UN AVÈNEMENT
Paul Seixas a entériné son
Troisième des Championnats d’Europe hier, sur un podium royal avec Pogacar et Evenepoel, entrée dans le grand monde, à 19 ans à peine, devant un public en adoration.
"Ce qu’il fait est extraordinaire,
mais il faut qu’il reste calme,
qu’il prenne son temps,
car la carrière est encore longue"
- REMCO EVENEPOEL, À PROPOS DE PAUL SEIXAS
6 Oct 2025 - L'Équipe
PIERRE MENJOT
GUILHERAND-GRANGES (ARDÈCHE) – Ce n’est pas un couronnement. Pas encore. Mais à côté du double champion du monde, Tadej Pogacar, de son second, Remco Evenepoel (2e à Kigali, titré en 2022), un gamin de 19ans, visage encore juvénile, s’est incrusté sur la photo en même temps que dans le grand monde. Paul Seixas a vécu une journée épatante, la meilleure de sa vie au niveau sensations (lire par ailleurs), devant un public ardéchois qui le découvrait pour beaucoup et qui en est tombé amoureux, un coup de foudre bruyant comme la clameur qui a accompagné sa dernière ligne droite, où il put enfin profiter après cinq heures sur la selle.
Le coureur est dans le radar depuis un moment, mais ses douze derniers mois sont fous. Champion du monde du chrono dans la catégorie juniors il y a un an à Zurich (Suisse), il a conclu sa première course chez les pros par une 5e place au Grand Prix La Marseillaise, en février, à l’attaque au moment le plus dur, repris, mais assez fort pour s’arracher au sprint. Le Dauphiné avait été un premier tournant, avec un peloton aiguisé en vue du Tour (Pogacar, Vingegaard, Evenepoel…) au sein duquel il prit la 8e place finale, une promesse qui avait fait tilt dans l’esprit du sélectionneur Thomas Voeckler, hilare hier. «À son âge, j’étais content quand j’allais faire deux fois trois heures de vélo le week-end et trois heures le mercredi. Ce qu’il fait, c’est… On va en faire des tonnes, il le cherche bien aussi, mais je crois que ça glisse sur lui. »
Le Lyonnais, qui a débuté au Lyon sprint malgré la réticence de ses parents, puis grandi au VC Villefranche Beaujolais, a cette tranquillité, ce détachement qui « donne parfois l’impression qu’il plane un peu, se marre Nicolas Prodhomme, son équipier chez Decathlon AG2R La Mondiale, parti dans l’échappée hier. Mais c’est vraiment important pour lui de ne pas prendre trop la pression » . Un gars « très mature sur le vélo, un gamin en dehors, que j’ai beaucoup apprécié découvrir depuis deux semaines » , estime Julien Bernard, l’un des cadres du collectif bleu, dont Seixas dit avoir beaucoup appris sur l’esprit équipe de France. « Il a un charisme naturel, pas du tout forcé, une forme d’insouciance cumulée à de la décontraction, qui pourrait passer pour de la nonchalance, mais inversement proportionnelle à son côté hyper professionnel et d’anticipation de tout ce dont il a besoin. C’est bluffant » , s’étonne Voeckler.
Le sélectionneur l’avait emmené au Mondial rwandais avec un double objectif. Apprendre le premier jour, lors du contre-la-montre individuel, qu’il avait terminé très déçu (16e). Et aider l’équipe pour la course en ligne. Il tenta ainsi de prendre l’échappée, sans succès, mais résista, un jour où seulement trente hommes ont fini la course, et termina aux portes du top 10 (13e). « C’est surprenant mais super plaisant, et quand même marquant » , confiait-il la semaine dernière. Hier, aucune énergie dépensée inutilement. Le plus jeune coureur à participer à un Championnat d’Europe faisait partie des cartes sans être unique leader. Mais ses jambes ont vite affirmé son statut. « Au sommet du Val d’Enfer, il y en a trois qui nous ont doublé à une vitesse folle, et Paul faisait partie de ces trois-là ( avec Pogacar et Evenepoel), rembobine Prodhomme. Il continue à m’impressionner. »
Il semble déjà loin le temps où le néo-pro tentait de prendre le record du col de Rates (Espagne), une référence chez les grimpeurs, avec ses potes de Lyon l’hiver dernier. Déjà au Dauphiné, Decathlon avait dû délimiter une zone sans public autour de son car pour protéger son ado, en voyant le nombre de personnes croissant autour de lui. « Mais je peux vous assurer que sa tête n’a pas pris un demi-millimètre de diamètre, et je crois que ce n’est pas près d’arriver » , rigole Voeckler, qui découvre vraiment « Paulo » depuis deux semaines mais s’était renseigné auprès de ses collègues sélectionneurs chez les jeunes.
Alors Seixas reste ce garçon qui passe du temps à l’hôtel avec les Espoirs français, ses supposés équipiers s’il n’était pas directement passé de juniors à pro, du jamais vu en France. Celui qui laisse gagner Nicolas Prodhomme au Tour des Alpes lorsque les deux équipiers arrivèrent à deux, à l’encontre des consignes des directeurs sportifs. Celui qui, hier, a dû monter sur le podium avec ses chaussures de vélo car il n’avait pas prévu son petit sac avec les baskets, incapable d’imaginer s’inviter à un tel niveau. Mais ces altitudes sont désormais siennes, « et il a un grand futur devant lui, croit Remco Evenepoel, le premier à performer très jeune. Ce qu’il fait est extraordinaire, mais il faut qu’il reste calme, qu’il prenne son temps, car la carrière est encore longue, espérons. »
Du calme, mais beaucoup d’excitation, à l’image de Thomas Voeckler, un petit bisou sur la joue par-ci, une envolée lyrique par-là, conscient, surtout, d’avoir un diamant entre les mains. « Qu’il fasse ce qu’il a envie de faire, comme il aime, et on prendra ce qu’il nous donne, le bonheur qu’il apporte, mais surtout qu’il fasse son truc ! Peu importe ce qu’on raconte de lui, ce qu’on attend, qu’on s’enflamme, et si dans six mois ça va moins bien, eh bien c’est pas grave ! Qu’il fasse son chemin. Pour l’instant, son chemin, ça va vite. »
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«Les meilleures jambes de ma vie»
Paul Seixas s’est surpris hier en réussissant à suivre les meilleurs dans le Val d’Enfer, comme tout au long d’une journée éreintante où il n’a jamais flanché.
PIERRE MENJOT
- Monterauxcôtés de Tadej Pogacar et de Remco Evenepoel sur le podium, ça vous fait quoi?
C’est complètement fou. Si onmel’avait dit ce (dimanche) matin, je ne l’aurais vraiment pas cru. Onavait une équipe très solide, plusieurs cartes, et je mesuissenti super bien, j’étais dans un jour exceptionnel. J’ai eules meilleures jambes demavie. Quand Remco et Tadej attaquent, je me suis dit: ontente le tout pour le tout et cette fois-ci, j’essaie de suivre pour voir ce quec’est. J’ai réussi à m’accrocher jusqu’en haut (du Val d’Enfer). Cequeje voyais sur le compteur, c’était d’un autre monde par rapport à ce que j’avais fait le reste del’année. Je redoutais depayer cet effort et finalement, j’ai réussi à ne pas craquer. Aujourd’hui, j’ai passé uncap, et j’espère que ça va continuer.
- Qu’avez-vous ressenti durant la course?
Je nesaurais pas le décrire. Ma famille et ma copine étaient là. Tout le mondemesoutenait. Quandles gens crient tellement fort qu’on en devient presque sourd, comme dans le Val d’Enfer, ça galvanise. Çam’aobligé àvraiment mettre tout ce quej’avais, jusqu’à la dernière goutte desueur sur le front. Çarestera gravé dans ma mémoire, toute mavie. Une journée sur un nuage.
"Ma première saison pro, (…)
c’est au-delà de tous mes espoirs"
- Comment avez-vous géré, stratégiquement, quand vous étiez devant?
J’ai fait entièrement confiance à Thomas (Voeckler, sélectionneur). Il m’abien managé, m’adit denepaspasser derelais audépart, car mescoéquipiers roulaient derrière. Je me suis fait unpeuchahuter par les autres, ça m’a pesé unpeu, car j’ai eupeur qu’ils veuillent se débarrasser demoi. Mais Remco a roulé très fort, on a pris dutempssurle groupe derrière et, quand on a compris que ça ne rentrerait pas, j’ai puprendre des relais. Là, Remco est parti àla pédale, moi, j’ai essayé degérer la montéefinale commemonderniereffort, de donner tout ce quej’avais sans penser àce qu’il pouvait se passer après. Quandj’ai vu Scaroni (4e) à 20m derrière moi, je mesuisdit queje nepouvais pas le laisser revenir, j’ai appuyé aussi fort queje pouvais.
- Tout va très vite pour vous cette saison?
Je ne sais pas, je n’y réfléchis pas… Je donne toujours tout sur le vélo, je melaisse porter par le vent, et aujourd’hui, c’était juste unsuper moment. Je n’imaginais pas mapremière saison pro commeça, je pensais plutôt prendre del’expérience et quelques coups durs aussi. Finalement, je suis arrivé très fort (5e du GP La Marseillaise) et j’ai progressé tout aulong. C’est au-delà detous mes espoirs. »
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Une première saison chez les pros millimétrée
En huit mois, Paul Seixas a effectué trente-cinq jours de course. En trois phases.
"Il voulait bien faire au Tour de l’Avenir"
- JEAN-BAPTISTE QUICLET, DIRECTEUR DE LA
PERFORMANCE CHEZ DECATHLON-AG2R LA MONDIALE
THOMAS PEROTTO
Du 2 février au 5 octobre, la saison de Paul Seixas s’étend pour l’instant sur huit mois, en attendant sa conclusion samedi au Tour de Lombardie. En huit mois, il ne compte que trente-cinq jours de course. « Un nombre modéré et mesuré, souligne Jean-Baptiste Quiclet, directeur de la performance chez Decathlon-AG2R La Mondiale, avec des délais de récupération dessinés dès l’automne 2024. Le gap de son passage des juniors ( 31 jours de course) aux pros est compensé par l’entraînement. On ne voulait pas augmenter sa charge de compétition. On voulait du qualitatif. » Ces trente-cinq jours sont éloignés des standards habituels, même s’il faut prendre en compte le fait qu’il n’a disputé aucun Grand Tour à 21 étapes.
Sa saison s’est divisée en trois phases. La première, entre février et avril, avec seize jours de course. Seixas avait fait ses débuts en pro au GP La Marseillaise (2 février, 5e), avant d’enchaîner avec l’UAE Tour (17-22 février, nonpartant le dernier jour) et un gros bloc d’un mois avec la Cholet Agglo Tour (23 mars, 48e), Paris-Camembert (2 avril, 2e), La Route Adélie de Vitré (4 avril, 17e) et surtout le Tour des Alpes (21-25 avril, 12e du général et 3 podiums sur les étapes). « C’était important dans un premier temps de faire de l’intensité mesurée, avec des courses d’un jour plutôt que d’aller chercher direct une épreuve comme Tirreno-Adriatico ou le Tour de Catalogne. Le Tour des Alpes, c’était l’idéal, cinq étapes, 3500m de dénivelé en moyenne… », analyse Quiclet.
Seixas a ensuite observé une période de repos avant d’entamer sa préparation pour le Critérium du Dauphiné (8-15 juin), sa première grande course par étapes World Tour, terminée à une belle 8e place. Ce Dauphiné incarnait la deuxième phase de sa saison, avec également deux journées bien ciblées aux Championnats de France aux Herbiers, pour le chrono (26 juin, 3e) et la course en ligne (29 juin, 9e).
Après une semaine de vacances début juillet, le Lyonnais s’est entraîné à basse altitude pour préparer son mois d’août, qui aurait dû lui faire enchaîner Tour de l’Ain et Tour de l’Avenir. Il n’a finalement disputé que le deuxième, qu’il a remporté (23-29 août). Cette montée en puissance l’a amené aux Mondiaux à Kigali, où il a triplé chrono (21 septembre, 16e), chrono par équipes (24 septembre, 2e), course en ligne (13e), et donc à la course en ligne des Europe hier (3e). « Il y a eu un accroc début août dans sa préparation, avec une maladie qui l’a arrêté. Ça lui a mis vite de la pression, il voulait bien faire au Tour de l’Avenir, raconte Quiclet. Mais avec ce décalage, on savait aussi qu’il y aurait un peu de réserve pour la séquence avec l’équipe de France. Ça nous a permis d’augmenter le volume d’entraînement. Il est parti aux Arcs 1600 avec son entraîneur et un masseur, à moyenne altitude, comme à Kigali. Ça lui a beaucoup servi. Globalement, avec Paul, on prend le temps de faire les choses bien… »
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