Dix propriétaires étrangers sur 18 clubs : pourquoi la Ligue 1 ne parle plus français
La majorité du championnat de France est désormais sous pavillon étranger. Un phénomène qui pourrait encore s’accroître.
« On a des millionnaires et des milliardaires en France. Sauf que l’image qu’a le sport fait que nos milliardaires ont été plus tentés, historiquement, par la culture » Vincent Chaudel fondateur de l’observatoire du sport business
18 Aug 2025 - Le Figaro
Sébastien Ferreira
C’est donc Le Havre, club historique du football français, dont la section football a récemment fêté ses 130 ans, qui a acté la bascule. Après le rachat de l’écurie normande cet été par Blue Crow Sports Group, fonds d’investissement américain, la Ligue 1 a, pour la première fois, entamé une saison avec plus de la moitié de ses clubs (10 sur 18) ayant unactionnaire majoritaire étranger.
En extrapolant, le phénomène touche aussi la Ligue 2, où 5 clubs sur 18 (Saint-étienne, Dunkerque, Nancy, Le Mans et le Red Star) sont concernés. Depuis le passage du Paris Saintgermain sous pavillon qatarien en 2011, les investisseurs étrangers ont lentement mais sûrement fait main basse sur le football hexagonal.
Les raisons sont multiples. Un constat d’abord : plus le temps passe, plus le sport de très haut niveau, dont le championnat de France de football fait partie, est réservé à une élite financière. «On a des millionnaires et des milliardaires en France. Sauf que l’image qu’a le sport fait que nos milliardaires ont été plus tentés, historiquement, par la culture», relève Vincent Chaudel, fondateur de l’observatoire du sport business.
Souvent dévalué, parfois méprisé par la classe politique, le sport, et a fortiori le football, marqué par des violences en tribune ou aux abords des stades, «souffre d’une mauvaise réputation», reconnaissait Antoine Arnault dans nos colonnes. Cela n’a pas empêché sa famille, deuxième fortune de France (116,7 milliards d’euros, classement Challenge, juillet 2025), de racheter le Paris FC en novembre 2024. « Je considère ces investissements comme une preuve de confiance dans notre football et sa capacité à continuer à se développer dans le futur », appréciait le président de la Fédération française de football, Philippe Diallo, pour Le Figaro.
Quelques milliardaires français pointent le bout de leur nez. Ils restent minoritaires au sein d’un terreau fertile aux yeux des fortunes étrangères. Le football français ne s’est pas développé comme en l’espagne avec le modèle de « socios », ces supporteurs qui investissent dans leur club pour en devenir actionnaires sans toucher de dividendes, ce qui freine la possible prise de pouvoir d’un fonds d’investissement.
Il ne dispose pas non plus, comme en Allemagne, de la règle du 50 + 1, qui garantit aux supporteurs la majorité (50% plus 1 voix) sur la propriété de leur club vis-à-vis d’un investisseur externe. Aussi, le mauvais feuilleton des droits TV, qui a aggravé la situation financière du championnat, a fait baisser la valeur des clubs, plus susceptibles d’attirer un acheteur. Enfin, la France séduit, car, dans le monde, seul le Brésil produit davantage de footballeurs de renom. Conséquence : ses clubs sont parmi les premiers visés par la multipropriété, c’est-à-dire par le fait de posséder plusieurs clubs. «Les investisseurs étrangers sont dans cette approche», acquiesce Vincent Chaudel.
Ainsi, le consortium Blueco, à la tête de Chelsea en Angleterre, a racheté Strasbourg, succursale officieuse de l’équipe londonienne. Trois jeunes joueurs de Chelsea ont été prêtés au club alsacien cet été. La multipropriété a pour but de déjouer le dernier obstacle au rachat d’un club de football : l’incertitude inhérente au sport. « Dis-moi combien tu as de budget, je te dirai quelle ambition sportive tu peux avoir, mais je ne peux pas te dire quel classement tu auras à la fin », synthétise Vincent Chaudel. « Et tant mieux, c’est ce qui nous fait regarder les matchs », souligne à juste titre l’économiste du sport.
Eagle Football Holding, présidé par l’américain John Textor, détient l’olympique Lyonnais, mais aussi Crystal Palace (Angleterre), Molenbeek (Belgique) et Botafogo (Brésil). Redbird, société de gestion de placements américaine, possède le Toulouse FC et L’AC Milan. Blue Crow, qui vient d’acquérir Le Havre, dirige aussi Leganés (Espagne) et Cancun (Mexique). Dans une moindre mesure, Nice, Lorient, Monaco et même le PSG trempent dans ce concept.
Le cas de Strasbourg, le plus éloquent, autorise Chelsea à « faire des paris sur de jeunes joueurs avant qu’ils ne coûtent trop cher, décrypte Vincent Chaudel. C’est le modèle américain avec les ligues majeures et mineures. Ça te permet de réduire le risque de l’échec dans ton achat de joueurs et d’optimiser ton portefeuille de joueurs. » L’autre option pour réduire le risque financier lié à l’incertitude est d’optimiser les recettes annexes. «C’est ce qu’avait fait Jean-Michel Aulas avec OL Coiffure, OL Taxi, OL Voyage, etc. Mais ces recettes sont limitées à ton potentiel local », désigne Vincent Chaudel.
La vente d’un club à une fortune étrangère, qu’elle s’inscrive dans un projet de multipropriété ou non, ressemble à une obligation pour boxer avec les poids lourds. « L’image de l’avenir, c’est quand même Strasbourg. Ça suit sportivement », relève Laurent Nicollin, président de Montpellier depuis 2017 et la mort de son père, Louis Nicollin, qui avait fait fortune dans le ramassage d’ordures avant de bâtir un club digne de ce nom dans l’hérault.
D’ici dix ans, « 90 % des clubs français » seront sous pavillon étranger, prédit Laurent Nicollin. À l’arrivée de la saison dernière, le MHSC a été relégué en Ligue 2 et Strasbourg s’est classé 7e de L1, décrochant un billet pour les barrages d’une Coupe d’europe (Ligue Conférence). Implacable logique financière.
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SYLVAIN THOMAS/AFP
« Les gros clubs sont gérés par des gens ou des gros consortiums
parce qu’ils veulent faire de l’argent », explique Laurent Nicollin.
Nicollin : « D’ici dix ans, 90 % des clubs français seront sous pavillon étranger »
Président historique de Montpellier, Laurent Nicollin s’interroge sur la présence grandissante des actionnaires majoritaires étrangers au plus haut niveau du football français.
18 Aug 2025 Le Figaro
PROPOS RECUEILLIS PAR S. F.
LE FIGARO - Dix des dix-huit clubs de Ligue 1 ont un actionnaire majoritaire étranger. Comment l’expliquer ?
LAURENT NICOLLIN - Dix ? Je pensais qu’il y en avait plus… La question qu’on pourrait se poser, c’est pourquoi il n’y a pas plus de gros groupes français qui investissent dans le football français. Heureusement, il y a des familles fortunées françaises qui investissent, comme la famille Arnault au PFC. La famille Pinault est à Rennes depuis un petit moment (1998). Cela fait plaisir de voir des grands entrepreneurs français qui investissent plutôt que des entrepreneurs étrangers. Après, c’est comme tout. Ce sont les opportunités qui font les choses.
Avoir une majorité de clubs de L1 sous pavillon étranger, est-ce regrettable ?
La loi l’autorise et il y a des opportunités. Après, ce n’est pas le football que je conçois. Malheureusement, je pense que, dans les dix prochaines années, 90 % des clubs français seront comme ça. Surtout avec les droits TV inexistants en ce moment, ça ne peut qu’accélérer le processus.
Le football au plus haut niveau appartient-il de plus en plus à une élite financière ?
Je ne sais pas si ça appartient à une « élite ». Ce qui est sûr, c’est que les gros clubs sont gérés par des gens ou des gros consortiums parce qu’ils veulent faire de l’argent. Mais ce n’est pas plus spécifique au football qu’à la société actuelle. C’est comme si une société lambda vendait ses actifs à de gros groupes. Si les fonds de pension viennent, c’est qu’ils estiment pouvoir gagner de l’argent. Après, c’est une course à l’échalote. Je vais même plus loin : demain, tu peux avoir 18 fonds de pension ou 18 milliardaires en Ligue 1, il y aura toujours un seul champion. Et même le 18e, qui sera géré par un milliardaire, il descendra. Donc il n’y a pas de vérité non plus. Mais je pense, malheureusement, que d’ici dix-quinze ans, les 5-6 gros championnats européens seront gérés comme ça. Tu auras un club en Espagne, un en Italie, un en France… On verra peut-être dans vingt ans de gros groupes qui auront 5-6 clubs contre d’autres gros groupes qui auront aussi 5-6 clubs. Ce n’est pas mon football. Il y aura longtemps que je serai parti. Après, je peux comprendre que, s’il n’y a pas d’argent, c’est compliqué.
Appartenir à un fonds d’investissement étranger ou faire partie d’une multipropriété, aujourd’hui, est-ce un passage obligatoire pour monter en grade ?
Strasbourg a fini 7e l’année dernière, ils se sont qualifiés pour l’europe. Ça a fonctionné. Je suis très proche de Marc Keller (président du club depuis 2012). Depuis qu’ils étaient remontés, on avait plus ou moins le même budget, donc on avait les mêmes difficultés. L’an dernier, on s’est affrontés lors de la première journée, on a déjeuné avant le match. Vu la chute des droits TV, il m’a dit : « Heureusement que j’ai Blueco, sinon je serais dans une situation compliquée.» C’est ce qu’on a vécu, nous, à Montpellier. On a pu mettre l’argent pour compenser, tu peux le faire un an, deux ans, mais tu ne peux pas ad vitam aeternam. Franchir un palier et être plus haut, oui, ça passera par des capitaux… J’allais dire « capitaux étrangers » dans la mesure où les entrepreneurs français ne veulent pas investir. Ça passera donc par d’autres capitaux. Malheureusement, je pense que le football français, et même européen ou mondial, ça ne sera à l’avenir que des gros groupes ou des milliardaires. Peut-être que d’ici vingt à vingt-cinq ans, vu qu’ils auront tout récupéré, ils basculeront sur autre chose. Ce sera peut-être une sorte de NBA ou de NFL en Europe. Avec des gros clubs, des clubs moindres qui seront des sous-licences. Le modèle américain. Seul l’avenir nous le dira. Ce sont les gens qui ont l’argent qui font… C’est comme ça.
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