Premier League - A Sunderland, «on est de retour à notre place»


On reconnaît les fans du Sunderland AFC à leur rayures rouges et blanches verticales. 
Ici le jour de la remontée en Premier League, le 24 mai.

De retour en première division après des années d’errance, les «Black Cats» du nord-est de l’Angleterre ont rendu à leur ville, associée au Brexit, un peu de sa fierté. 
Car à Sunderland, on ne vit qu’au rythme du football.

«C’est une drôle de coïncidence, 
que la ville aille mieux au moment où le club s’en sort.» 
   - Stephen Goldsmith co-animateur 
     d’un podcast sur le Sunderland AFC

16 Aug 2025 - Libération
Par Juliette Démas Envoyée spéciale à Sunderland (Royaume-Uni)

Les rayures blanches et rouges sont partout, cet été, dans les rues de Sunderland. Elles ornent le phare de la plage du Roker, qui toise la mer du Nord au bout de son interminable jetée, et les fenêtres des pubs affichant leur soutien infaillible au club local. On les voit sur les fresques murales, et surtout sur les maillots que portent un nombre déconcertant de passants, qui pourraient être figurants dans une réplique grandeur nature d’Où est Charlie ? – à la différence près que leurs bandes à eux sont verticales.

Depuis le 24 mai, et une finale d’accession remportée sur le fil face à Sheffield United, les «Mackems» (1) se tiennent un peu plus droits, et marchent d’un pas plus léger. Même les mouettes qui survolent l’embouchure du fleuve Wear semblent planer avec plus de grâce. Un nuage, qui s’était posé en 2017 lors de la relégation du Sunderland Association Football Club en deuxième, puis en troisième division, s’est enfin envolé. «L’Association» est de retour en Premier League, l’élite du foot anglais, et attaque cette nouvelle saison par la réception de West Ham, ce samedi.

Symbole de la ville pro-Brexit

Un an avant le début de sa traversée du désert footballistique, la ville avait déjà attiré les regards. Dans la nuit du 23 au 24 juin 2016, un message de l’actrice américaine Lindsay Lohan fusait sur Twitter, alors que le décompte des votes sur la sortie de l’Union europé- enne tenait le Royaume-Uni en haleine : «Où est Sunderland?» «Une ville dans le nord-est de l’Angleterre», répond un internaute, laconique. A cette heure tardive, Gibraltar et Newcastle ont déjà annoncé une majorité de voix pour rester dans l’UE. Les chiffres de Sunderland font l’effet d’une douche froide pour tous ceux qui espéraient que le «Remain» l’emporte: la ville est la première du pays à afficher qu’elle a soutenu le Brexit. L’image reste. Sunderland devient, pour les médias, la ville pro-Brexit, le cliché parfait d’un Nord, autrefois industriel, qui a perdu ses fleurons – ses chantiers navals, ses mines de charbon fermées sous Thatcher – et se retrouve à la traîne, en perdante de la mondialisation. Le terreau fertile d’un repli patriotique, malgré ses générations de députés Labour (Parti travailliste). Un rapport, sorti l’année du référendum, la place 15e sur les 74 villes les plus en déclin du pays. Avec ses 277 000 habitants, elle vit dans l’ombre de Newcastle tout proche, guère plus peuplée, mais qui concentre les activités économiques et culturelles, et les infrastructures de transport. A Sunderland, un quart des 16-64 ans sont en inactivité économique et le chômage dépasse les moyennes nationales comme régionales.

L’année suivant le vote, la dernière fierté de la ville, son équipe de foot, dégringole donc en Championship, la deuxième division du football anglais.

«On vous a vus pleurer sur Netflix»

Le propriétaire du club, Ellis Short, ouvre ses portes à Netflix dans l’espoir d’attirer de potentiels investisseurs. Las, la série documentaire Sunderland ‘Til I Die (Sunderland : Envers et contre tous en VF), qui suit la saison 2017-2018, se retrouve à relater une seconde relégation aussi inédite qu’humiliante vers la League One, la troisième division du football britannique. Le documentaire achève de placer la ville sur la carte. Quand la deuxième saison sort en 2020, le club est toujours à son nadir et n’arrive pas à remonter. «Pourquoi ce n’est jamais à nous de fêter la victoire? Pourquoi ce n’est jamais nous?» sanglote Michelle Barraclough, responsable de la branche senior des supporteurs, dans les couloirs de Wembley après une énième défaite. Ses larmes, captées par les caméras, cristallisent la sidération d’une ville tout entière. Leurs adversaires ne tarderont pas à chanter «On vous a vus pleurer sur Netflix».

Plus que les dessous managériaux de la gestion d’une équipe, c’est avant tout l’attachement inconditionnel des fans à leurs joueurs, surnommés les «Black Cats», qui transparaît dans les images. Un soutien qui transcende tout le reste – qu’il s’agisse du responsable du matériel, qui admet avoir accepté une baisse de salaire pour rester auprès de l’équipe, ou de ceux qui font la queue au milieu de la nuit pour être les premiers à acheter les nouveaux maillots. Même si les trophées sont rares et datés, «les gens d’ici grandis sent avec la légende de cette grande équipe», estime l’historien du club, Rob Mason.

«On est de retour à notre place…» Michelle Barraclough a de nouveau les yeux embués, cette fois de joie, quand elle nous reçoit en amont de l’ouverture de la saison, dans son salon aux murs crème et canapés cramoisis. Chaque miroir, chaque cadre photo, et chaque vase est gravé du blason du club. Pendant la longue errance en troisième division, elle a assisté à tous les matchs, à domicile comme à l’autre bout du pays. «Et une chose est sûre: le trajet de retour est interminable quand l’équipe a mal joué…»

L’état de santé de la ville, assure-telle, est directement branché sur ses résultats en matière de football. «Quand on gagne, c’est toute la ville qui gagne. Les pubs sont remplis. L’atmosphère électrique. On ne parle que de ça.» Quand ils perdent, chacun rentre déprimer chez soi. Alors, pour la première fois depuis longtemps, elle savoure le moment.

«Ils vont voir à quel point la ville a changé»

Ce regain de confiance dépasse le seul champ du football. Sunderland tout entier semble avoir tourné une page. Stephen Goldsmith, qui travaille pour l’université et coanime le podcast Wise Men Say, dans lequel il décortique les matchs depuis une douzaine d’années, ouvre les portes du campus, désert pendant l’été, pour montrer des laboratoires flambant neufs, des studios radio et une succession de salles d’étude modernes, là où s’étalaient autrefois les chantiers navals. «C’est une drôle de coïncidence, que la ville aille mieux au moment où le club s’en sort.» Il monte dans une des voitures électriques de la fac pour prendre la direction du centre. Sur sa gauche, un terrain vague est enfin en rénovation et la construction de la passerelle piétonne qui reliera les presque 49 000 sièges du Stadium of Light (ainsi nommé en hommage aux mineurs qui passaient leurs semaines dans l’obscurité) au centre-ville s’achève. Sur sa droite, une file se forme devant le théâtre pour la comédie musicale Hamilton, un des hits du West End, et l’ancienne caserne transformée en lieu culturel se remplit peu à peu. Gareth Barker, co-animateur du podcast, l’attend au pub. Lui qui se dit de nature pessimiste déborde d’enthousiasme. «Quand on va quelque part, en tant que supporteurs, on chante souvent que l’endroit est un… [il articule silencieusement le mot «shithole», «trou à rats», souvent utilisé pour désigner les villes anglaises où il ne fait pas bon vivre, ndlr]. C’est de bonne guerre. Sauf que quand les gens venaient ici, ils le pensaient vraiment. Là, ils vont revenir, et ils vont voir à quel point les choses ont changé. On a même un chef étoilé qui ouvre un restaurant à côté du stade !»

Si la ville reste une de celles où il est le plus dur pour les jeunes de trouver du travail, le taux d’inactivité a légèrement reculé. Et quand le foot se porte bien, il n’est même plus question de Brexit. «A Wembley, en mai, on était tous ensemble. Avec le football, on arrive à oublier les divisions pour un moment», sourit Stephen Goldsmith.

Sunderland AFC doit son retour en première division à un afflux de Français. A commencer par Kyril Louis-Dreyfus, héritier du propriétaire historique de l’Olympique de Marseille, Robert Louis-Dreyfus, qui a racheté les Black Cats en 2021, avant d’en devenir l’actionnaire majoritaire en 2022. Son manque d’expérience inquiète alors les supporteurs. «On s’est demandé si ce n’était pas un projet égoïste pour se faire la main», relatent Stephen Goldsmith et Gareth Barker.

«On s’en fiche de qui sont les propriétaires»

La confiance s’est établie au fil des victoires. Après une série de managers britanniques, il y a aussi eu l’arrivée de Régis Le Bris, dont personne ici n’avait jamais entendu parler. «Même moi je n’avais aucune idée de qui il était, alors que c’est pourtant mon métier», admet Rob Mason. Le Breton, passé par le Stade rennais et le FC Lorient, a constitué une des équipes les plus jeunes du championnat. «Au fond, on s’en fiche de qui sont les propriétaires, les joueurs, l’entraîneur, car ces gens-là vont et viennent. Tout ce qui importe, c’est qu’ils soient prêts à se donner à 100 %, qu’ils s’usent les chaussettes à courir. Et ces gars-là font de leur mieux», tranche Michelle Barraclough, sous le charme.

La saison des transferts a vu les chiffres s’aligner avec plus de 122 millions de livres dépensés (141 millions d’euros), une somme inédite qui place Sunderland juste derrière les «Big Six», ces clubs qui dominent historiquement la Premier League, division qui profite des revenus importants générés par les contrats de diffusion des matchs. Parmi les nouvelles têtes à enfiler le maillot rayé, Habib Diarra (35 millions d’euros), Simon Adingra (24 millions d’euros), Chemsdine Talbi (20 millions d’euros) ou encore Granit Xhaka (15 millions d’euros). «Les propriétaires ont fait tout ce qu’on espérait, et même plus», se réjouit Gareth Barker. Les ambitions pour cette saison sont mesurées. Se maintenir en Premier League déjà, car l’écart entre les deux divisions est immense, et, ces deux dernières années, les trois clubs promus ont aussitôt été relégués. «Si on peut gagner deux fois contre Newcastle, ça serait pas mal», plaisante Michelle Barraclough, en clin d’oeil au derby historique qui oppose les deux villes. Quoi qu’il arrive, Sunderland a ses deux devises prêtes à l’emploi: celle du club, «à la poursuite de l’excellence». Et celle de la ville: «Ne désespère pas, Dieu est avec nous.» Une pour chaque résultat. 

(1) Surnom donné aux fans de Sunderland AFC, qui viendrait des constructeurs de bateaux qui «mack’em», ou «make them», les «fabriquent».

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