Figaro
Thibaud Jouffrit
Être à L’OM, c’est vivre nu dans une maison de verre. Imaginez une maison de verre, vous êtes à poil dedans, c’est difficile…» Interrogé par Le Figaro sur la semaine rocambolesque vécue par l’olympique de Marseille, son ancien président (2002-2004) Christophe Bouchet livre cette métaphore qui prête à sourire. Mais elle illustre assez bien comment et pourquoi le club phocéen est passé en quelques heures, vendredi dernier, d’un outsider serein du PSG à une institution en ébullition, du fait d’une simple défaite à Rennes (1-0), certes à 11 contre 10, lors de la première journée de Ligue 1.
Une prestation ratée après, pourtant, une préparation estivale idéale (invincibilité en matchs amicaux, recrutement prometteur). Des leaders de l’équipe (Leonardo Balerdi, Pierre-Emile Hojbjerg…) en colère au coup de sifflet final, et puis, patatras, une bagarre en plein milieu du vestiaire au Roazhon Park entre Adrien Rabiot et son coéquipier anglais Jonathan Rowe. Incident - causé par des reproches sur l’implication de chacun qui a fait exploser la Cocotte-minute marseillaise. Là où, dans d’autres contextes moins soumis à la tension, une péripétie de la sorte, même problématique, pourrait justement rester péripétie.
Pas à Marseille. « Une bagarre de vestiaire, ce n’est pas forcément un mauvais indicateur, ça veut dire qu’il y a des gens qui sont impliqués et d’autres moins», avance Christophe Bouchet, qui avait aussi connu des moments de tension durant son mandat marseillais. «Ce qui n’est pas de chance, c’est que ce qui se passe dans la chambre à coucher soit devenu public. C’est un manque de bol invraisemblable. »
Manque de chance ou fuites incontrôlables, toujours est-il qu’à partir du samedi 16 août l’opposition Rabiot-rowe a pris des proportions insoupçonnées. L’explication musclée front contre front entre les deux hommes s’est transformée en un échange de coups - l’international français en serait l’instigateur - pendant que le jeune Darryl Bakola, 17 ans, était victime d’un malaise au milieu du chaos. Le « chaos », terme fort employé par le directeur du football de L’OM, Medhi Benatia, au moment de sortir du silence, mercredi, sur les antennes de RMC.
« Quand il y a des comportements comme ça, tu ne peux pas laisser passer », aexpliqué le dirigeant marocain, présent au moment des «affrontements physiques».
Son président, Pablo Longoria, a, lui, dénoncé «un événement d’une gravité et d’une violence extrême, quelque chose d’inouï qui a dépassé les limites acceptables dans un club de football ».
La veille de leurs prises de paroles en pleine tempête médiatique, Longoria et Benatia avaient déjà tapé du poing sur la table par voie officielle. « L’olympique de Marseille informe qu’Adrien Rabiot et Jonathan Rowe ont été placés sur la liste des transferts. (…) Cette décision a été prise en raison d’un comportement inadmissible dans le vestiaire après le match contre le Stade Rennais FC, en accord avec le staff technique et en application du code de conduite interne du club », lisait-on dans un communiqué publié par L’OM mardi après-midi.
Onde de choc sur le Vieux-port. Vingtquatre heures plus tôt, après un weekend de repos où ils n’ont pas jugé bon de s’excuser, Rabiot et Rowe avaient d’abord été écartés temporairement du groupe professionnel dirigé par Roberto De Zerbi. Avant que le couperet ne tombe : l’entraîneur italien, choqué par leur attitude, ne compte plus sur eux. Une véritable surprise dévoilée en avant-première par… Véronique Rabiot, mère d’Adrien, la plus prompte à avertir plusieurs médias (RTL, L'Équipe) du divorce acté entre L’OM et son fils. Obligeant le club phocéen à réagir plutôt qu’agir. Début du poker menteur.
Avec, en toile de fond, une question qui a taraudé l’ensemble des observateurs et supporteurs olympiens : élément central du projet, « le Duc » a-t-il été poussé dehors en raison, exclusivement, de son coup de sang ? Jeudi, celle qui est aussi représentante du vice-champion du monde français a passé la seconde dans sa contreattaque. « Personne n’y croit et je n’y crois pas, de toute façon. Je vous le dis, l’altercation est un épiphénomène qui est anecdotique », a réagi Véronique Rabiot sur les antennes de RTL, disant ne pas croire à une scène « d’une violence inouïe sans que personne n’intervienne », mais sans nier pour autant l’échange musclé impliquant son fils.
« Un joueur comme Adrien, on ne peut pas le sortir de l’équipe pour une altercation. Dans le monde du football, tout le monde ment et tout le monde sait que tout le monde ment. La finalité est toujours une question d’argent.» La mère du joueur insinue ici que la direction de L’OM se servirait de la bagarre en question pour récupérer quelques millions d’euros sur la vente de son numéro 25, à qui il ne restait qu’un an de contrat. Pour éviter ainsi le risque d’un départ libre l’été prochain.
« Insinuer ça, c’est aller contre la vérité et manquer de respect à l’intelligence des gens, s’est défendu Pablo Longoria. La saison dernière, avant la fin du championnat, on lui a proposé une prolongation, avec une augmentation de son salaire parce qu’il l’avait bien mérité sur le terrain et par son investissement hors du terrain. On a fait un premier rendez-vous, puis il y en a eu un deuxième, qui n’a pas pu se faire parce que sa représentante nous a dit qu’il faisait trop chaud. Je ne mens pas… »
À l’été 2004, Christophe Bouchet s’était séparé de la star du Vélodrome, Didier Drogba, transféré contre 38 millions d’euros à Chelsea. Un choix très contesté par le peuple marseillais, mais l’ex-président de L’OM avait ses « raisons économiques». Sur le cas Rabiot, il a « du mal à croire » à la thèse du prétexte, qui révélerait une « grande perversité » du trio Longoria-Benatia-De Zerbi. Bouchet retient plutôt « un choix fort de la présidence, respectable et pas inintéressant pour la vie d’un club», mais identifie une « ombre laissée sur le sujet».
« Si l’entraîneur ou la direction sportive a eu un problème d’autorité avec les joueurs, ce n’est pas bon signe, insiste-til. En sacrifiant un joueur comme ça, on peut croire, de prime abord, que c’est un acte d’autorité. Il ne faudrait pas que ce soit un acte de détresse. Jusque-là, Pablo (Longoria) a été assez fin dans tout ce qu’il a fait. Je pense qu’il faut lui accorder largement le bénéfice du doute sur le sujet. Mais il ne faudrait pas que ce soit le mauvais fusible qui ait sauté. »
De Zerbi ou Rabiot, L’OM a donc choisi son entraîneur, sous contrat jusqu’en juin 2027. Le message est clair : redonner du poids à l’institution avec les maîtres mots « rigueur » et « discipline » chers à Medhi Benatia. Ce qui valait aussi pour l’ancien Parisien, CV le plus brillant du collectif marseillais. « Sur un lieu de travail, deux employés se frappent comme dans un pub anglais : que doit faire l’employeur ? Soit la suspension, soit le licenciement. Avant les joueurs, il y a le coach et la direction, le club passe avant tout, a justifié à son tour De Zerbi, ce vendredi en conférence de presse. C’est une décision courageuse de la part des dirigeants qui sera bénéfique sur le long terme. Je lis des choses concernant les déclarations de l’entourage de Rabiot qui sont fausses. Quand sa mère attaque le président et le directeur sportif, ça m’énerve. Je soutiens le club, il n’y avait pas d’autre issue. »
Arrivé libre en septembre dernier après cinq ans passés à la Juventus Turin, Adrien Rabiot vivait jusqu’ici le grand amour sur la Canebière. Il était «quelqu’un de spécial. C’est le meilleur homme que j’ai eu dans un vestiaire pendant toute ma carrière, un exemple de travail », souriait cet été Pablo Longoria dans le documentaire inédit Sans jamais rien lâcher, produit par l’Olympique de Marseille. Il y a une dizaine de jours, Rabiot, qui représentait L’OM dans le générique officiel du championnat, se projetait avec ambition dans une interview donnée à La Provence : « On a mis quelque chose en place avec le coach, le staff… Ici, il y a un vrai projet, une belle saison à faire ! On veut réduire le gap avec Paris ! »
Tout va très vite dans le football… Parti en mauvais termes à l’été 2019 du Paris Saint-germain - qui l’avait lancé en professionnel - après six mois de mise à l’écart sur fond de désaccord contractuel, l’habitué de l’équipe de France (53 sélections, 6 buts) va refaire le coup chez le riclub val historique. «Je croyais qu’on avait vécu le pire avec le PSG, mais je me suis trompé », a comparé Véronique Rabiot, toujours sur RTL. « Épanoui la saison dernière », son fils ne serait « ni triste ni en colère », se sentant simplement « trahi » par De Zerbi.
« On peut reprocher beaucoup de choses à Adrien, mais certainement pas sa motivation, sa passion, son implication. On nous parle d’amendes, de retards (évoqués par Benatia, NDLR), c’est pathétique » ,a déploré la mère du joueur. Qui, au passage, aura pris le temps de régler ses comptes avec la direction phocéenne : « Le président et le directeur du football ont un costume trop grand pour eux. Ils ne sont pas à leur place, sont dévorés par leur orgueil et leur ego surdimensionné. Ils sont incapables de contrôler leurs émotions, on l’a vu, je n’invente rien. »
Personne ne ment, mais personne n’est d’accord. Parole contre parole. Le propriétaire de L’OM, Frank McCourt, a toutefois apporté vendredi son soutien à ses dirigeants et à son entraîneur. « La gestion (du club) repose sur des valeurs fondamentales: humilité, discipline, respect de l’autre, des hiérarchies et de l’institution, autant de principes qui ont permis au club d’atteindre ses objectifs au cours de l’année passée », a-t-il insisté, ajoutant que « chacun doit se mettre au seul service de l’olympique de Marseille et faire ce qu’il faut pour gagner sur le terrain ».
Énième psychodrame au sein d’un reposant sur un volcan en constante éruption. L’OM version 2025-2026 suit les traces de ses prédécesseurs en matière de mois d’août hollywoodien. La faute, encore, au fameux « contexte marseillais » ? « Vous avez la combinaison détonante entre le club le plus authentiquement populaire de France et l’un des cinq joueurs français qui compte sur l’échiquier mondial autour d’un fait anormal» , résume Christophe Bouchet, qui refuse de croire à l’influence, en amont, de la pression populaire et quotidienne sur la colère excessive de Rabiot. « Marseille et L’OM ont bon dos pour beaucoup de choses, mais là, en l’occurrence, je ne crois pas que cela ait pu avoir un impact sur un Rabiot qui a joué pour des grands clubs, dans des conditions parfois compliquées, comme au PSG. »
Qu’importe, il y aura forcément de l’électricité dans l’air ce samedi (17 heures), sur la pelouse d’un Stade-vélodrome bouillant où joueurs et entraîneur olympiens auront du mal à se cacher dans leur « maison de verre ». Victoire obligatoire face au Paris FC, promu dans l’élite et battu à Angers (1-0) pour son baptême du feu. Le football reprend (enfin) ses droits après huit jours de fracas durant lesquels L’OM a vécu mille vies. Une nouvelle commence dès maintenant, sans Adrien Rabiot, dont la prochaine prise de parole sera scrutée de près, sans doute une fois son départ officialisé, d’ici la fin du mercato. Et sans Jonathan Rowe, l’oublié de cette histoire, déjà envolé sans dire un mot vers Bologne…
.webp)
Commenti
Posta un commento