POGACAR DANS L’OPULENCE
Le Maillot Jaune Tadej Pogacar, suivi par Jonas Vingegaard, domine
cette 7e étape du Dauphiné: le Tour 2025 vivra-t-il un scénario identique ?
Avant le Tour de France, Tadej Pogacar et son équipe ont remporté le Dauphiné et le Tour de Suisse, mais pas le Giro, l’exception qui confirme la règle de leur écrasante domination actuelle.
4 Jul 2025
Vélo Magazine
Par Jean-François Quénet
Avec les succès de Joao Almeida au Tour de Suisse et Filippo Baroncini au Tour de Belgique, UAE Team Emirates-XRG a atteint en juin le score de cinquante victoires cette saison. Le record de quatre-vingtcinq établi par le Team Columbia-HTC de Mark Cavendish et André Greipel en 2009 est donc à sa portée (elle s’était arrêtée à quatrevingt-deux l’an passé). Il faut bien se rendre compte, en cette ère où prévalent les datas et les statistiques, que l’on est en présence de la meilleure équipe cycliste de tous les temps car au-delà des chiffres dont les différentes versions Quick-Step de Patrick Lefévère ont fait leur choux gras (soixante-treize victoires en 2018), l’écurie bâtie par Mauro Gianetti sur les cendres de la Lampre, dernière formation italienne du plus haut niveau (en 2016), excelle sur tous les terrains mais rarement au sprint.
Sur le Dauphiné, le duel Pogacar-Vingegaard a eulieu dès le premier jour
de course où le champion du monde (à dr.) l’a emporté dans le sprint final.
En 2025, UAE Team Emirates-XRG a remporté sept des dix épreuves World Tour par étapes qui précédent le Tour de France au calendrier. Joao Almeida n’était pas encore au point pour Paris-Nice (6e) avant de réaliser un triplé Tour dy Pays Basque-Tour de Romandie-Tour de Suisse qui le positionnerait comme l’un des favoris de la Grande Boucle s’il n’était pas coéquipier du vainqueur sortant. Les deux défaites – qui demeurent des places de deuxième faisant beaucoup d’envieux – sont celles de Juan Ayuso, sur une erreur de placement, face à Primoz Roglic au Tour de Catalogne, et d’Isaac Del Toro, supplanté au Giro par Simon Yates, qui nourrissait depuis 2018 sa revanche sur la perte du maillot rose au profit de Chris Froome. Au moins, le doute est-il permis : la même équipe ne gagne pas à tous les coups et les adversaires conservent une forme d’espoir.
SUSPICION ET FONDS
Chaque fois que les coureurs d’une formation dominante sont interrogés sur les secrets de sa réussite, ils sont bien embarrassés car leur vision de la situation globale est trop étroite et ils s’empêtrent souvent dans une justification par « le dur travail », un non-dit qui ouvre la porte à toutes les supputations, même les moins fondées. Puisque sonne l’heure du Tour de France, résonne aussi la suspicion. Autant replanter le décor : c’est la seule course de la saison où, systématiquement, depuis plus d’un quart de siècle, le même raccourci est utilisé par une partie des médias et par ricochet par une partie du public, à savoir que le vainqueur est déclaré coupable de dopage par anticipation, sans présomption d’innocence. Qui voyage sur la planète cycliste peut témoigner qu’il s’agit là d’une mentalité spécifiquement française. Tadej Pogacar (ou son successeur) n’y échappera pas cet été alors qu’une quatrième victoire du Slovène et de son équipe entrerait juste dans la logique des choses.
UAE Team Emirates-XRG, c’est d’abord un budget, pas rendu public mais qui dépasse les 50 millions d’euros annuels, si l’on se réfère aux pratiques salariales du moment. Cela représente plus du double des équipes du milieu de tableau. L’argent vient des Émirats arabes unis selon une dynamique assez bien documentée. Le président du groupe sportif, Matar Suhail Al Yabhouni Al Dhaheri, est richissime. Brigadier général des forces armées en retraite et éminence des sports équestres, il a fait fortune dans l’immobilier et divers secteurs économiques de son pays envers lequel il se sent redevable, et c’est pourquoi l’intitulé de son équipe cycliste commence par l’acronyme de la nation. Emirates, l’une des puissantes compagnies aériennes des émirats, le suit dans l’aventure et comme il siège au directoire de plusieurs sociétés particulièrement prospères, il lui suffit de lever le petit doigt pour abonder le budget à chaque besoin. C’est lui qui a signé la prolongation de contrat de Tadej Pogacar jusqu’en 2030, en octobre dernier, et le Slovène est alors apparu dans une manifestation publique à Abu Dhabi ceint d’un maillot mêlant les couleurs de l’arcen-ciel et la mention « UCI World Tour best team 2024 » à la quelle Matar tient tant. Par devoir, il est aussi retourné en février gagner L’UAE Tour, où apparaissent régulièrement Mohammed bin Zayed Al Nahyan (plus connu comme MBZ), émir d’abu Dhabi et président des Émirats Arabes Unis, et Mohammed ben Rachid Al Maktoum, qui règne sur Dubaï.
PERFORMANCE ET IA
On comprend mieux les mécanismes alimentant le cyclisme aux EAU qu’ à Bahreïn, qui continue d’arroser depuis 2017 sans résultat majeur dans les Grands Tours (mais attention, son grand espoir, Jakob Omrzel, le clone de Pogi, Slovène lui aussi, vient de gagner le Giro NextGen à 19 ans!)… Le monde occidental a trop tendance à réduire la richesse de l’écurie numéro 1 mondiale aux pétrodollars qui circulent dans la région du golfe persique. XRG, nouveau venu dans l’appellation, est axé sur les énergies vertes. Sur les épaules des coureurs, on lit «Analog». C’est un géant mondial de l’intelligence artificielle, basé à Abu Dhabi. Il apporte sa technologie au service de la performance, mais c’est un élément que ne voudront pas entendre les pourfendeurs du Maillot Jaune en juillet. Pourtant, il a été annoncé en février dernier que les Émirats Arabes Unis vont investir 30 à 50 milliards d’euros dans le développement de l’intelligence artificielle en France, le pays du Tour. On s’éloigne ici de la question de savoir si UAE Team Emirates-XRG est plus ou moins forte, tactiquement, que Visma-Lease a Bike, mais il y a d’abord une logique économique en amont des stratégies de courses.
Dans l’ultime étape du Dauphiné, Pogacar s’est contenté de
rester dans la roue de Vingegaard a fin de s’adjuger le général.
Richard Plugge, le patron de l’armada néerlandaise qui a remporté les trois Grands Tours en 2023 (avec Primoz Roglic, Jonas Vingegaard et Sepp Kuss, tous trois formant aussi le podium final de la Vuelta), en est à se creuser les méninges pour recruter malin quand il n’a pas les moyens financiers de retenir un sprinteur comme Olav Kooij. UAE Team Emirates-XRG fait les transferts qu’elle veut, et ça donne, pour épauler Pogacar au Tour de France, tous les watts développés par Joao Almeida, Adam Yates, Pavel Sivakov, Marc Soler, Nils Politt, Tim Wellens et Jhonatan Narvaez, qui étaient auparavant des leaders à temps partiel chez Quick-Step, Ineos, Movistar, Lotto et Bora.
Le cyclisme est dans la même configuration qu’il y a dix ans quand le Team Sky dominait le marché, imposant son timing de recrutement au mépris des règles édictées par L’UCI, avec la complicité d’un puissant agent de coureurs (ou deux) – ces temps-ci, l’activité est régulée par les frères Carera qui préparent déjà l’après-pogacar avec Del Toro, Omrzel… et tant d’autres ! Joxean Fernandez Matxin, qui passait pour le meilleur scout du monde quand c’était son métier principal, chez Quick-Step, entre ses périodes de directeur sportif et maintenant de manager sportif, est pour ainsi dire dépassé par ces agences qui furètent dans les courses cadets et accessoirement juniors au cas où ce ne soit pas déjà trop tard pour dénicher une pépite. Une fois posées les fondations financières, politiques, technologiques et relationnelles, UAE Team Emirates-xrg pratique aussi le cyclisme. Et c’est là où ça devient intéressant cette année. D’abord, il ne fait plus aucun doute que le véritable patron de son secteur sportif est Tadej Pogacar. «Je donne mon opinion, j’écoute celle des dirigeants et après on essaie de prendre la meilleure décision», soutient le champion du monde.
PRÉCIEUSE ANNA
Mais celle de disputer Paris-Roubaix (2e), il l’a prise tout seul, contre l’avis de Matxin et la recommandation de Gianetti, qui préconisait d’attendre un an ou deux. À chacune de ses grandes envolées très loin de l’arrivée, il prétend avoir agi à l’instinct et à l’encontre des instructions des directeurs sportifs, et c’est ainsi qu’il s’est incliné à l’Amstel Gold Race face à Mattias Skjelmose pour avoir présumé de ses forces en laissant Julian Alaphilippe en plan à 42 km de l’arrivée. Le cyclisme de Pogacar est très divertissant car teinté de folie et il omet toujours de préciser les données technologiques en sa possession qui rendent l’exploit possible. Anna lui en fournit beaucoup. Anna est le robot d’analog. Elle permet de visualiser les profils tridimensionnels des étapes du Tour de France, simule les scénarios de courses en parfaite connaissance des forces et faiblesses des adversaires, sait exactement quand Jonas Vingegaard va commencer à manquer de ressources. Données de puissance, fréquences cardiaques, cadence, masse corporelle, glucides, protéines, sodium… Anna sait tout ! Anna les analyse en fonction de l’humidité, de la variation des températures et de la pression atmosphérique. Et bien sûr des reliefs.
Dans la descente du col de la Croix de Fer, Pogacar ne laisse le soin à personne de
mener l’allure, mais c’est dans la montée finale vers Valmeinier qu’il fera la différence.
COUACS EN CHRONO
Au vrai, là où l’on accusait volontiers Bradley Wiggins, Chris Froome et Geraint Thomas d’être robotisés, du temps où les Britanniques remportaient six Tour de France en sept éditions (2012-2018), Tadej Pogacar l’est mais ça se voit beaucoup moins. Le Slovène a ajouté le Critérium du Dauphiné à son palmarès. Il ne l’avait disputé qu’une fois auparavant, dans sa version raccourcie en août 2020 (4e). Ensuite, il s’était enfilé deux Tour de Slovénie (2021-2022) pour plaire à son public national. En juin 2023, il achevait sa convalescence consécutive à sa chute de Liègebastogne-liège et l’an passé, il récupérait du Giro.
Là, pour sa course de rentrée après son troisième Liège-Bastogne-Liège victorieux, il a pris le maillot jaune cerclé de bleu dès le premier jour, répondant à une provocation inattendue de Vingegaard dans le final vers Montluçon. Il s’en est débarrassé dès le lendemain en comptant bien les places dans le peloton qui le séparaient de Jonathan Milan, vainqueur en France pour la première fois de sa carrière pro (et quelque chose nous dit que ce n’est pas fini). Ivan Romeo, un autre baby-champion, s’en est emparé le troisième jour et l’événement de la semaine s’est produit contre la montre: sur 17,4 km entre Charmes-sur-Rhône et Saint-Péray, Pogacar, seulement quatrième, a concédé 49’’ à Remco Evenepoel et 28’’ à Jonas Vingegaard. Une énormité dans le cyclisme moderne? Pas dans celui de Pogi. «No stress, a-t-il tempéré. Je n’ai pas encore bien préparé le contre-la-montre et le Dauphiné est justement là pour montrer le travail qui reste à accomplir avant le Tour. Je pense que je me suis un peu trompé dans mon tempo. Je suis parti un peu trop prudemment. » Le surlendemain, la première étape alpestre arrivait à Combloux, précisément là où il connut sa plus grande désillusion contre la montre, battu d’1’38’’ par Vingegaard (mais deuxième, tout de même) sur les 22,4 km de la 16e étape du Tour 2023. Cette journée fut un tournant dans la carrière de Pogi. Fort de cette défaite, il prit le pouvoir en interne, congédia son entraîneur, Inigo San Millan, professeur de médecine à l’université du Colorado, bardé de diplômes et de compétences en physiologie du sport. Le Basque est resté dans l’orbite UAE puisqu’il coache désormais Juan Ayuso, le prétendant au trône qui a scellé son désamour avec le boss en ne se sacrifiant pas complètement pour lui dans l’étape du Galibier l’an passé (troisième à Valloire, en compagnie d’evenepoel, Roglic et Vingegaard).
Sur le Giro, Simon Yates a chipé le maillot rose de leader à Isaac Del Toro,
le jeune coéquipier de Pogacar, à l’issue de la 20e étape.
Redevenu le dominateur absolu du Tour de France, Pogacar décréta qu’ayuso irait au Giro cette année et ne marcherait plus sur ses platesbandes. Tout semblait fonctionner pour l’espagnol, vainqueur d’étape d’un Grand Tour pour la première fois dans les Abruzzes, un jour de reprise du pouvoir par Primoz Roglic, ce qui correspondait au duel attendu. Mais l’un comme l’autre ont chuté dans l’étape de Sienne, sur les fameuses routes blanches, et ne s’en sont jamais remis, contraints d’abandonner plus tard.
POGI LE GRAND FRÈRE
Il est permis de douter que Pogacar aurait envoyé ses félicitations à Ayuso s’il avait pris le maillot rose, mais il s’est empressé de le faire lorsque Del Toro est devenu leader au terme de cette étape magique, remportée par Wout Van Aert. Là a commencé l’aventure du « torito » (le petit taureau), qui a éveillé des centaines de médias mexicains, parmi les moins sportifs, à l’existence du grand cyclisme. Quand la défense du maillot rose s’est inscrite à l’ordre du jour, dans les Dolomites, où Del Toro a privé Romain Bardet d’une sortie triomphale à Bormio, au pied du Stelvio, Pogacar, fort de son expérience de champion sortant du Giro, a encore appelé son coéquipier, restant un quart d’heure au téléphone pour lui prodiguer ses conseils. Ils n’ont pas suffi pour éviter le renversement de situation au col des Finestre, où Simon Yates préparait son attaque décisive depuis la publication du parcours, en janvier. Là où il avait tout perdu en 2018, il gagnerait malgré ses 32 ans et une tendance qui voudrait que les jeunes d’aujourd’hui soient irrésistibles. Le matin, le Britannique comptait 1’21’’ de retard et Richard Carapaz 43’’. L’équatorien a réagi trop tard à l’attaque de Yates. Le Mexicain a voulu le mettre à l’ouvrage et au final, les deux Latino-américains se sont sabordés, montant sur le podium final à Rome avec des débours énormes: 3’56’’ et 4’43’’.
CUISTOTS À GOGO
Sur les deux autres courses par étapes de montagne qui, depuis l’après-guerre, préfigurent le Tour de France, l’inverse s’est produit. Au Tour de Suisse comme au Critérium du Dauphiné (dernier du nom, avant le Tour Auvergne-rhône-alpes), le leader D’UAE Team Emirates-XRG a renversé la situation : Pogacar avec une grande facilité sur les trois étapes de montagne, où Vingegaard et Evenepoel lui sont apparus bien inférieurs, contrairement au contre-la-montre, Almeida avec plus d’abnégation sur les route helvètes.
Comment le Portugais, grandissime favori en l’absence de véritable concurrence, a-t-il pu, le premier jour, laisser filer l’échappée des puncheurs français (Romain Grégoire, Kévin Vauquelin et Julian Alaphilippe) et couper la ligne d’arrivée avec 3’12’’ de retard? Il lui restait 33’’ à combler lors de la cronoscalata finale. Une formalité face à Vauquelin, qui, comme Del Toro, ne peut se déclarer complètement déçu de sa 2e place finale.
Le Normand, passé près de devenir le premier Français vainqueur d’une course par étapes du World Tour depuis Christophe Moreau au Critériume du Dauphiné 2007, a relevé le manque de moyens dont disposait son équipe Arkéa-B&B Hotels, «venue sans cuistot». De fait, la formation UAE Team Emirates-xrg en a tant qu’elle peut se permettre des erreurs tactiques ou un contre-lamontre faiblard de son leader incontesté Tadej Pogacar.

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