CRISE À l’OM - Adrien Rabiot, le poing final
Photo MatthIeu MIrvIlle. DPPI. AFP
Adrien Rabiot lors de la rencontre contre
le Stade Rennais au Roazhon Park, le 15 août.
Placé sur la liste des transferts mardi, le joueur star du club marseillais et des Bleus paye les conséquences de la bagarre qui l’a vu décrocher une droite à un coéquipier et défier l’autorité de son entraîneur.
22 Aug 2025 - Libération
Par Grégory Schneider
Un match de Ligue 1. Un seul. Et l’Olympique de Marseille, qui nageait dans un océan de félicité avec un effectif XXL, un entraîneur confirmé d’une saison sur l’autre pour la première fois depuis cinq ans et son grand retour en Ligue des champions après trois années de carême, se retrouve depuis une semaine et la défaite (0-1) au Roazhon Park de Rennes en pleine crise de nerfs le 15 août.
Le coeur nucléaire du vestiaire est touché : le milieu des Bleus Adrien Rabiot (30 ans), formidable prise de guerre l’été dernier puisqu’un joueur de sa dimension n’a pas grandchose à faire dans un club qui n’a pas son rond de serviette en quart de finale de ladite Ligue des champions, a été mis mardi sur la liste des transferts. Parce qu’il s’est battu dans le vestiaire. Alors que l’Olympique de Marseille reçoit le Paris FC samedi au Vélodrome, retour sur une affaire qui devrait priver la Ligue 1 d’une de ses principales têtes d’affiche sur les plans sportif et marketing.
Que s’est-il passé dans le vestiaire à Rennes ?
Battue sur le fil par le Stade rennais alors qu’elle avait évolué à onze contre dix pendant plus d’une heure après l’expulsion du défenseur breton Abdelhamid Aït Boudlal, l’équipe marseillaise aura montré des signes d’exaspération avant même de rallier son vestiaire, le milieu danois Pierre-Emile Hojbjerg et le gardien argentin Gerónimo Rulli s’en prenant à certains équipiers. Une fois rentré, Rulli monte encore le ton sur le mode «on ne va pas se mettre dans la même merde que la saison dernière». Qui avait vu l’entraîneur Roberto De Zerbi menacer de démissionner en novembre après une défaite (1-3) devant l’AJ Auxerre, ou l’effectif professionnel s’exiler en Italie dix jours pour combattre «les ondes négatives au sein même du club» (on cite le directeur sportif, Medhi Benatia), après le match perdu (1-3) en mars à Reims.
Rulli charge alors l’attaquant Jonathan Rowe (22 ans), peu investi. Ce qui pouvait s’entendre, l’Anglais étant jugé indésirable par une direction qui cherche ouvertement à le vendre depuis des semaines. Le ton monte entre les deux hommes. Certains joueurs, dont Rabiot, s’interposent. Rowe insulte alors l’international français, s’en prenant même au match de son aîné. Selon une source proche de la direction marseillaise, non démentie par le camp du joueur, l’international tricolore lui met alors une droite.
La violence de l’altercation qui suit est en revanche confirmée par tous. Et n’échappe pas aux journalistes : la zone mixte, dévolue aux échanges entre les acteurs et les médias après les matchs, est juste à côté du vestiaire visiteur. Un point crucial puisque cette proximité limitera la marge de manoeuvre du club quand il faudra communiquer sur les faits. Alors que les coups pleuvent et que De Zerbi ou Benatia, figurant censément l’autorité, sont impuissants à les arrêter, pas plus qu’un service d’ordre pourtant constitué de solides gaillards, le jeune (17 ans) Darryl Bakola, brièvement rentré en jeu, fait un malaise, ce qui pousse les soigneurs à s’occuper de lui.
Les deux pugilistes n’en ont cure et continuent à échanger les coups. A bout de ressources, De Zerbi ordonne alors à tous les présents de s’asseoir. Ils se seraient exécutés sauf un: Rabiot. Pour le club, l’entraîneur phocéen en aurait nourri une profonde amertume, son autorité étant bafouée devant les joueurs, mais aussi les dirigeants. Benatia, sur RMC : «On s’est appelé tout le week-end [avec De Zerbi]. On était au téléphone jusqu’à 3 ou 4 heures du matin. Le coach était choqué : “Mais pourquoi, Medhi? Pourquoi cette rage?” Ce n’est pas comme s’ils s’étaient poussés ou pris par le col, non, non non, ce n’est pas comme ça. Pourquoi en est-on arrivé là ?»
Rabiot paye-t-il seulement l’altercation du Roazhon Park ?
Résolument non, de l’aveu même du club marseillais. Selon une source proche de la direction, le week-end laissé libre aux joueurs aurait dû apaiser les esprits et pousser les deux protagonistes à saisir leurs téléphones pour prendre l’initiative, sinon d’une repentance, du moins d’une volonté de calmer le jeu. En vadrouille à Saint-Tropez, sur la Côte d’Azur, avec son coéquipier argentin Facundo Medina, Rabiot a eu le temps de passer à autre chose. Il n’a cependant pas appelé. Pas plus que Rowe, d’ailleurs. Toujours selon le club, l’initiative de la mère et agente de l’international français, Véronique Rabiot, appelant mardi RTL et l’Equipe pour leur annoncer la volonté de l’OM de ne plus travailler avec son fils, aurait précipité les choses. Un point écarté par le camp du joueur : le secrétaire général de l’OM, Benjamin Arnaud, aurait informé Rabiot de la rupture avant que sa mère ne contacte les médias.
Par ailleurs, même s’il prend soin de ne pas lier directement les antécédents du milieu des Bleus à son éviction, le club a fait état d’un rapport plutôt lacunaire de Rabiot aux règles collectives ces deux derniers mois. Alors qu’il n’avait connu que deux manquements sur l’ensemble de la saison dernière, à l’issue de laquelle le président, Pablo Longoria, jurait avoir croisé «le meilleur homme [qu’il ait] jamais eu dans un vestiaire», il en serait à «quatre ou cinq» en deux mois de préparation seulement. Dont une absence à une prise de sang. Benatia a fait état d’une sorte de fronde de certains joueurs, refusant ou se faisant tirer l’oreille sur le suivi médical, ou ne réglant pas les amendes. Selon nos informations, Rabiot serait du nombre.
Les faits justifient-ils d’écarter l’international tricolore ?
Benatia a surjoué la sauvagerie du moment quand il s’est exprimé sur RMC: «Je n’ai jamais vu, moi, quelqu’un qui vient, paf, coup de poing dans la gueule… Si tu veux que je te dise que c’est normal, non, ce n’est pas normal. Maintenant, si pour vous c’est normal, peut-être que je me suis trompé d’endroit et qu’en fait, on est chez les fous.» Le directeur sportif pousse un peu. Les bagarres sont monnaie courante dans les vestiaires de Ligue 1 et il le sait. Quant à la notion de limite, elle est forcément difficile à trouver une fois admis la fréquence des situations de confrontation physique. Pour le camp Rabiot, rien ne justifie ainsi la sanction qui le frappe: le joueur a tenu son rôle de cadre deux fois, en tentant de s’interposer entre Rulli et Rowe puis en chapitrant, certes de manière virile, un équipier qui l’avait insulté. L’Olympique de Marseille communiquerait donc dans les règles de l’art du foot d’aujourd’hui – on sort un fait (la bagarre) de son contexte tout en créant un nouvel environnement qui rendrait l’exfiltration du joueur inévitable aux yeux du grand public.
Reste le cas De Zerbi. Si les faits rapportés par le club sont exacts, à commencer par un Rabiot défiant son coach en refusant de s’asseoir, la cohabitation entre les deux hommes paraît compromise. Surtout en l’absence d’excuses publiques du milieu tricolore. Impossible d’affaiblir aux yeux du groupe un coach dans ces proportions. Les dirigeants de l’Olympique de Marseille doivent protéger leur entraîneur. Ou en changer.
Quel intérêt l’Olympique de Marseille a-t-il dans l’affaire ?
Longoria a fait mine de s’interroger tout haut : «Vous pensez que moi, président de l’Olympique de Marseille, je suis content d’arriver à ce type de situation avec l’un des joueurs les plus performants de la saison dernière et que j’ai présenté comme un exemple ?» Si le président marseillais cherche des raisons, on peut lui en trouver. Sous contrat jusqu’en juin 2026, Rabiot pourrait signer, dès janvier, un contrat ailleurs pour la saison suivante, sans indemnité de transfert. Le vendre avant fin août permettrait au club de mettre la main sur une quinzaine de millions d’euros, ce qui n’est pas négligeable. Mais pas non plus énorme. Ce qui donne au club la latitude de s’embrouiller avec son milieu de terrain international : «Si Rabiot était encore sous contrat pour deux ou trois ans, il pèserait une cinquantaine de millions et l’OM ne prendrait jamais le risque d’aller à la rupture avec lui», s’est-on fait expliquer par un agent de joueurs.
Une autre piste se niche dans les mots de Benatia quand il déplore le comportement de certains joueurs. Selon plusieurs sources, Rabiot a reçu le soutien de pas mal de coéquipiers depuis mardi : l’influence d’un joueur de sa stature, avec 53 sélections en bleu malgré une carrière internationale à éclipse et une dernière Coupe du monde au Qatar où il aura été éblouissant, est considérable. Dès lors, la direction marseillaise, dont il faut rappeler qu’elle se sait de passage (Longoria et Benatia ont communiqué là-dessus la saison
cern- passée) et qui affirme en tirer une taine indépendance d’esprit, peut décider de faire un exemple. Et ramener tout le vestiaire à la raison : si Rabiot tombe, personne n’est au-dessus des règles ou des intérêts du club. Selon nos informations, l’exfiltration surprise vers le Stade rennais du milieu Valentin Rongier cet été, jugé plus proche des joueurs que de la direction quand il avait le statut de vicecapitaine, a eu très précisément ce sens-là. Et il y a quelque chose comme une tendance récente là-dessous. Le Paris Saint-Germain a montré la voie en foutant dehors Neymar et Lionel Messi et, bien au-delà du club parisien, un monde sans droits télés est paradoxalement devenu un monde où l’image du club doit grandir en proportion, susciter la bienveillance d’un actionnaire devant sans cesse remettre au pot et décuplant le travail sur la marque pour attirer les sponsors.
Le storytelling marseillais peut-il payer ?
Dans le football comme ailleurs, l’autorité est une valeur en hausse. Les dirigeants marseillais le savent, leur «fan base» se réjouira, du moins un temps, d’une démonstration de force donnant du lustre à l’institution marseillaise et tout le monde sera passé à autre chose dans deux semaines, quand la Ligue des champions viendra toquer aux portes du Vélodrome.
D’un storytelling à l’autre, Rabiot sera passé du symbole éclatant d’un grand joueur acceptant de déchoir – l’OM ne disputait pas de compétition européenne la saison dernière– pour porter le maillot marseillais à celui, involontaire, de victime d’un club n’hésitant pas à sacrifier son meilleur élément pour montrer les muscles. Le jour où le milieu des Bleus décidera de l’ouvrir un bon coup et de raconter tout ce qu’il a traversé depuis ses jeunes années parisiennes jusqu’à aujourd’hui, on n’en manquera pas une miette.
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