Tour : les sprints sont-ils voués à disparaître ?
MARCO BERTORELLO / AFP
Le Norvégien Jonas Abrahamsen (à gauche)
s’est imposé hier, lors de la 11e étape du Tour.
Victimes des puncheurs et du spectacle, les bolides de la dernière ligne droite voient fondre leur terrain d’expression.
Jean-Julien Ezvan - Envoyé spécial à Toulouse
17 Jul 2025 - Le Figaro
Ils sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis », a déploré Thierry Gouvenou, le directeur sportif du Tour de France, en reprochant aux équipes de sprinters d’avoir chloroformé la 8e étape arrivant à Laval le 12 juillet pour laisser filer une étape soporifique, ligotée. Un travelling lent, loin de l’intensité déployée par les puncheurs, nouvelles stars du peloton (Pogacar, van der Poel, Van Aert et compagnie) qui n’hésitent jamais à mettre les doigts dans la prise pour se lancer à l’assaut des difficultés, tremplins spectaculaires jetés sous leurs roues pour fouetter la course, éparpiller les candidats, faire battre à tout rompre les pulsations de l’épreuve. Comme à Rouen, à Vire ou à Toulouse avec la côte de Pech David (800 m à 12,4 %), ce mercredi à l’assaut d’un mur taillé pour des adeptes de l’escalade.
Des obstacles semés comme autant de cauchemars pour les sprinters aux grosses cuisses, habitués à débouler à 70 km/h, à frôler les barrières. Horde sauvage lancée naseaux fumants. Les hommes-fusées coiffés de leurs casques de gladiateurs ont, sur le Tour comme ailleurs, connu leur heure de gloire dans le sillage de Freddy Maertens, Mario Cipollini, Marcel Kittel ou Mark Cavendish. Avant de souffrir. Victimes des ingrédients qui ont fait leur succès, des aménagements routiers qui tendent de véritables pièges, des chutes qui émaillent les explications finales, émeuvent et tournent en boucle sur la toile. Et des retransmissions des étapes en intégralité depuis 2017.
« Un minimum de spectacle »
Thierry Gouvenou, directeur du Tour de France, détaille : « C’est né du constat de l’année 2024. On a eu huit ou neuf sprints massifs, les équipes de sprinters cadenassent tellement la course qu’il n’y a pas ou peu de possibilités de s’échapper. Pour nous, ce n’est pas acceptable, plusieurs étapes où il y a zéro échappée. Donc, on a rééquilibré le parcours cette année, et on aura au maximum cinq sprints, peutêtre six. Je ne suis pas contre le fait qu’il y ait des arrivées avec un sprint massif, mais on ne peut pas leur donner la part belle s’il ne se passe rien. Soit c’est parce qu’il y a trop d’équipes sélectionnées d’office, soit c’est une nouvelle façon de courir, mais s’ils courent comme ça, on mettra moins de sprints. Notre ambition, c’est de nous adapter à la tactique des courses pour avoir un minimum de spectacle, même si je comprends qu’il faut des moments un peu moins durs. »
Adulés, les sprinters voient leur domaine d’expression se réduire comme peau de chagrin. Marc Madiot, manager de l’équipe Groupama-FdJ, assure toutefois : «Il y aura toujours des sprints et des sprinters. C’est quand même le type d’arrivée qui se produit le plus souvent dans une saison. Après, tout dépend de la place qu’on leur laisse dans le calendrier, et notamment dans les grands tours. Réduire leur place, ce n’est pas très honnête, le sprint fait partie de la course cycliste. Il faut travailler sur la sécurité, peut-être en ralentissant les bicyclettes, mais dire qu’on enlève des sprints parce que c’est dangereux ou que ce n’est pas très spectaculaire en termes de suspense, ce n’est pas très objectif. Le sprint fait partie de la course et de l’expression naturelle du cyclisme, comme la montagne ou le contre-lamontre. » Et d’insister : « Le problème, c’est valable pour le Tour mais les autres également, c’est que les organisateurs ne veulent plus de temps mort. Les médias et le public n’en veulent plus non plus. Mais je suis désolé, un Tour de France, d’italie ou d’espagne, c’est une épreuve d’endurance. Il faut aussi accepter qu’il y ait des longueurs, de la répétition. On a souvent mis en exergue la lutte contre le dopage, il ne faudrait pas qu’on retombe dans de mauvais travers au prétexte du spectacle. »
Dans un Tour où les occasions seront rares, les sprinters savent que la dernière étape sur les Champs-élysées, traditionnellement réservée, pourrait leur échapper. Le triple passage dans la côte de la butte Montmartre, clin d’oeil aux Jeux olympiques de Paris 2024, pouvant venir leur scier les jambes et les priver de ressort. Christian Prudhomme, le directeur du Tour, aime à le rappeler : « J’ai toujours été partisan du temps fort-temps faible, à la manière d’aimé Jaquet, qui nous a conduits à un titre mondial en foot en 1998, mais, quand le temps faible, c’est aucune attaque, une fois, oui, deux fois, trois fois, c’est bien plus embêtant. Donc la réponse est à la fois de multiplier les côtes, d’aller chercher partout où elles peuvent exister sur les étapes de plaine, et en même temps d’essayer de réduire la taille des étapes. Mais il faut quand même qu’on avance, c’est le Tour de France. » Avec son histoire et ses obligations, ses envies et ses contraintes, son rythme infernal et ses évolutions. Quitte à froisser les habitudes…
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La dernière échappée de Thibaut Pinot dans sa ferme des Vosges
« Il a beaucoup de demandes, de médias, des marques, de sponsoring ou des événements qui souhaiteraient l’avoir comme parrain. Mais il a besoin de se concentrer sur lui-même. Ça n’a rien à voir avec la grosse tête, il a simplement envie d’avoir une vie normale »
- Julien Pinot Entraîneur de l’équipe
Groupama-FdJ et frère de Thibaut Pinot
Gilles Festor Envoyé spécial à Toulouse
C’est sans conteste possible sa plus belle attaque. Elle était prévisible, mais a laissé tout le monde sur place. Thibaut Pinot, le héros français quand il lève les bras au sommet du mythique Tourmalet en 2019 et le perdant magnifique qui pose le pied à terre en larmes dans la montée d’aussois cinq jours plus tard alors qu’il n’avait jamais été aussi proche de ramener le maillot jaune à Paris, a faussé compagnie à tout le monde. Disparu des radars du cyclisme et caché aux yeux du public dont il était devenu le chouchou du mois de juillet.
Un peu moins de deux ans après avoir rangé son vélo, à l’issue du Tour de Lombardie le 7 octobre 2023, le Franc-comtois s’est retiré dans sa ferme des Vosges, où il est né, à l’abri des regards indiscrets. Une retraite entre ses chèvres et ses ânes avec Charlotte, sa compagne. Insaisissable, comme lorsqu’il se levait, droit comme un I, sur son vélo pour dynamiter le peloton dans les pentes. Le Figaro a quand même essayé de renouer le contact avec lui. Nos confrères nous avaient pourtant mis en garde. « Il ne parle plus à personne.» Nous avons quand même tenté notre chance. Un message laissé sur sa boîte vocale, un autre écrit via SMS et des relances restées sans suite. Du Pinot tout craché.
Son frère Julien, entraîneur de l’équipe Groupama-FdJ, a bien tenté de jouer les intermédiaires pour nous en plaidant notre cause. En vain. Le grimpeur est un homme libre qui a enfin trouvé le calme auquel il aspirait dans un écrin de nature. « J’ai échangé avec lui avant de vous répondre. Je vous confirme qu’il ne souhaite pas répondre pour le moment aux sollicitations, confie-t-il. Il a beaucoup de demandes, de médias, des marques, de sponsoring ou des événements qui souhaiteraient l’avoir comme parrain. Mais il a besoin de se concentrer sur lui-même. Ça n’a rien à voir avec la grosse tête, il a simplement envie d’avoir une vie normale. »
Les apparitions publiques du jeune retraité promu chevalier de l’ordre national du Mérite en juin dernier se comptent sur les doigts d’une main. La dernière remonte à juin 2024 pour porter la flamme olympique à Baumeles-dames, où il reçut un accueil triomphal. En août, il avait aussi fait un court passage sur le plateau de la chaîne Eurosport à l’occasion du Tour d’espagne. «Être consultant régulier l’aurait obligé à venir sur Paris. Ça ne l’attire pas non plus », confie un autre de ses proches.
Les seules fois où il se déplace vers la capitale, c’est pour venir voir jouer le PSG, son club de coeur, dans la tribune du CUP, au milieu des supporteurs. Il y a quelques semaines, une trentaine de médias ont essayé de l’interviewer avant la finale de Ligue des champions face à l’inter Milan, à Munich. Autant de refus. Le jeune retraité, qu’on a vu allongé sur la pelouse de l’allianz Arena à l’issue du sacre parisien, ivre de bonheur, vit cette passion avec une extrême discrétion. « Pendant les courses, on regardait déjà les matchs ensemble. Le PSG, c’est une passion. On se croise parfois au Parc des Princes. Il aime vivre le truc à 100% comme un spectateur lambda. On le connaît, Thibaut, ce n’est pas un expressif et il est dans son monde », confie William Bonnet, fidèle lieutenant du Franc-comtois, avant d’ajouter : « Il aurait pu terminer dans la corbeille avec les personnalités, parce qu’il a été très souvent invité, mais il n’en a aucune envie. »
Très attaché à son ancien coureur, Marc Madiot, le patron de l’équipe Groupama-fdj, a gardé un lien grâce aux champions d’europe. «J’ai des nouvelles de lui à travers le foot, mais on s’appelle rarement. J’ai appris à connaître l’animal (rires). On a un groupe Whatsapp avec quelques personnes de l’équipe. Ça ne va pas beaucoup plus loin que ça, on charrie, on déconne sur le PSG, pas plus », confie le manager, qui l’a aussi convié sur le Tour de France plusieurs fois. « Ce n’est plus son truc, il n’a pas envie de venir. Ça n’a jamais été quelqu’un qui cherchait le contact, de toute façon. Il ne le fuyait pas, mais il ne le provoquait pas non plus », sourit Madiot à propos de son ancien poulain, qui avait même refusé de faire l’aller-retour à Paris pour rencontrer Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, en 2016. Pinot avait préféré rester avec ses copains autour d’un barbecue. « Les seules fois où il quitte sa région, c’est pour venir voir le PSG. Il lui arrive même de ne pas dormir sur place et de juste faire l’aller-retour parce qu’il est super occupé avec sa ferme », explique son frère.
Le quotidien de Thibaut Pinot, c’est donc une ferme à Mélisey, sur la terre de ses arrière-grands-parents, cultivateurs. Un havre de paix au bout d’un petit chemin, dans le village isolé où son papa est maire. Sur le plateau des Mille Étangs, il vit entouré de ses chèvres, de ses vaches et de ses ânes. « Il bosse de 7 heures du matin jusqu’à 22 heures. Ce nouveau métier le passionne», souffle son frère Julien. «Quand il était coureur, on était tous au courant de tout, des nouvelles naissances de ses chèvres, ses dernières plantations, ajoute William Bonnet. Il est heureux là-bas, ça suffit à son bonheur simple.» Il y a quelques jours, un admirateur est venu à sa rencontre à son domicile. Coeur généreux, il n’a pas su dire non. « Il a discuté avec lui, mais il trouve cela un peu intrusif. De toute façon, Thibaut ne savait pas dire non aux demandes quand il était coureur. Il acceptait les photos, ça faisait partie de son job, mais c’est vrai que ces choses lui pesaient beaucoup au fil des années. »
Thibaut Pinot a abandonné un projet de maison d’hôtes pour se concentrer sur l’ouverture prochaine d’un restaurant. Un moyen de mettre en avant les produits locaux. Reviendra-t-il un jour dans le milieu du peloton, avec lequel il a pris ses distances sans regret. « Il suit quand même l’actualité de son sport, j’ai été étonné de son suivi du dernier Giro, mais il a quasiment arrêté de faire du vélo, à part quelques sorties en VTT », ajoute son frère. « On le reverra, je pense, quand il aura un peu de nostalgie de tout ça d’ici quelques années, mais il restera en périphérie de ce monde. Il restera nature, comme il l’a toujours été, sans langue de bois et sans avoir jamais caché son jeu», estime Marc Madiot. Son frère demande encore un peu de patience. «Attendons que le Tour repasse un jour par la planche des Bellesfilles, sa montée fétiche, à une vingtaine de kilomètres seulement d’où il vit et il se reconnectera au Tour de France .» L’appel est lancé aux organisateurs.
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