MIROIR, MON BEAU MIROIR...


Abel Michéa (à gauche) et Roland Passevant (à droite), 
piliers de Miroir du cyclisme.

Comme une machine à remonter le temps... Chacun possède ses propres souvenirs de Miroir du cyclisme, qui a hanté et nourri des générations de passionnés, de 1960 à 1994. Le journaliste Pierre Ammiche se souvient des exemplaires empilés par son grand-père, avec derrière une certaine idée du vélo

FAUT-IL ÊTRE NOSTALGIQUE POUR AIMER MIROIR?
LA MÉLANCOLIE S'ACCORDE MIEUX AVEC LE VÉLO.

Pierre Ammiche
Miroir du cyclisme - n. 475/2025

Miroir, pour moi, ça n'est pas un objet. C'est un lieu, d'abord. Une odeur. Celle de la cave et du liège. De la terre. Des champignons et de la rouille. C'est une petite porte au fond du jardin. Derrière elle, c'est un monde merveilleux où se mêlent les outils et les vieilles bouteilles. C'est le « chai», où les affaires de pêche, les affiches de rugby et les objets en tout genre s'accumulent selon des règles insaisissables mais inflexibles.

C'est surtout une armoire en bois massif, oubliée au fond de la pièce, dont l'une des portes est un peu de guingois. Et une clé fantoche, qui ne sert pas à la fermer, mais à l'ouvrir. De toute manière, le verrou ne fonctionne plus. A-t-il déjà fonctionné un jour? Aucune idée. Comment ce meuble si lourd, si imposant, est-il passé par une ouverture si étroite? Je me demande si le lieu n'a construit autour, tant cette armoire paraît démesurée. La porte sans poignée, lourde, s'ouvre alors sur un trésor. Les Miroir. Ils sont là, empilés. Des Sprint, des Rugby, des Cyclisme. Il y en a une centaine. Peut-être plus. 

J'y plonge alors comme un archéologue, à la poursuite du passé et des histoires d'hier. Sous la plume de journalistes dont j'ignore tout, je revis les exploits de Bahamontes, Pingeon, Aimar, Ocaña, et tous les autres. La machine à remonter le temps existe. Elle se cache juste ici, dans un jardin de Charente-Maritime. J'apprends, entre les lignes d'un magazine plus vieux que moi, à aimer ces hommes, dont certains sont déjà morts. Il y a les attaques du Gitan, les colères du Grand Fusil, les pneumatiques Hutchinson et les maillots Mercier.»

Il y a les posters de Robic, l'apéritif Saint-Raphaël et les secrets de Poupou. Il y a les entraînements du Grand Jacques, les doutes de Stablinski et les honneurs qu'on fait à Louison. Je suis happé par une époque, et un ton. Celui de jadis, où l'on pouvait dire et écrire à peu près tout ce qu'on voulait.

Entre quatre murs et dans la pénombre, je suis libre. Je prends la roue de Merckx dans la descente du Poggio et je traverse les Alpes sur les épaules de Bernard Hinault. Je sens la caresse du vent du Nord sur mon visage et la chaleur du soleil italien du mois d'octobre. La douceur de l'herbe au cœur des vallées suisses et l'odeur du froid au sommet du Galibier.

Assez vite, les performances, je m'en fous. Je veux qu'on me raconte. Ce que j'aime, c'est le détail. La petite histoire dans la grande. L'Histoire, on l'apprend. L'anecdote, on nous la raconte. On la transmet. On la déforme. On l'embellit. On la dénature au gré du temps qui passe. Elle devient tantôt populaire, tantôt secrète. La frontière est parfois fine entre la légende et la rumeur. Au fond, cela ne dépend que de celui qui raconte et de celui qui écoute.

Miroir, c'est un homme, ensuite. Mon grand-père, Henri André Maurice Rouchaleau. C'est drôle, comme Louison Bobet et Raphaël Geminiani, il aurait eu 100 ans cette année. Il a connu Bartali, la guerre et Lance Armstrong. Dit comme ça, comme le temps passe vite. Il m'a transmis son amour du rugby, son humour et ses lectures.

Il m'a aussi laissé des tas de questions en suspens. Pourquoi a-t-il gardé ces vieux magazines au fond d'une armoire toutes ces années? Et comment lui, le Gaulliste convaincu, s'est-il retrouvé avec des kilos de papier édités par les communistes? Mon grand-père n'avait pas de secret, mais il aimait les mystères. Je ne saurai jamais comment ou pourquoi les revues sont arrivées là. Tout comme la plupart des choses qui reposent encore ici, d'ailleurs. 

Reste que lui, le râleur semi-professionnel, n'a jamais fait la moindre remarque en me voyant passer des heures dans sa caverne. Il préférait certainement me voir flâner dans la France cycliste de 1962 que surfer sur Internet. C'est fou quand j'y repense: je n'ai jamais vu le patriarche regarder la moindre course. Mais je pense qu'il allumait la télé en mon absence, pour pouvoir nous raconter ce qui était devenu un truc commun. Façon d'être bien sûr d'avoir vécu les mêmes courses et d'être, malgré la distance, au diapason de nos émotions. En racontant ce qu'il était, je ne peux taire l'existence étrange de son vélo. Lui, le héros de guerre à la voix rocailleuse et à l'accent lourd, juché sur un cycle de femme, rose, piqué de rouille, et dont les freins atteignaient des aigus dignes des plus grandes divas opératiques.

C'est un idéal enfin. Miroir, c'est mon enfance. C'est ma vie d'aventurier de fond de jardin. D'explorateur de papier. Des heures à sauter d'article en photo, de résultats en petites annonces, de couverture en entrevue. Et, quelque part, c'est une certaine nostalgie que j'alimente. Comment ne pas préférer Guimard l'irrévérencieux ou Hassen le magnifique à l'armée des frileux résignés, se contentant de l'ombre d'Indurain, plutôt que de la gloire éphémère d'une attaque sans espoir. 

Ce papier jauni est de la couleur de mon âme. C'est un filtre sépia que je traîne au creux du coeur depuis que je suis gamin. Faut-il être nostalgique pour aimer Miroir? Probablement. Et alors? De toute manière, la mélancolie s'accorde mieux avec le vélo. C'est curieux, le cyclisme est un film où il n'y a que les acteurs qui changent. Le peloton passe, repasse, invariablement aux mêmes endroits. Parfois on change une butte, on modifie un virage, on ajoute ou l'on retire un tour de circuit. Mais la lumière, l'odeur, le bruit et la fureur restent les mêmes. Quelque part, le vélo, c'est le marqueur du temps qui passe. Chaque fois que la caravane arrive, on est plus vieux que la fois d'avant. Et elle file, emportant avec elle nos peines, nos espoirs, nos rires de gosse et nos amours d'été. Comment résister à la tentation de rouvrir cette armoire pour, à mon tour, y empiler mes souvenirs, mes passions, mes colères? Comment ne pas vouloir léguer à la génération qui vient, à nos enfants ou aux leurs, une modeste trace de notre passage? Un jour, peut-être, le fils de mon fils poussera la porte d'un chai, tournera la clé d'une porte sans poignée, ouvrira une lourde armoire sans âge et découvrira les exploits de Pogačar, Remco, van der Poel et Van Aert. Il se mettra à aimer la douceur du Giro et crachera, amer, sur les années de plomb du vélo. Il exhumera les souvenirs fanés d'un Alaphilippe à Imola ou d'un Bardet à Rimini. Et il aimera les insoumis et méprisera les petits comptables du vélo. 

En fait, ce Miroir n'est pas comme les autres. Il ne renvoie pas ce qu'il voit. Mais ce que la génération précédente y a laissé. Il est un reflet du temps qui passe, dans lequel je plonge mon regard. J'y retrouve celui, azur, de mon grand-père. Avec lui, c'est une certaine idée du vélo. Un cyclisme empreint d'amour, de douceur et de liberté.

***

Abel Michéa (a sinistra) e Roland Passevant (a destra), 
pilastri di Miroir du cyclisme.

MiroirMiroir delle mie brame...

Come una macchina del tempo... Ciascuno ha i propri ricordi di Miroir du cyclisme, che ha affascinato e nutrito generazioni di appassionati dal 1960 al 1994. Il giornalista Pierre Ammiche ricorda le copie accumulate da suo nonno, con dietro una certa idea della bicicletta

Pierre Ammiche
Miroir du cyclisme - n. 475/2025

Miroir, per me, non è un oggetto. È prima di tutto un luogo. Un odore. Quello della cantina e del sughero. Della terra. Di funghi e ruggine. È una porticina in fondo al giardino. Dietro di essa si nasconde un mondo meraviglioso nel quale si mescolano attrezzi e vecchie bottiglie. È la “cantina”, dove gli attrezzi da pesca, i poster di rugby e oggetti di ogni genere si accumulano secondo regole sfuggenti ma inflessibili.

È soprattutto un armadio in legno massiccio, dimenticato in fondo alla stanza, con una delle ante un po' storta. E una chiave finta, che non serve a chiuderlo, bensì ad aprirlo. In ogni caso, la serratura non funziona più. Ha mai funzionato? Non ne ho idea. Come ha fatto questo mobile così pesante e imponente a passare attraverso un'apertura così stretta? Mi chiedo se il luogo non sia stato costruito attorno ad esso, tanto quell'armadio sembra sproporzionato. La porta senza maniglia, pesante, si apre su un tesoro. Le riviste Miroir. Sono lì, impilate. Sprint, Rugby, Cyclisme. Ce ne sono un centinaio. Forse di più.

Mi ci immergo come un archeologo, alla ricerca del passato e delle storie di ieri. Sotto la penna di giornalisti dei quali non so niente, rivivo le imprese di Bahamontes, Pingeon, Aimar, Ocaña e tutti gli altri. La macchina del tempo esiste. Si nasconde proprio qui, in un cortile della Charente-Maritime. Tra le righe di una rivista più vecchia di me, imparo ad amare questi uomini, alcuni dei quali non ci sono più. Ci sono gli attacchi del Gitan, le ire del Grand Fusil, gli pneumatici Hutchinson e le maglie Mercier.

Ci sono i poster di Robic, l'aperitivo Saint-Raphaël e i segreti di Poupou. Ci sono gli allenamenti del Grand Jacques, i dubbi di Stablinski e gli onori tributati a Louison. Sono catturato da un'epoca e da un tono. Quello di un tempo, in cui si poteva dire e scrivere praticamente tutto ciò che si voleva.

Tra quattro mura e nella penombra, mi sento libero. Prendo la ruota di Merckx nella discesa del Poggio e attraverso le Alpi sulle spalle di Bernard Hinault. Sento la carezza del vento del nord sul mio viso e il calore del sole italiano di ottobre. La morbidezza dell'erba nel cuore delle valli svizzere e l'odore del freddo sulla cima del Galibier.

Ben presto, le prestazioni non mi interessano più. Voglio che mi raccontino. Quello che mi piace sono i dettagli. La piccola storia nella grande. La Storia la si apprende. Gli aneddoti ci vengono raccontati. Li trasmettiamo. Li distorciamo. Li abbelliamo. Li snaturiamo con il passare del tempo. A volte diventano popolari, a volte segreti. Il confine tra leggenda e voce di corridoio è talvolta sottile. In fondo, dipende solo da chi racconta e da chi ascolta.

Miroir è anche un uomo, poi. Mio nonno, Henri André Maurice Rouchaleau. È buffo, come Louison Bobet e Raphaël Geminiani, avrebbe compiuto 100 anni quest'anno. Ha conosciuto Bartali, la guerra e Lance Armstrong. Detto così, come passa in fretta il tempo. Mi ha trasmesso il suo amore per il rugby, il suo umorismo e le sue letture.

Mi ha anche lasciato un sacco di domande senza risposta. Perché ha conservato quelle vecchie riviste in fondo a un armadio per tutti quegli anni? E come mai lui, convinto gollista, si è ritrovato con chili di carta pubblicata dai comunisti? Mio nonno non aveva segreti, ma amava i misteri. Non saprò mai come o perché quelle riviste siano finite là. Proprio come la maggior parte delle cose che ancora giacciono qui, del resto. 

Resta il fatto che lui, il brontolone semi-professionista, non ha mai fatto la minima osservazione vedendomi passare ore nella sua caverna. Sicuramente preferiva vedermi vagare nella Francia ciclistica del 1962 piuttosto che navigare su Internet. È pazzesco se ci ripenso: non ho mai visto il patriarca guardare neanche una gara. Ma penso che accendesse la tv in mia assenza, per poterci raccontare ciò che era diventato un evento in comune. Un modo per essere sicuro di aver vissuto le stesse gare e di essere, nonostante la distanza, in sintonia con le nostre emozioni. Raccontando com'era, non posso tacere la strana esistenza della sua bicicletta. Lui, l'eroe di guerra dalla voce roca e dall'accento marcato, in sella a una bicicletta da donna, rosa, ammaccata dalla ruggine, i cui freni raggiungevano acuti degni delle più grandi dive dell'opera.

È un ideale, dopotutto. Miroir è la mia infanzia. È la mia vita da avventuriero nel cortile di casa. Da esploratore su carta. Ore passate a saltare da un articolo all'altro, da una foto all'altra, dai risultati alle inserzioni, dalle copertine alle interviste. E, in qualche modo, è una certa nostalgia che alimenta. Come non preferire Guimard l'irriverente o Hassen il magnifico all'esercito dei timidi rassegnati, che si accontentano dell'ombra di Indurain, anziché della gloria effimera di un attacco senza speranza. 

BISOGNA ESSERE NOSTALGICI PER AMARE MIROIR?
LA MALINCONIA SI ACCORDA MEGLIO CON LA BICICLETTA.

Quella carta ingiallita è il colore della mia anima. È un filtro seppia che porto nel cuore fin da quando ero bambino. Bisogna essere nostalgici per amare Miroir? Probabilmente sì. E allora? In ogni caso, la malinconia si accorda meglio con la bicicletta. È curioso, il ciclismo è un film in cui cambiano solo gli attori. Il gruppo passa e ripassa, invariabilmente negli stessi punti. A volte si cambia una collinetta, si modifica una curva, si aggiunge o si toglie un giro di circuito. Ma la luce, l'odore, il rumore e la furia rimangono gli stessi. In un certo senso, il ciclismo è il segno del tempo che passa. Ogni volta che arriva la carovana, siamo più vecchi rispetto alla volta precedente. Ed essa sfreccia via, portando con sé i nostri dolori, le nostre speranze, le nostre risate di bambini e i nostri amori estivi. Come resistere alla tentazione di riaprire quell'armadio per impilarvi a mia volta i miei ricordi, le mie passioni, le mie ire? Come non voler lasciare alla generazione futura, ai nostri figli o ai loro figli, una modesta traccia del nostro passaggio? Un giorno, forse, il figlio di mio figlio spingerà la porta di una cantina, girerà la chiave di una porta senza maniglia, aprirà un pesante armadio senza età e scoprirà le imprese di Pogačar, Remco, van der Poel e Van Aert. Inizierà ad amare la dolcezza del Giro e sputerà, con amarezza, sugli anni di piombo del ciclismo. Riesumerà i ricordi sbiaditi di un Alaphilippe a Imola o di un Bardet a Rimini. E amerà i ribelli e disprezzerà i piccoli contabili del ciclismo. 

In realtà, questo Miroir non è come gli altri. Non riflette ciò che vede, ma ciò che la generazione precedente vi ha lasciato. È un riflesso del tempo che passa, in cui affondo lo sguardo. Vi ritrovo quello, azzurro, di mio nonno. Con lui, una certa idea del ciclismo. Un ciclismo improntato all'amore, alla dolcezza e alla libertà.

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