« Ici j’étais heureux » : sur les traces de la jeunesse de Diego Maradona à Buenos Aires


Une fresque murale à la gloire de Diego Maradona, 
dans le quartier de La Paternal, à Buenos Aires (Argentine).

Le quartier de La Paternal entretient un souvenir vivace et ému des premiers exploits de la légende.

« C’était un moment spécial de pénétrer dans sa maison, 
voir comment il vivait avec sa famille. 
On y apprend différentes anecdotes, 
notamment sur l’argent gagné ici »
   - Teresa - Une Autrichienne fan de football

« Maradona demeure une idole nationale vénérée, 
mais avec la montée des thématiques sociétales et féministes, 
son image a souffert de quelques critiques »
   - Emiliano Blanco, journaliste local spécialiste du football

8 Aug 2025 - Le Figaro
Lucas Michel Buenos Aires

Son visage est partout. Une bouille singulière, reconnaissable entre mille, qui veille sur un quartier tout aussi unique. À La Paternal, dans un nord-ouest de Buenos Aires pas franchement prisé des touristes, Diego Maradona accompagne du regard les passants. Et ce dès le départ, après une grosse demi-heure de trajet depuis le centre, où un invisible arrêt de bus dévoile une immense fresque comme une indication : « La Paternal, Tierra de D10S », la terre du dieu Diego Maradona, dont deux visages radieux encadrent la pancarte de bienvenue.

Isolé et sans histoires, le quartier de La Paternal raconte pourtant une histoire. Celle du légendaire joueur argentin, du début de sa carrière avant sa grande vie, de sa révélation à un pays avant sa conquête du monde, « De La Paternal au monde », comme il est inscrit sur une sublime mosaïque. Là-bas, il a grandi avec le club local des Argentinos Juniors, dont le stade sera renommé en 2003 « Estadio Diego Armando Maradona ». Un nom revenu dans l’actualité ces derniers mois avec le procès sur les circonstances de la mort de l’ancienne gloire argentine, décédée le 25 novembre 2020 à l’âge de 60 ans des suites d’une crise cardiaque.

Presque cinq ans plus tard, sept professionnels de santé, qui l’accompagnaient pendant ses deux dernières semaines dans une maison de repos, sont poursuivis pour des négligences ayant entraîné sa mort et risquent jusqu’à 25 ans de prison. Sauf que fin mai, après deux mois et demi d’audiences tendues, le procès a été déclaré nul en raison de la mise en cause d’une juge, Julieta Makintach, récusée après avoir collaboré à un projet documentaire sur la mort de la star, remettant en question son indépendance.

Un « résultat nul » qui n’a finalement pas bousculé l’actualité locale. « C’était un sujet d’importance nationale quand le procès a démarré, mais ça s’est rapidement évaporé, atteste Emiliano Blanco, journaliste local spécialisé dans le football. Le procès revenait au départ dans les conversations quand quelque chose s’y passait, mais ce n’était plus vraiment un sujet d’intérêt récemment. »

Au départ, l’actualité judiciaire était rythmée par différents rebondissements, avec les passages de sa famille devant la justice et les médias pour mettre le pays et les fans du « Dios » en émoi. Des photos ainsi que le récit de ses dernières heures, où les mots « isolé » et « agonie » ont été cruellement répétés, ont notamment conduit l’une de ses filles à quitter la salle d’audience. Apparue à nouveau déchirée, entre les soeurs de la star d’un côté, ses enfants de l’autre, s’écharpant sur des différences de traitement, sa famille est désormais condamnée à attendre. Les parties prenantes envisagent un nouveau procès d’ici la fin d’année, voire début 2026.

Mais du côté de La Paternal, rien n’a bousculé le calme routinier du quartier. À l’intérieur de La Casa de D10S, son ancienne maison transformée en musée, les visites restent en majorité l’apanage d’admirateurs venus de l’international, du Brésil et surtout d’europe, avec notamment un grand nombre d’italiens fans du Napoli, l’autre coin du monde où le numéro 10 a été élevé au rang de saint.

Venus d’autriche pour découvrir la singulière passion sud-américaine pour le football, un couple de « groundhoppers », ces voyageurs du ballon rond, ont profité de l’occasion pour se rendre sur les terres du « symbole du foot argentin». «C’était un moment spécial de pénétrer dans sa maison, voir comment il vivait avec sa famille, se réjouit Teresa. On y apprend différentes anecdotes, notamment sur l’argent gagné ici. » Passé professionnel dès l’âge de 16 ans chez les Argentinos Juniors, celui qui deviendra très vite le « Pibe de Oro » (le « gamin en or ») réservait ses premiers salaires à sa famille.

À l’intérieur de la maison, nichée au beau milieu d’une rue qui ressemble à toutes les autres, on retrouve toutes sortes de reliques : des maillots, des médailles, des coupes et autres exemplaires du Grafico, le magazine de foot dont il a rapidement fait la une. Perché sur un mur, le premier contrat du jeune Diego s’affiche comme l’une des fondations de la maison.

Cette signature a permis au prometteur gaucher de quitter ses origines bien plus modestes de Villa Fiorito, en banlieue de Buenos Aires. Pour ses 18 ans, son club formateur lui a acheté une maison à deux pas du stade, permettant ainsi au prodige d’offrir un toit, et surtout une chambre, à ses parents ainsi qu’à ses frères et soeurs. « Sa première grande fierté », raconte la curatrice du musée.

Mais les premiers salaires demeuraient loin de l’opulence qui allait suivre jusqu’à aujourd’hui. «On y comprend que la famille a su garder l’humilité des débuts dans cette maison, où on ressent une énergie singulière mais familière», note Paula, une « Maradoniana » revendiquée. Venue du nord du pays, la jeune Argentine décrit sa visite comme « une expérience extrêmement émotionnelle», prise par « la magie du lieu ».

Celle-ci opère une fois dans la chambre de la légende. Nichée au premier étage, à droite d’un escalier, l’intimité du jeune Diego se découvre dans une pièce exiguë. Le lit simple occupe l’angle de la chambre, une armoire fermée garde les derniers secrets de l’adolescent. Au mur, un poster de son premier titre international, acquis en 1979 avec les espoirs argentins aux dépens de L’URSS. Un premier triomphe comme une revanche, lui qui n’avait pas été retenu avec la grande sélection, un an auparavant, pour le Mondial 78 à la maison. Une vive déception, d’autant que l’albiceleste glanera là sa première étoile.

Après ce premier titre, le prodige jouera deux saisons de plus chez les Argentinos Juniors, tandis que sa famille restera au même endroit, où elle continuera d’inviter les amis et les voisins pour partager l’asado « barbecue » sur le toit, avec vue panoramique sur le quartier. Là-haut, une chambre a depuis été vidée et transformée en un sanctuaire, où affluent maillots et stickers du monde entier, entre autres offrandes.

En face, une fresque bientôt terminée dévoile un jeune Maradona sous les couleurs du club local. Autour, un nuage noir s’amoncelle, comme un signe annonciateur. Le « Dios » ne sera pas que lumière. Mais à La Paternal, il baignait encore dans l’insouciance des débuts. « Aqui vivio feliz », est-il d’ailleurs inscrit à l’entrée du musée. «Ici j’ai vécu heureux »…

Un souvenir raconté en couleurs par les peintures murales, omniprésentes, comme des indications sur le chemin à suivre. Le héros local est partout, sa bouille d’ange et sa coupe afro, drapé du rouge sang d’argentinos Juniors. Ailleurs dans la ville, comme dans le plus coloré et touristique quartier de la Boca, on retrouve le Maradona légendaire, celui de l’argentine et des Boca Juniors, statufié au côté de l’autre légende du pays, Lionel Messi. À La Paternal, il n’y a de la place que pour le jeune et souriant « Pibe de Oro ».

« Diego est l’âme du quartier, ces fresques racontent le jeune garçon qu’on a tous connu», salue Ruben, habitant de longue date du quartier et ancienne connaissance du joueur, qui venait parfois dîner chez lui, à quelques encablures du stade. Ce dernier, dont le père était l’un des intendants du club, se souvient d’un «garçon très respectueux et d’une grande simplicité » avant son grand départ pour les Boca Juniors, club plus riche et plus célèbre de la capitale.

Avant, le légendaire numéro 10 aura relancé l’équipe locale, inscrivant 116 buts entre 1976 et 1981. Un demisiècle plus tard, son ancien jardin est désormais prisé des touristes, comme Adrien et trois autres Français, venus en « pèlerinage » sur cette terre sacrée. « C’était un passage incontournable et j’ai adoré ce stade, ces fresques sur la vie de Diego et son ambiance », s’enthousiasme cet admirateur croisé dans le musée du club.

Une visite incluse dans l’opportun tourist ticket de 40 000 pesos (environ 40 euros), donnant également accès à un billet de match et à la pelouse, au bord de laquelle chaque siège porte l’inscription comme une légende : Maradona 10. Le culte est moins poussé dans le petit musée, caché en dessous de la tribune latérale, où l’enfant du club partage l’affiche avec d’autres gloires locales. Hormis le mythique maillot ciel et blanc Coq Sportif, celui de la « main de Dieu » et du sacre du

Mondial 86 - son chef-d’oeuvre avec la sélection -, aucune trace de la suite de la vie du natif de Buenos Aires.

Une autre vie passée loin de La Paternal, où l’environnement convoque un jeune garçon insouciant, pas encore le personnage complexe et ses tourments. La suite s’est écrite plus loin, à Boca Juniors puis en Europe, avec son lot de déboires, la drogue et l’alcool, et une opinion publique moins tendre, en évolution avec son temps. « Maradona demeure une idole nationale vénérée, mais avec la montée des thématiques sociétales et féministes, son image a souffert de quelques critiques, rappelle Emiliano Blanco. Sa vie et ses nombreux excès ont été des sujets débattus par la société argentine avant sa mort. »

La fin de la vie du « Diez » a ému toute l’argentine. « Quand il est décédé, tout a changé », assure le journaliste. Passé proche de la mort au début des années 2000 avant d’opérer, entre autres expériences sans relief, un retour raté à la tête de la sélection en 2010, Maradona a sombré dans la solitude. Abandonné par une partie de sa famille et isolé pendant la crise du Covid, il aurait même repris goût à l’alcool. Avant de tomber définitivement, le 25 novembre 2020. « Ce jourlà, c’était le Maradona tourmenté et plein de péchés qui était mort - seul le vénéré symbole est resté », soutient le chroniqueur local.

« Les images de sa fin de vie continuent de faire mal aux Argentins, poursuit Emiliano Blanco. La plupart des gens n’ont pas toutes les clés en main concernant le procès, encore moins qui est jugé, mais ils ont la conviction que quelqu’un doit payer. » Il faudra désormais attendre plusieurs mois et le début d’un nouveau procès pour espérer faire la lumière sur les ultimes zones d’ombre, qui ont finalement toujours accompagné sa légende.

« C’était un privilège de l’avoir connu, il était si simple et gentil, avant la suite qu’on connaît. Il ne peut s’en prendre qu’à lui-même, mais c’est bien malheureux ce qui lui est arrivé », conclut Ruben, le ton soudainement plus grave. Aujourd’hui, l’octogénaire, véritable encyclopédie des Argentinos, continue d’aller au stade, le plus souvent avec son neveu, pour entretenir le mythe. Là-bas, du côté de La Paternal, la lumière, celle des débuts, ne semble jamais s’être éteinte. Ici, et sans doute plus qu’ailleurs, Diego est éternel. 

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