L’âme bleue


Pogba, une histoire française (2/3): la consécration en sélection

Champion du monde à deux reprises, avec les U20 puis les A, Paul Pogba a toujours entretenu une relation fusionnelle avec les équipes de France.

"C’est cette vie de groupe qui m’aide à me 
libérer et à bien me sentir sur le terrain"
   - PAUL POGBA, EN 2021

17 Jul 2025 - L'Équipe
DAMIEN DEGORRE

Du 22 mars 2013, sa première apparition en équipe de France (3-1 face à la Géorgie), au 29 mars 2022, sa dernière, brassard au biceps, Paul Pogba est entré dans une bulle à chaque fois qu’il a franchi le portail de Clairefontaine. Une parenthèse s’ouvrait, parfois douloureuse, souvent enchantée. Quatre-vingt-onze sélections, un titre de champion du monde avec les U20, un autre, cinq ans plus tard, avec les A, et l’impression de retrouver une famille au sein de laquelle il partagerait les joies les plus intenses avec un chef à sa tête, Didier Deschamps, qui ne le lâcherait jamais. Un peu plus de trois ans après France-Afrique du Sud (5-0), à Lille, «la Pioche» rêve de renouer le fil de son histoire avec les Bleus, même s’ils ont changé en grande partie, convaincu qu’il possède toujours son rond de serviette à côté de Kylian Mbappé, Ousmane Dembélé, Benjamin Pavard et Lucas Hernandez, derniers rescapés de 2018.Paul Pogba, coupe du monde en main sur la pelouse du stade Loujniki de Moscou après la victoire des Bleus en finale contre la Croatie (4-2), le 15 juillet 2018.

À part les Espoirs, qu’il n’a jamais connus, Pogba a fréquenté toutes les sélections de jeunes, des U16 aux U20, avec le même enthousiasme, la même fibre patriotique et la même influence. Pierre Mankowski, son sélectionneur en U19 et U20, confiait ainsi dans les colonnes du Parisien, le 12 juillet 2018 : « Il s’est toujours comporté comme le patron, le chef, celui que tout le monde suit.»

Des rappels à l’ordre, quand même

Chez les A, il patientera un peu avant de faire entendre sa voix, bien calé dans la roue de Patrice Évra dont il apprécie le leadership, même s’il ne s’en inspirera pas totalement. « Tonton Pat » à la retraite, il devient l’un des relais de Deschamps qui doit cependant lui rappeler, quelques fois, que l’équipe de France laisse peu de place aux états d’âme. Il se lance dans une « sarabande» qui ressemble à un bras d’honneur à la tribune de presse du Stade-Vélodrome lors de l’Euro 2016? Le sélectionneur le rappelle à l’ordre et lui recommande vivement d’apaiser sa relation avec les médias. Il s’en prend un peu trop ostensiblement à Pavard pendant la finale de la Ligue des nations 2021 ? Deschamps le recadre en privé, lui intime de ne pas se comporter de cette façon. Il reste sur son dos mais prend soin, aussi, de ne jamais l’accabler en public.

Le patron des Bleus sait à quel point Pogba lui est précieux. En Russie, l’équipe de France serait-elle allée au bout sans l’ancien Havrais, finaliste malheureux de l’Euro 2016 (0-1 a.p. face au Portugal), déterminé à ne pas revivre la même expérience? Pas sûr. Son discours, à la mi-temps de FranceArgentine, en huitièmes de finale (4-3), ou à la fin de France-Belgique, en demies (1-0), a toujours consisté à répéter: «On ne va pas simplement en finale. On va la gagner. » En Russie, le milieu international a débarqué les cheveux courts mais, pour la première fois depuis qu’il côtoie les A, il ne les avait pas colorés. L’affaire était trop sérieuse.

Lui, comme Antoine Griezmann, Blaise Matuidi et d’autres, n’ont pas digéré la défaite contre le Portugal, au Stade de France, et ils se sont juré de ne pas être retraversés par ce sentiment à l’amertume infinie. Alors Pogba avance, guide, montre l’exemple. Il danse, aussi, dès qu’il en a l’occasion, emmenant dans son sillage toute une bande, sa bande, qui apprécie cet ambianceur désinhibé, si fédérateur, qui peut s’énerver, parfois, mais ne se fâche jamais durablement.Paul Pogba a tout connu avec les équipes de France : les joies d’un titre mondial U20 en 2013 (photo du haut) ou d’une victoire en Ligue des nations en 2021 (photo en bas à droite, enlaçant Didier Deschamps, le seul sélectionneur qu’il a connu chez les A ; la peine d’une défaite en finale de l’Euro, à domicile, face au Portugal de Joao Mario en 2016 (0-1 a.p.).

Emmanuel Macron et Vladimir Poutine viennent féliciter les champions du monde 2018 dans le vestiaire ? Pogba arrose les deux chefs d’État au champagne, sans discernement, alors que le garde du corps de Poutine tente tant bien que mal de protéger son patron avec une serviette. « C’est cette vie de groupe qui m’aide à me libérer et à bien me sentir sur le terrain, racontait-il le 16 juin 2021 en conférence de presse. Être entouré de ces joueurs-là, de cette famille-là, ne peut être qu’un plus. Ce n’est pas que moi, c’est la force d’un groupe. » Un groupe qu’il a appris à choyer et encourager, servir et protéger. C’est ce que lui répète souvent le commandant de police, officier de liaison et de sécurité détaché auprès de l’équipe de France Mohamed Sanhadji, avec qui il noue une vraie complicité et adore échanger au sortir des salles de soins ou entre deux couloirs dans le château de Clairefontaine. Il s’intéresse à l’histoire de la sélection, affiche une curiosité nettement supérieure à la moyenne et refuse de subir sa vie d’international. Le néo-Monégasque aime aussi paraphraser celui que les joueurs surnomment «Momo» sur des airs de «Vive la République», avec une sincérité évidente.

L’équipe de France, sa priorité en toutes circonstances

Les Bleus sont sa République. Pas question de la faire trembler avec des considérations d’ordre privé, comme s’il se sentait investi d’une mission nationale. Le 14 mars 2022, lorsqu’il répond à la convocation du sélectionneur pour le premier rassemblement de l’année, Pogba se présente ainsi au centre technique national détendu, souriant, motivé, bref, fidèle à lui-même. La veille, pourtant, il avait été victime d’une séquestration en banlieue parisienne. Mais il ne laisse rien transpirer de ce qu’il vient de vivre. Lorsque l’ensemble de la délégation française est informé de ce fait divers, quelques mois plus tard, elle se replonge dans cette première journée de stage et demeure interdite, totalement abasourdie: comment a-t-il pu réprimer un tel traumatisme, sauter du coq à l’âne sans déplumer le coq, justement? Au nom de l’équipe de France, la Pioche semble prête à pas mal de concessions. Avant de participer à sa première Coupe du monde, au Brésil, il déclarait déjà, dans ces colonnes, le 18 mai 2013, que porter ce maillot «était une sensation particulière» .

En devenir l’un des patrons a renforcé ce sentiment. Voir Raphaël Varane, celui avec qui tout a commencé le 22 mars 2013 contre la Géorgie, lui tendre le brassard le jour de France-Afrique du Sud, un peu plus encore. C’était « l’eau et le feu » , comme le défenseur et le milieu se surnommaient, qui fusionnaient, faisant fi de toutes considérations managériales. Parce que Deschamps a toujours perçu Pogba comme un leader de son équipe, mais il estimait qu’il n’avait pas forcément besoin d’en être le capitaine. Témoin de la scène, le sélectionneur a néanmoins validé le geste de Varane depuis son banc. Dans le vestiaire, il a même offert le fanion de la rencontre à Pogba, heureux comme un gosse. Àce moment-là, le joueur de Manchester United était loin de s’imaginer qu’il se trouvait aux portes d’un désert international. Les blessures, d’abord, la suspension (*), ensuite, le temps pour redevenir un footballeur, enfin: les Bleus n’étaient plus qu’un horizon à contempler. Il refuse de se faire opérer du genou droit à l’été 2022, convaincu qu’une intervention chirurgicale lui barrera la route du Qatar, mais doit s’y résigner en septembre. Trop tard. La Coupe du monde sera sans lui. « Dieu avait un autre plan pour moi, écrit-il sur ses réseaux sociaux, la veille du match d’ouverture. Je soutiendrai mon équipe, ma nation, mon pays de loin mais mon coeur sera toujours avec lui.»

Le staff des Bleus ne l’oublie pas non plus. Il lui envoie le programme quotidien de l’équipe, horaires des séances et des repas inclus, pour lui faire comprendre qu’il fait partie de l’aventure, quand bien même se trouve-t-il à plusieurs milliers de kilomètres. Pogba fera malgré tout le déplacement dans l’avion du président de la République, le 18 décembre, pour aller encourager ses coéquipiers en finale, à Doha (3-3, 2-4 aux t.a.b. contre l’Argentine). Il fera également le déplacement en Allemagne, lors de l’Euro 2024, pour assister au huitième de finale contre la Belgique (1-0). À la fin du match, il descendra dans le vestiaire, portant N’Golo Kanté dans ses bras, presque plus heureux de la qualification que les joueurs. Mais cette vie par procuration atteint ses limites. Lui « rêve de rejouer la Coupe du monde » , confiait-il à L’Équipe, le 17 octobre dernier. Deschamps manie la prudence à son sujet mais il lui a toujours laissé la porte entrouverte, à condition qu’il travaille, qu’il rejoue et qu’il soit performant sur la durée. Cela fait quand même beaucoup de conditions à réunir en très peu de temps. « Je sais que ça se mérite» , rétorque Pogba. Qui, à 32 ans, sait qu’il aura un peu plus qu’un océan à traverser. 


(*) Le 11 septembre 2023, il est suspendu quatre ans pour dopage à la suite d’un contrôle positif aux métabolites non endogènes de la testostérone. Sanction réduite à dix-huit mois par le Tribunal arbitral du sport en octobre 2024, l’autorisant à rejouer à partir du 11 mars 2025.


Paul Pogba a tout connu avec les équipes de France : les joies d’un titre mondial U20 en 2013 (photo du haut) ou d’une victoire en Ligue des nations en 2021 (photo en bas à droite, 
enlaçant Didier Deschamps, le seul sélectionneur qu’il a connu chez les A ; 
la peine d’une défaite en finale de l’Euro, à domicile, face au Portugal de João Mario en 2016 (0-1 a.p.).

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