Gressier : « Je vais assumer l’étiquette de patron »


Une semaine après son sacre sur 10 000 m, Jimmy Gressier décrochait la médaille de 
bronze du 5 000 m, le 21 septembre, aux championnats du monde d’athlétisme, à Tokyo.

Un mois après son titre mondial sur le 10000 m, le Français est revenu sur son exploit, sa vision de l’avenir et les valeurs qu’il tient à défendre.

« Plus je me rapprochais de la ligne d’arrivée, 
plus je sentais qu’il était en train de se passer un truc. 
Je passe 3e, puis 2e et je vois l’éthiopien Kejelcha devant moi qui n’a plus trop de force, 
qui n’arrive pas à changer de rythme »

« Tricher, ce n’est pas moi. 
Et je n’accepte pas cette idée de dire qu’un athlète qui gagne, 
même dopé, est fort quand même »

11 Oct 2025 - Le Figaro
Propos recueillis par Cédric Callier

Toutes les (très) bonnes choses ont une fin. Alors qu’il vient de vivre un mois exceptionnel en remportant le titre de champion du monde du 10 000 m à Tokyo le 14 septembre dernier, avant de s’offrir la médaille de bronze sur le 5 000 m une semaine plus tard, Jimmy Gressier a aussi dû tourner la page «vacances» qu’il avait ouverte juste après. Quelques jours dans le cadre idyllique des Maldives qui lui ont permis de redescendre doucement de son nuage. De passage à Paris pour une tournée des médias, le fondeur du Nord, devenu le premier Français double-médaillé en individuel dans des Mondiaux, en a profité pour rendre une visite au Figaro. Pendant près d’une heure, avec son franc-parler habituel, il n’a éludé aucun sujet, du dopage aux réseaux sociaux en passant par ses exploits dans la capitale japonaise. Rencontre avec un champion aussi détendu qu’attachant.

LE FIGARO. - Les courtes vacances que vous avez pu prendre juste après les championnats du monde à Tokyo vous ont-elles permis de redescendre sur terre et de réaliser la portée de votre titre sur le 10 000 m ?

JIMMY GRESSIER. - Oui, cela m’a aidé à réaliser ce que j’ai fait. Pour autant, même si cela a mis beaucoup d’animation dans ma vie, cela ne change pas la personne que je suis. C’est juste que j’ai une étoile au-dessus de ma tête, aujourd’hui. Je prends tout ce qui m’arrive avec un fort sentiment de fierté et de gratitude.

- Ce qui a notamment marqué les gens, c’est votre fantastique dernière ligne droite lors de cette finale du 10 000 m. Qu’avez-vous ressenti sur le moment ?

Au moment d’aborder les derniers 400 mètres, je sentais que j’étais bien. Sauf qu’on était encore treize en course pour le titre et je ne savais pas quelles étaient leurs sensations, à eux. À 200 mètres, je vois que je suis 6e, mais pas très loin des leaders. À ce momentlà, je ne sais pas que je vais gagner, mais je sens que je suis dans la bataille. J’avais toujours dit à mon coach que j’espérais un jour vivre une telle situation et puis là, plus je me rapprochais de la ligne d’arrivée, plus je sentais qu’il était en train de se passer un truc. Je passe 3e, puis 2e et je vois l’éthiopien Kejelcha devant moi qui n’a plus trop de force, qui n’arrive pas à changer de rythme. Du coup, dans ma tête, je me pousse comme un dingue et à 20 mètres de la fin, je ne pense plus qu’à une seule chose : « prends-le ce titre, car il ne se représentera peut-être plus jamais ». Du coup, je ne me satisfais pas de la deuxième place alors que c’est déjà énorme. Et puis je franchis la ligne en tête et c’est une explosion de joie. C’était fou comme instant.

- La base de ce titre de champion du monde, pour vous, aura été votre succès lors de la finale de la Ligue de diamant à Zurich le 28 août, même si cela n’était qu’un 3 000 m ?

Cela a été le tournant de ma saison, mais aussi de ma carrière, parce que ce titre de champion du monde qui en découle vient honorer tout le travail que j’ai effectué auparavant. Je me souviens qu’avant la course de Zurich, j’avais juste en tête de battre le record de France, mais mon entraîneur m’avait dit que si c’était une course tactique, je pouvais jouer la gagne. Dans ma tête, je me suis dit : «Il est gentil, il y a quand même d’immenses coureurs en face!» Mais je lui ai répondu d’accord, car c’était mon rêve d’enfant aussi de gagner cette finale et de pouvoir offrir ce trophée, qui est trop classe, à mon grand-père. Et puis pendant la course, je me suis senti hyper bien et quand je la gagne, avec un tel plateau, cela ne peut pas être le simple fait du hasard. Tout de suite après, j’ai dit à ma copine : « Ils ont mis du sang sur ma canine, ça va barder aux championnats du monde. »

- Vous parlez de sang sur votre canine, mais vous avez aussi fini la course à Tokyo avec les jambes en sang…

Oui, car on a des clous de 6 millimètres sous nos pointes et dans les courses tactiques, on est tous quasiment collés les uns aux autres. On est vraiment dans le combat et j’ai tendance à courir souvent dans les jambes des autres. J’ai d’ailleurs été recousu deux fois déjà cette année au niveau du tibia. Et cela a été pareil sur ces championnats du monde. À 600 mètres de l’arrivée, quand Kejelcha passe devant moi, il a une foulée tellement grande qu’il m’arrache la cuisse. Dans le feu de l’action, avec l’adrénaline, on ne ressent qu’un picotement. En revanche, après la course, sous la douche, je peux vous dire que j’ai bien crié (rires).

Certains, en France, n’ont pas pu s’empêcher de minimiser la portée de votre exploit en évoquant une course très tactique et très lente sur ce 10 000 m. Avez-vous été agacé d’entendre cela ?

En fait, ce qui m’a énervé, c’est que je trouve que c’est un manque de respect pour toutes les heures que j’ai passées à souffrir à l’entraînement, pour tout le travail que j’ai fait avec mon entourage. Alors je sais que la grande majorité des critiques vient de personnes qui n’ont sûrement jamais fait de la course à pied et qui parlent pour rien. Je sais que je devrais m’en foutre, mais ça m’agace un peu ce manque de respect. Et en même temps, cela motive aussi. Avant ce titre sur 10 000 m, combien de fois on m’a répété que si c’était une course tactique, ce n’était pas pour moi? Et c’est d’ailleurs pour ça que j’avais un complexe d’infériorité. Beaucoup de personnes étaient rentrées dans ma tête en me disant que je ne pouvais pas finir fort alors qu’à l’entraînement, j’arrivais à le faire. Mais en compétition, quand la cloche sonnait, je me crispais tout de suite. Je me retrouvais toujours dans la position du chassé parce que je n’avais pas confiance en moi. Sauf que là, la situation s’est retournée. Désormais, je maîtrise mieux mon sujet. Sur les prochaines années, mon corps et ma tête ont appris et je pense qu’il pourra se passer encore de belles choses.

- Votre médaille de bronze sur le 5 000 m a beaucoup d’importance aussi à vos yeux en termes de confiance…

Oui, clairement. Tout de suite après le 10 000 m, je me suis demandé à quoi cela me servirait de faire le 5 000. J’en ai parlé à mon entraîneur qui m’a dit qu’on ne le ferait peut-être pas. Mais dès le lendemain au réveil, je voulais le faire car c’était là que j’avais tout à me prouver. Si je regagnais ou si je faisais podium, cela devenait clair que ce n’était pas du hasard. Et franchement, cela a été vraiment plus dur que d’être champion du monde parce que j’étais attendu, que dans la chambre d’appel le stress était à son maximum, que je sentais le regard de mes adversaires sur moi, qu’il y avait Jakob Ingebrigtsen qui, même sans être au top de sa forme, est le meilleur au monde sur 5 000 m à mes yeux… Mais peut-être que sur ce championnat, j’étais sur un nuage, au maximum de ce que je pouvais alors produire pendant une semaine, et je vais chercher cette 3e place. Dès lors, j’ai validé le fait de me dire que ce n’était pas un coup de chance. Du coup, dans ma tête, je suis en position de force, tout en gardant les pieds sur terre, parce que mes adversaires sont forts aussi et que je n’ai aucune marge. Toutes les années, ce sera serré. L’année prochaine, je pourrai très bien finir 6e ou 7e mais à seulement 2 secondes de la victoire. Sauf qu’à 2 secondes, la densité est telle aujourd’hui que c’est trop loin de la victoire.

- Est-ce devenu beaucoup plus serré aussi en raison de l’efficacité accrue de la lutte contre le dopage ? Est-ce aussi une des raisons qui vous a permis d’être champion du monde ?

Cela m’a surtout permis de rêver de nouveau. Je me souviens de la claque que j’avais prise en 2022 lors des Mondiaux à Eugene, en finissant 11e. Idem un an plus tard à Budapest, lors du dernier 400 mètres, j’avais l’impression d’être un minime. Là, je me dis : « Waouh, il y a encore du boulot ! » Et devant moi, il n’y avait pas que des dopés, loin de là. Je pense même qu’ils étaient minoritaires. Pour autant, je l’ai toujours dit, il y a des personnes dans le milieu qui ont des progressions auxquelles je ne crois pas. Et ça, c’est dérangeant. Je ne peux pas citer de noms car sur le plan judiciaire, ce serait compliqué pour moi. Ce ne serait pas correct aussi parce que je peux penser que certains athlètes trichent alors que ce n’est pas le cas. Ce serait irrespectueux de parler d’eux au grand public en disant qu’ils sont dopés. Donc je laisse faire l’unité d’intégrité qui fait un super boulot pour lutter contre le dopage, et je l’en remercie. Mais parfois, c’est très dur à vivre. Je fais du sport pour une seule chose : atteindre mes objectifs, mais seulement ceux que mon corps est capable d’aller chercher proprement. Tricher, ce n’est pas moi. Et je n’accepte pas cette idée de dire qu’un athlète qui gagne, même dopé, est fort quand même. Entre être fort et être intouchable, il y a deux mondes que tout sépare.

- De ne plus avoir le même statut à l’avenir, cela vous excite-t-il ou, au contraire, cela vous effraie-t-il ?

J’ai hâte de reprendre l’entraînement et de me sentir progresser. Pour le statut, c’est juste une pancarte que certains veulent me mettre. Mais en tant que coureur, quand j’ai décroché ce titre sur le 10 000 m, je sais que j’ai été le meilleur ce jour-là, mais je sais que je ne suis pas le meilleur du monde. J’ai conscience de ça, donc la suite ne me fait pas peur. Je sais qu’il y a des courses que je vais réussir, d’autres un peu moins, mais à mes yeux, tout ce qui vient sera du bonus.

- Vous allez endosser le costume de leader de l’athlétisme français. Vous sentezvous l’âme d’un chef de file ?

J’ai surtout envie de représenter au mieux la France. Je ne suis pas tout seul pour cela. Hilary Kpatcha (saut en longueur) va être très présente dans les années qui arrivent, j’en suis sûr. Et il y en a d’autres encore qui seront là, comme Gabriel Tual qui va revenir à son meilleur niveau. Je pense que ça va tirer tout le monde vers le haut. Et pour autant, de me mettre une étiquette de patron n’est pas grave. Je vais l’assumer.

- Vous représentez aussi le gars du Nord qui vient d’un quartier difficile. Est-ce important pour vous de renvoyer une belle image sur ce plan-là ?

En fait, c’est important pour moi parce que quand j’étais jeune, je n’avais pas la confiance que j’ai aujourd’hui. On se moquait beaucoup de mon accent, de ma manière de m’habiller parce que je n’avais pas forcément beaucoup d’affaires à me mettre. Quand je voulais sortir avec les copains, je prenais la chemise de mon père. Sauf que je faisais du S et que c’était du L, donc je devais la rentrer dans mon jean pour qu’elle ait l’air moins grande. Et ce sont des petits trucs comme ça qui me faisaient un peu mal, même si je prenais cela à la rigolade. Aujourd’hui, je ne veux pas prendre une revanche sur les autres. Néanmoins, j’ai envie de faire passer un message aux gens, que l’on peut être moqué, que l’on peut vouloir vous faire du mal mais qu’il faut rester solide, debout et qu’il faut travailler, encore et toujours. Pour moi, il n’y a que le travail qui paie.

- Cela est-il lié à votre éducation ?

Oui, notamment du côté de mon père qui, depuis que je suis petit, m’a toujours dit : « le respect, le respect, le respect ». Envers lui mais aussi envers les autres. Et ça m’a marqué parce qu’il me parlait tout le temps de ça. Alors bien sûr, on est tous des êtres humains et il y a des jours où l’on est un peu moins gentil, un peu moins aimable…

- Vous défendez deux valeurs, le travail et le respect, qui se perdent de nos jours…

Oui, surtout avec les réseaux sociaux, qui font beaucoup de mal, notamment au sein des jeunes générations. Je me souviens, il y a un an, je suis allé en boîte de nuit avec des copains. J’y ai vu des jeunes qui avaient l’impression d’avoir tout réussi dans leur vie, qui se voyaient comme des patrons. Et je déteste cette image d’une partie de la jeune génération qui veut tout montrer et donner une fausse image de leur vie. Sur les réseaux sociaux, il n’y a aucun respect. Je le vois dans les commentaires qu’on peut me faire sur mes performances, ma famille, ma copine, mes amis, sur des tas de choses. Tout ça peut m’énerver parce que je peux bien être champion du monde ou je ne sais quoi, je reste une personne comme tout le monde, qui peut réagir parfois trop vite à chaud… 

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