«C’est comme travailler avec Federer ou Woods»
Directeur de la performance chez UAE-Emirates XRG depuis 2019, Jeroen Swart a vu évoluer Tadej Pogacar. S’il estime que son niveau a réellement augmenté en 2023, il n’est pas loin de penser que le Slovène a atteint son maximum.
"Aujourd’hui, Pogacar est très proche de son niveau ultime,
sauf si nous trouvons une autre méthode pour le faire progresser"
"Depuis Eddy Merckx, c’est la première personne avec un tel niveau de talent"
26 Jul 2025 - L'Équipe
YOHANN HAUTBOIS
- Vous attendiez-vous à ce que Tadej Pogacar soit à ce niveau de performance?
Enfait, il sesitue à un niveau presque similaire à l’an passé. Laplus grosse progression a eu lieu de 2023 à 2024, quand il a changé d’ entraîneur en passant d’Inigo San Millan, qui était mon ancien collègue, à Javier Sola. On a alors effectué beaucoup de changements et la différence est aujourd’hui évidente. Tadej ajuste maintenu son niveau. Jepense que Jonas Vingegaard était àsonmeilleur l’an passé, malgré ses blessures, et quecette année, il n’est pasaussi fort. Tadej n’a pas forcément progressé maisles autres ne peuvent pas lutter.
- Quel était votre objectif au début du Tour? Qu’il creuse des écarts rapidement?
Une des principales qualités de Tadej, c’est qu’il est capable de très bien récupérer alors que d’autres coureurs voient leurs performances décliner en troisième semaine et préfèrent anticiper enne commençant pas à fond. Ta de je st capable demaintenir son niveau pendant trois semaines. Ces dernières années, onl’a vu réaliser ses meilleurs résultats lors dela troisième semaine du Tour.
- L’an passé, il avait disputé le Giro avant le Tour. Comment avez-vous travaillé cette année, avec principalement les classiques en début de saison?
Certains vont se demander quelle est notre recette maisla vérité, c’est querien n’a vraiment changé. Jele répète, le principal changement, c’est quand on a modifié les méthodes d’ entraînement en novembre 2023 avec Javier Sola. Auprintemps, il a juste continué de s’entraîner sur quatre ou cinq mois en assimilant la méthode sur les classiques et nousl’avons encore vu progresser. Mais aujourd’hui, nousne voyons plus vraiment d’évolution, il est très proche de son niveau ultime, sauf si nous trouvons une autre méthode pour le faire progresser. Lascience continue d’évoluer, peut-être que des publications avec de nouvelles méthodes sortiront et que nous les appliquerons. La vraie différence cette saison aété soncalendrier, et on s’est d’abord concentrés sur la prise demasse musculaire, car les courses d’un jour nécessitent plus d’explosivité. Il n’a donc pas perdu de poids, il a réalisé plus de travail de renforcement et il n’a débuté ses séances de montagne que plus tard dans la saison, ce qui est toujours unrisque car passer d’un entraînement classique àun entraînement en altitude demande une période d’assimilation. Cela aurait pu avoir un effet négatif sur le Tour, mais on est heureux de constater que ce n’est pasle cas.
- Ce travail de renforcement explique-t-il qu’il attaque ou contre de plus en plus assis sur sa selle?
Totalement. Le travail de gainage est une part de sa capacité à rester assis, avec des manivelles plus courtes. Être assis et avoir uneplus grande fréquence de pédalage est bénéfique, dont le renforcement est l’un des facteurs. Mais depuis 2019et mon arrivée dans l’ équipe, nous avons continué d’ améliorer les camps d’ entraînement, d’intégrer les entraînements sous la chaleur, d’améliorer la nutrition avec des apports de 110, 120 grammes de glucide par heure quand auparavant, ils n’en consommaient que 60 à 80 grammes. C’ est une source d’énergie supplémentaire qui permet aux coureurs de gagner en endurance et en performance dans le final. Et nous continuons de regarder ce queles autres font. On a intégré le travail de sprint en haute altitude. Il n’y a donc pas un facteur mais cinq ou six, sans qu’on sache réellement lequel influe plus qu’un autre. Mais en les considérant tous ensemble, on peut constater une amélioration incroyable.
- Par le passé, vous avez travaillé avec Jan Ullrich, analysé les données de Chris Froome à sa demande. Dans quelle mesure Pogacar est-il plus fort qu’eux?
Onparle detrois décennies différentes au cours desquelles les choses ont totalement évolué. Du temps d’Ullrich, l’approche scientifique des entraînements était, il faut le dire, assez pauvre. On a aidé Jan àse remettre desa blessure àungenou, assez facilement pour être honnête. Et c’était assez fou qu’il ait pu courir avec cette blessure pendant trois ouquatre ans alors quela solution était assez simple. Mais l’approche n’était alors pas scientifique. Quant à Chris, je ne l’ai pas entraîné, je lui ai seulement donné des conseils quandil avait des blessures. J’ai commencé à entraîner en 2003 et quand je regarde en arrière, ce qu’on réalise aujourd’hui est à des années de lumière de ce que nous faisions il y a dixou vingtans, et cela continue d’évoluer avec l’accès aux data. Nous sommes non seulement capables de mesurer la fréquence de pédalage et son efficacité, mais nous avons également des capteurs de chaleur, de variabilité de fréquence cardiaque, de sommeil et, surtout, les outils pour les analyser. Il y a vingt ans, on mettait ses valeurs dansun tableau Excel et on réalisait des graphiques qu’on cherchait à comprendre. On possède aujourd’hui tellement de données, onpeut les analyser sur une même plate forme. Nous avons débuté une collaboration avec Analog ( société spécialisée dans l’informatique) et l’intelligence artificielle nous offre des informations précieuses que nous n’avions pas il y a cinq ans, encore moins il y a dixans. Parfois, il nous faut trois ouquatre ans pourles assimiler.
- Mais sur le plan physiologique, à quel niveau situez-vous Pogacar?
Avec Javier (Sola) et toute l’équipe d’UAE, nous avons conscience de la chance incroyable de travailler avec lui. Depuis Eddy Merckx, c’est la première personne avec untel niveau de talent. Cela n’arrive qu’une fois par génération, c’est comme travailler avec Roger Federer ou Tiger Woods, c’est juste incroyable de les voir réaliser ce dont ils sont capables.
- Quand quelqu’un domine autant son sport, le doute sur les pratiques dopantes est évident.
Quand on connaît le contexte et l’histoire de ce sport, c’est assez normal d’être sceptique. Leproblème, c’est qu’on ne peut pas prouver qu’un coureur est négatif, onn’a donc pas d’autre choix que de vivre avec ça et de continuer de croire en nos connaissances, en ce que nous faisons. Mais regardez l’équipement. Encinq ans, nous sommes passés de pneus de 23 ou 25 mm et aujourd’ hui, onroule avec des pneus de 30, voire de 31 mm ce qui a contribué àa méliorer la vitesse et l’aérobie, à tel point quevous avez l’impression que quel qu’un vous pousse et vous gagnez 4 à 5km/h. Personnellement, je ne suis qu’un amateur maisje ressens cette différence, alors imaginez pour des professionnels. Le gain est énorme. On le voit dans nos tests: sur une montée de quarante minutes, le matériel fait une différence de deuxà trois minutes.»
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40 - Depuis que le staff d’UAE a modifié ses méthodes d’entraînement, en novembre 2023, Tadej Pogacar a décroché 40 victoires. Le Slovène, qui s’est imposé 25 fois en 2024, en est à 15 succès cette année.
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