Ventoux, vous avez dit Ventoux?
Dressé au-dessus de Carpentras, le Gèant de Provence reste un cauchemar pour tous les coureurs, parmi lesquels le romancier Bernard Chambaz, cycliste émérite. Le poète Pétrarque a inauguré son ascension mythologique en 1336, le Tour de France y revient cette année.
Par Bernard Chambaz, écrivain
Miroir du cyclisme n. 475/2025
Le Ventoux s'aborde de plusieurs façons. Par le versant nord et par le versant sud, bien sûr, ou par le versant est, assurément le plus facile, par l'histoire et par la géographie, par la litanie inépuisable des anecdotes, par un matin frais de préférence ou par une fin d'après-midi s'il vient couronner une belle journée, avec un braquet plus ou moins grand, avec méfiance ou en confiance. Par ordre chronologique aussi - et je le choisis décroissant parce que la nature et la science confirment l'intuition que nous décroissons. La dernière fois, j'ai envie de dire que ce sera la prochaine, cet été si les circonstances s'y prêtent. J'en rêve, je n'arrive pas à décider par quel versant, alors sans doute les deux, mais je sais à l'avance que ce sera plus difficile et plus lent que la fois précédente, je sais que les lois physiques sont implacables et, sous l'influence du réchauffement climatique, j'ai déjà eu l'occasion de le remarquer, les pentes sont de plus en plus pentues.
La vraie dernière est à la fois lointaine et pas si lointaine, avec mon cousin Denis et nos meilleurs copains. Cette fois-là, nous étions partis de Malaucène et nous l'avions gravi en compagnie d'une ribambelle de jeunes femmes au maillot orange qui avaient fière allure et qui nous damaient le pion avant de rentrer au pays des tulipes. L'année qui a suivi, mon cousin a dû ranger à tout jamais son vélo. Il avait commencé avec un Oscar Egg vert pistache, taille 64, et je crois qu'il aurait tout donné pour l'enfourcher encore ne serait-ce qu'une petite heure au bord de l'étang de Berre.
Ma plus belle ascension remonte au mois de juin 2009. C'était le terme d'une droite avec zigzags qui allait de Brindisi au Ventoux et qui joignait les principaux lieux liés à la vie et à la mort de Virgile, Pétrarque et du peintre Simone Martini, trois compagnons de luxe pour des sacrées parties de manivelle. J'avais une bonne dizaine d'étapes dans les jambes, j'avais gravi le passo della Futa, qui figure déjà chez Dante, et j'avais enchaîné l'étape magique qui va de Cuneo à Pinerolo (1) avec ses cinq cols majeurs, autant dire que la vie était belle. Pour le Ventoux, je m'étais mis dans les mains de Pétrarque, dans ses pas aussi, du compte rendu qu'il en avait donné dans une lettre à son confesseur, à peine redescendu. Il avait voulu aller y voir, par curiosité, parti à l'assaut après avoir relu la veille l'Histoire romaine de Tite-Live, rien que ça, il était parti de Malaucène avec son jeune frère et deux serviteurs pour les servir, ils avaient rencontré en chemin un vieux pâtre monté là-haut cinquante ans auparavant et personne depuis. C'est ce qu'aurait dit le vieux pâtre, qui aurait ajouté qu'il n'y avait rien à voir là-haut, ce qui n'est ni faux ni vrai. La fatigue fut l'expérience première de l'ascension, bravée par le pari de voir malgré tout quelque chose, même si ce devait être rien. Sans s'y attendre, il avait donc découvert qu'on est soi-même un morceau de paysage. Là-haut l'air était léger, les nuages en dessous, les Alpes enneigées, l'Italie si proche, le ciel plein de nostalgie, les larmes au rendez-vous. Il avait regardé en arrière et en avant, il avait 32 ans « d'une vie qui déjà décline vers la vieillesse », l'âge de Coppi lors de la première ascension. Abasourdi par les sensations que lui procurait la vue à 360 degrés, il ouvrit le livre qu'il avait emporté avec lui, c'était les Confessions de saint Augustin, il les ouvrit au hasard, on est bien obligé de le croire, et il lut: « Et les hommes vont admirer les cimes des monts (...) et ils s'oublient eux-mêmes. »
Le jour venu, j'avais prévu l'ascension des deux versants à la suite, j'avais les jambes, et je m'y suis tenu. L'écrivain suisse Charles-Albert Cingria trouve que, ce qu'il y a d'émouvant dans le Ventoux, ce sont d'abord les chênes verts qui font des teintes de vieille huile, c'est bien vu surtout la vieille huile en branches touffues sur les calcaires gris-blanc. Alors il n'y a plus qu'à appuyer sur les pédales. J'avais commencé par la face nord et le mont Sereyn (mont Serein). Du sommet, il ne restait plus qu'à se laisser glisser sur le ruban de goudron entre des glacis de poudre et de cendre comme si on était sur la Lune. Et puis, une fois en bas, remonter par Sainte-Colombe, à travers la forêt, jusqu'aux 6 derniers kilomètres assez âpres et redescendre à tombeau ouvert, l'âme en paix, redescendre sans se frapper de la recommandation de Géminiani à Kübler, tombé deux fois en 1955: «Attention Ferdi, le Ventoux n'est pas un col comme les autres.» À quoi il avait noblement répondu: « Ferdi non plus n'est pas un coureur comme les autres. »
Ce sera donc la 19 ascension cette année. Il a déjà été le splendide décor de huit passages et de dix arrivées. Le premier passage eut lieu en 1951 et le nom de Lazaridès ne dit malheureusement plus grand-chose à grand monde; le plus célèbre, j'y reviendrai, c'était en 1955; le plus tragique, je ne m'y étendrai pas, c'était en 1967, marqué par la mort de Tom Simpson à cause des amphétamines bien entendu et à cause de l'appât des gains, mais aussi en raison de son épuisement, d'une chaleur humide terrible et de l'interdiction faite aux coureurs d'être ravitaillés en simples bidons d'eau fraîche, ne soyons ni oublieux ni hypocrites; le plus remarquable, c'était en 1994, parce que Eros Poli pesait 85 kilos, bien qu'il eût perdu la bagatelle de dix-neuf minutes entre le pied et le sommet; le dernier, c'était il y a quatre ans, avec la singularité si je puis dire que les coureurs y sont passés deux fois. Les arrivées sont plus tardives. La première en 1958 n'est qu'un simple contre-la-montre qui n'a pas la saveur d'une course en ligne; la plus impériale date de 1970 puisqu'elle revient à Eddy Merckx, qui éparpille tous ses concurrents dès la forêt et qui passe seul sous la stèle dressée à la mémoire de Simpson, le regard attiré par Jacques Goddet dans son éternel bermuda beige assorti à la caillasse, une gerbe de fleurs fraîches dans les bras; la plus cocasse survient en 2016 quand Froome brise son vélo contre une moto qui ne monte pas assez vite à cause des abrutis qui courent à côté des coureurs et Froome continue à pied, en courant à son tour, avec ses escarpins de canard, arrivée cocasse et écourtée à cause de la puissance des rafales de vent; la plus rapide, sincèrement, je m'en moque pour au moins une bonne raison, d'ordre météorologique. Personne n'a besoin de dessin pour comprendre que, à partir du chalet Reynard, tout dépend du sens et de la vitesse du vent.
Si nous avons appris à lire dans Miroir Sprint et Miroir du cyclisme et aussi dans les pages roses du Larousse, un livre de la collection « Bibliothèque verte» m'a ouvert des horizons dont je ne suis jamais revenu. Champion cycliste fut un cadeau d'anniversaire sans égal pour mes 10 ans. Louison Bobet commence son récit par une phrase qui en impose: « Cette nuit-là, j'avais très bien dormi. » Quand je lirai, un peu plus tard, mais bien avant de rouler sur une selle Proust, l'incipit d'A la recherche du temps perdu, « Longtemps, je me suis couché de bonne heure », j'aurai l'occasion de me le rappeler. Bobet avait tout intérêt à bien dormir puisque dès la deuxième phrase on apprend que le réveil sonna (passé simple) à 5 heures et demie et qu'il se leva (toujours au passé simple) d'un bond. Ce que je comprenais d'autant mieux que c'était le jour de sa première grande course et qu'il allait la gagner. Il y consacre près de 50 pages, sept chapitres, avec la côte du boulevard Lefebvre, après la porte de Versailles, qu'aujourd'hui encore je ne monte pas sans penser à lui ni sans penser désormais au dimanche de juillet 2023 où j'aurai vu passer le peloton du Tour pour la dernière fois. Peut-être dois-je aussi ce cadeau à la chance que cette course printanière, les Boucles de la Seine, était organisée par le journal l'Humanité. On n'est moins loin qu'on ne pourrait le croire du Ventoux, même si Bobet l'ignore étrangement le jour de la première ascension. Pas une seule ligne dans son livre, nous sommes donc en 1951, un dimanche, sur le versant nord enfin goudronné. Dix fois Géminiani tente de lâcher Koblet, en vain, sinon nous écririons qu'à sa dixième attaque il a enfin réussi à le lâcher. Cette année-là c'est donc le jour de Lucien Lazaridès, qui put s'envoler et passer en tête au sommet « dans un style d'une rare pureté, des yeux très doux », selon Félix Lévitan, qui n'était pourtant pas un poète, mais qui apporte la preuve de la double magie du Tour, celle de la course et celle des mots. Toutefois c'est lui, Bobet, qui emportait l'étape dans la cité des Papes.
Fausto Coppi est là sans être là. À l'arrivée, il évoque bon col mais qui se grimpe» avant de déplorer s'y être « lamentablement traîné », ce qui reste évidemment relatif. Cependant, « lamentablement » est à prendre au sens propre, celui de la lamentation, de la tristesse infinie, du regret. Il n'a pas surmonté la mort en course de son jeune frère, Serse, tombé sur la tête, quatre jours avant le Tour ne s'élance. Prendre le départ est un crèvecœur mais il a conscience que, s'il ne s'y force pas, il ne remontera jamais sur un vélo. Alors toutes les bonnes raisons l'y incitent et il promet à sa mère de rouler avec un casque. Si la route est un long calvaire cet été-là, une des plus grandes victoires de toute sa carrière sera sa résurrection, la sienne seulement, mais sa résurrection dans la grande étape alpestre avec le col de Vars, où soudain « un uomo solo è al comando, la sua maglia è bianco-celeste, il suo nome é Fausto Coppi», inutile de traduire, puis avec l'Izoard qu'il rendra illustre.
Bobet est davantage prolixe sur le tour 1955, le troisième qu'il gagne d'affilée. Il n'y en a d'ailleurs que pour l'étape du Ventoux. Il faut d'abord partager sans coup férir tout un chapitre sur sa blessure à la selle (aux fesses) et on comprend, en effet, que le vélo requiert parfois un énorme courage. En fait, c'est là qu'il escompte gagner le Tour, enfoncer le clou si on peut dire. La chaleur est torride, l'heure au zénith, la pente « chauffée à blanc par le soleil ». Malgré sa blessure ou, plus exactement, à cause de sa blessure, il attaque, il lâche tout le monde, il rattrape Kübler échappé, il le laisse sur place, victime d'une défaillance monumentale, Ferdi, 36 ans, devenu un coureur comme les autres, il passe le sommet en tête mais dans un état « comateux », il arrive tout en bas, « mort, à bout de forces ».
En revanche, il n'a pas un mot pour Jean Malléjac. Son équipier, dossard no9, huitième du classement général le matin, tombe en syncope. On doit lui desserrer les mâchoires pour qu'il avale une gorgée d'eau, il faut une piqûre de camphre et un ballon d'oxygène pour le ranimer. Dans l'ambulance, il se débat et réclame son vélo pour repartir. Il défendra mordicus la thèse de l'insolation puis l'hypothèse d'un bidon au goût amer qu'on lui a donné. Dans un entretien à la télévision qu'il accorde un 11 juillet, il dit qu'il aurait souhaité une analyse de ce bidon, mais qu'on a retrouvé le bidon vide; il a de la prestance) et un beau sourire, il exprime des doutes, il paraît sincère, il a du vocabulaire, « c'est curieux, ça m'a même semblé bizarre ». Voici l'invention débonnaire de « l'insu de mon plein gré», mais rien à voir avec Virenque dont je n'ai rien à dire de sa victoire en 2002 sinon qu'il est arrivé en haut avec deux minutes d'avance sur Lance Armstrong. Au passage, une phrase échappe à Malléjac: « Il y a des jours on n'avait pas besoin de stimulants. » Il continue à répondre aux questions, un peu gêné, oui, « la topette», «la charge», il a bien une petite idée de quoi il retourne. Il sait qu'il a frôlé la mort. Avec prudence, il concède que « c'est devenu monnaie courante ». À la question pourquoi, sa réponse est lucide: les coureurs vont de plus en plus vite et, plus ils vont vite, plus ils veulent aller vite. Deux jours plus tard, Tom Simpson rend l'âme.
Dans un autre registre, propice aux folies, j'ai vu que la cycliste belge Betty Kals était entrée il y a dix ans dans le Guinness des records, ce que ni Bobet, ni Coppi, ni Malléjac n'ont réussi. Huit ascensions en vingt-quatre heures, soit 12 240 mètres de dénivellation, l'y ont propulsée. Cela dit, Stéphanie Gros, que je connais, a battu ce record l'année suivante avec 14 612 mètres. J'ai lu dans la presse régionale que le 7 mars 2025 un sociétaire du club de Cavaillon, qui a l'avantage de jouer à domicile, l'avait monté pour la millième fois et, comme il est jeune, relativement, mais jeune, il ne semble pas vouloir s'arrêter là. À sa place, j'en ferais autant. Balzac, venu trop tôt au monde pour pédaler, avait anticipé la situation: « l'admiration est toujours une fatigue pour l'espèce humaine». En tout cas, pour être franc, quel que soit l'engouement que suscite le Ventoux, je préfère le Galibier versant nord, la Bonette versant nord et le col Agnelles deux versants. Nul doute pourtant qu'il exerce un attrait hors du commun. Le vélo a toujours à voir avec le désir, avec l'endurance, avec le paysage, avec la poésie. Et, pour finir, en hommage à Maurice Vidal, à Abel Michéa, à Émile Besson, qui nous ont initiés au Tour de France, à son histoire et à sa géographie, à ses longues étapes de plaine où il se passait forcément quelque chose même s'il ne se passait rien, à ses étapes de montagne où le cœur bat plus vite, aux herbages et à la pierraille, aux tartes à la fraise et au ballon de rouge, aux faits de résistance et à l'humanité profonde, rien de mieux peut-être que ce poème légèrement retouché pour le Miroir qui nous a tant fait rêver:
Comme revenir en adieu au mont Ventoux
où Ventoux dit moins le vent
que la montagne << qui se voit de loin >>
petit tas de calcaire concassé
pour vous dire au revoir
sur ce vers entêtant
s'il flotte un peu de Ventoux
à l'origine des citrons
Son plus beau surnom est sûrement le Géant de Provence, qui a un petit côté Giono. Quand on le voit de loin, de la plaine, il peut faire penser à une baleine. Pendant un demi-millénaire, il a été déboisé pour alimenter les chantiers de construction navale, des goélettes plutôt que des baleiniers. La prochaine fois que je monterai depuis Sault, par la troisième face, je me suis promis de m'arrêter devant le mémorial du maquis du Ventoux, en souvenir du commandant Bayard, d'Anatole et de d'Artagnan, de tous les maquisards qui se sont servis de leur bicyclette pour que nous puissions aujourd'hui encore aller librement à vélo.
Et, comme on n'en finit jamais avec l'ascension du Ventoux, je viens ici saluer mon collègue Paul Fournel, redescendu de là-haut pour s'asseoir sur la terrasse d'un ami et « regarder pousser les chênes truffiers dans le champ d'en face ». Franchement, on ne saurait mieux dire le bonheur d'avoir fait une sortie, le bonheur de la chose accomplie, sachant qu'on est toujours prêts à repartir pour un tour de manège, de sorte que le mot de la fin soit « vélo ».
(1) Étape mythique du Giro 1949, où Coppi accomplit 192 kilomètres en solitaire, franchissant en tête la Madeleine, Vars, l'Izoard, Montgenèvre et Sestrières pour triompher avec 11 minutes et 52 secondes d'avance sur Bartali.
***
Ventoux, avete detto Ventoux?
Situato sopra Carpentras, il "Gigante della Provenza" rimane un incubo per tutti i corridori, tra cui lo scrittore Bernard Chambaz, cicloamatore esperto. Il poeta Petrarca inaugurò la mitologica scalata nel 1336, e quest'anno il Tour de France vi fa ritorno.
Di Bernard Chambaz, scrittore
Miroir du cyclisme n. 475/2025
Il Ventoux può essere affrontato in diversi modi. Dal versante nord e dal versante sud, naturalmente, o dal versante est, sicuramente il più facile, attraverso la storia e la geografia, attraverso l'inesauribile litania di aneddoti, preferibilmente in una fresca mattinata o nel tardo pomeriggio, se corona una bella giornata, con un rapporto più o meno lungo, con diffidenza o con fiducia. Anche in ordine cronologico - e lo scelgo decrescente perché la natura e la scienza confermano l'intuizione che stiamo diminuendo. L'ultima volta, mi viene da dire che sarà la prossima, quest'estate, se le circostanze lo permetteranno. Lo sogno, non riesco a decidere da quale versante, quindi probabilmente da entrambi, ma so in anticipo che l'ascesa sarà più dura e più lenta della volta precedente, so che le leggi della fisica sono implacabili e, sotto l'influenza del riscaldamento globale, ho già avuto modo di notare che le pendenze sembrano sempre più ripide.
L'ultima vera volta è allo stesso tempo lontana e non così lontana, con mio cugino Denis e i nostri migliori amici. Quella volta siamo partiti da Malaucène e l'abbiamo scalato in compagnia di un gruppo di ragazze in maglietta arancione che avevano un aspetto magnifico e che ci hanno battuto sul tempo prima di tornare nel Paese dei tulipani. L'anno successivo, mio cugino ha dovuto riporre la sua bicicletta per sempre. Aveva iniziato con una Oscar Egg verde pistacchio, taglia 64, e credo avrebbe dato qualsiasi cosa per montarci sopra ancora una volta, anche solo per un'ora, in riva allo stagno di Berre.
La mia ascesa più bella risale al giugno 2009. Era alla fine di un percorso a zig-zag che andava da Brindisi al Ventoux e che collegava i luoghi principali legati alla vita e alla morte di Virgilio, Petrarca e del pittore Simone Martini, tre compagni di lusso per delle sacre pedalate. Avevo già una decina di tappe alle spalle, avevo scalato il Passo della Futa, che compare già in Dante, e avevo completato la magica tappa che va da Cuneo a Pinerolo (1) con i suoi cinque passi principali, insomma, la vita era bella. Per il Ventoux, mi ero affidato a Petrarca, seguendone le orme, dal resoconto che ne aveva dato, appena sceso, in una lettera al suo confessore. Aveva voluto andarci per curiosità, partendo all'assalto dopo aver riletto il giorno prima la Storia romana di Tito Livio, nientemeno, che era partito da Malaucène con il fratello minore e due servitori al loro servizio, avevano incontrato lungo la strada un vecchio pastore salito lassù cinquant'anni prima e nessuno dopo di lui. Questo avrebbe detto il vecchio pastore, che avrebbe aggiunto che lassù non c'era nulla da vedere, il che non è né falso né vero. La fatica fu la prima esperienza dell'ascensione, sfidata dalla scommessa di vedere comunque qualcosa, dovesse anche essere nulla. Senza aspettarselo, aveva quindi scoperto che noi stessi siamo un pezzo di paesaggio. Lassù l'aria era leggera, le nuvole sotto, le Alpi innevate, l'Italia così vicina, il cielo pieno di nostalgia, le lacrime pronte a scendere. Si era guardato indietro e avanti, aveva 32 anni, «una vita già in declino verso la vecchiaia», l'età di Coppi durante la sua prima scalata. Sbalordito dalle sensazioni che gli procurava la vista a 360 gradi, aprì il libro che aveva portato con sé, erano le Confessioni di Sant'Agostino, lo aprì a caso, siamo costretti a credergli, e lesse: «E gli uomini vanno ad ammirare le cime dei monti (...) e dimenticano se stessi. »
Il giorno stabilito, avevo programmato di scalare entrambi i versanti uno dopo l'altro, avevo le gambe giuste e mi sono attenuto al mio programma. Lo scrittore svizzero Charles-Albert Cingria ritiene che ciò che commuove del Ventoux siano innanzi tutto le querce verdi che assumono le tonalità dell'olio invecchiato, un'osservazione azzeccata, soprattutto l'olio invecchiato nei rami folti sul calcare grigio-bianco. Quindi non resta che spingere sui pedali. Ho iniziato dal versante nord e dal monte Sereyn. Dalla cima, non restava che lasciarsi scivolare sul nastro d'asfalto tra glacis di polvere e cenere, come se fossimo sulla Luna. E poi, una volta giù, risalire da Sainte-Colombe, attraverso il bosco, fino agli ultimi 6 chilometri piuttosto aspri e ridiscendere a tutta velocità, con l'anima in pace, senza badare al consiglio di Géminiani a Kübler, caduto due volte nel 1955: «Attento Ferdi, il Ventoux non è un passo come gli altri». Al che lui aveva nobilmente risposto: «Neanche Ferdi è un corridore come gli altri».
Quest'anno sarà quindi la diciannovesima scalata. È già stata lo splendido scenario di otto passaggi e dieci arrivi. Il primo passaggio risale al 1951 e il nome Lazaridès purtroppo non dice più molto a nessuno; il più famoso, ci tornerò sopra, fu quello del 1955; il più tragico, su cui non mi dilungherò, fu nel 1967, segnato dalla morte di Tom Simpson a causa delle amfetamine, naturalmente, e della brama di guadagno, ma anche a causa della sua stanchezza, di un caldo umido terribile e del divieto imposto ai corridori di rifornirsi con semplici borracce di acqua fresca, non dimentichiamolo e non siamo ipocriti; il più notevole è stato nel 1994, perché Eros Poli pesava 85 chili, nonostante avesse perso ben diciannove minuti tra la base e la cima; l'ultimo è stato quattro anni fa, con la particolarità, se così posso dire, che i corridori ci sono passati due volte. Gli arrivi sono più recenti. Il primo, nel 1958, fu solo una semplice cronometro, prova che non ha il sapore di una gara su strada; il più imperiale risale al 1970, quando Eddy Merckx, dopo aver staccato tutti i suoi avversari nella foresta, passa da solo sotto la stele eretta in memoria di Simpson, con lo sguardo attratto da Jacques Goddet nei suoi eterni bermuda beige abbinati alla ghiaia, con un mazzo di fiori freschi tra le braccia; la più strana risale al 2016, quando Froome rompe la sua bicicletta contro una moto che non sale abbastanza velocemente a causa degli idioti che corrono accanto ai corridori e Froome continua a piedi, correndo a sua volta, con le sue scarpette da ciclismo, un arrivo buffo e abbreviato (a chalet Reynard, ai -6,6 km dalla vetta, ndr) a causa della potenza delle raffiche di vento; il più veloce, sinceramente, non mi interessa per almeno un buon motivo, di ordine meteorologico. Non c'è bisogno di spiegazioni per capire che, a partire dallo chalet Reynard, tutto dipende dalla direzione e dalla velocità del vento.
Se abbiamo imparato a leggere su Miroir Sprint e Miroir du cyclisme e anche sulle pagine rosa del Larousse, un libro della collana «Bibliothèque verte» mi ha aperto orizzonti dai quali non sono mai tornato indietro. Champion cycliste è stato un regalo di compleanno senza pari per i miei 10 anni. Louison Bobet inizia il suo racconto con una frase che colpisce: “Quella notte avevo dormito molto bene”. Quando leggerò, un po' più tardi, ma ben prima di pedalare su una sella Proust, l'incipit di Alla ricerca del tempo perduto, “Per molto tempo mi sono coricato presto”, avrò modo di ricordarlo. Bobet aveva tutto l'interesse a dormire bene, poiché già dalla seconda frase apprendiamo che la sveglia suonò (passato semplice) alle 5 e mezza e che lui si alzò (sempre al passato semplice) di scatto. Lo capivo ancora meglio perché era il giorno della sua prima grande gara e lui la vinse. Vi dedica quasi 50 pagine, sette capitoli, con la salita del boulevard Lefebvre, dopo la porte de Versailles, che ancora oggi non riesco a percorrere senza pensare a lui e senza pensare ormai alla domenica di luglio del 2023 in cui avrò visto passare il gruppo del Tour per l'ultima volta. Forse devo questo regalo anche alla fortuna che quella gara primaverile, la Boucles de la Seine, fosse organizzata dal quotidiano l'Humanité. Non siamo così lontani dal Ventoux come si potrebbe pensare, anche se Bobet stranamente non lo sa il giorno della sua prima ascesa. Non c'è neppure una riga nel suo libro, quindi siamo nel 1951, una domenica, sul versante nord finalmente asfaltato. Dieci volte Géminiani cerca di staccare Koblet, invano, altrimenti scriveremmo che al suo decimo attacco è finalmente riuscito a staccarlo. Quell'anno è quindi il giorno di Lucien Lazaridès, che è riuscito a volare via e a passare in testa in cima «con uno stile di rara purezza, con occhi molto dolci», secondo Félix Lévitan, che non era certo un poeta, ma che dimostra la duplice magia del Tour, quella della corsa e quella delle parole. Tuttavia, fu Bobet a vincere la tappa nella città dei Papi (Avignone, ndr).
Fausto Coppi è presente senza esserci. All'arrivo, parla di un «bel passo, ma difficile da scalare», prima di lamentarsi di essersi «trascinato miseramente», cosa che ovviamente è relativa. Tuttavia, «miseramente» va inteso nel senso letterale del termine, ovvero come lamentazione, tristezza infinita, rimpianto. Non ha superato la morte in gara del suo giovane fratello, Serse, caduto di testa quattro giorni prima dell'inizio del Tour. Partire è straziante, ma (Fausto) è consapevole che, se non si sforza di farlo, non salirà mai più su una bicicletta. Quindi tutte le buone ragioni lo spingono a farlo e promette a sua madre di indossare il casco. Se la strada è un lungo calvario quell'estate, una delle più grandi vittorie di tutta la sua carriera sarà la sua resurrezione, solo la sua, nella grande tappa alpina con il Col de Vars, dove improvvisamente «un uomo solo è al comando, la sua maglia è bianco-celeste, il suo nome è Fausto Coppi», inutile tradurre, poi con l'Izoard che renderà illustre.
Bobet è più prolisso sul Tour del 1955, il terzo che vince consecutivamente. Si concentra soprattutto sulla tappa del Ventoux. Prima bisogna leggere senza battere ciglio un intero capitolo sulla sua ferita al soprassella e si capisce, infatti, che il ciclismo a volte richiede un enorme coraggio. In realtà, è lì che conta di vincere il Tour, di dare il colpo di grazia, per così dire. Il caldo è torrido, l'ora è quella più calda della giornata, la salita è «rovinata dal sole». Nonostante la sua ferita o, più precisamente, a causa della sua ferita, attacca, stacca tutti, raggiunge Kübler in fuga, lo lascia sul posto, vittima di un cedimento monumentale, Ferdi, 36 anni, diventato un corridore come gli altri, supera la vetta in testa ma in uno stato “comatoso”, arriva in fondo, “morto, allo stremo delle forze”.
Invece, non ha una parola per Jean Malléjac. Il suo compagno di squadra, dorsale n. 9, ottavo nella classifica generale al mattino, sviene. Bisogna aprirgli la bocca per fargli bere un sorso d'acqua, ci vogliono un'iniezione di canfora e una bombola di ossigeno per rianimarlo. Nell'ambulanza, si dimena e chiede la sua bicicletta per ripartire. Difenderà con forza la tesi dell'insolazione e poi l'ipotesi di una borraccia dal sapore amaro che gli è stata data. In un'intervista televisiva concessa l'11 luglio, dichiara che avrebbe voluto un'analisi di quella borraccia, ma che è stata ritrovata vuota; ha una presenza imponente e un bel sorriso, esprime dubbi, sembra sincero, ha un vocabolario ricco, «è curioso, mi è sembrato persino strano». Ecco l'invenzione bonaria dell'“inconsapevolezza volontaria”, ma nulla a che vedere con (Richard) Virenque, della cui vittoria nel 2002 nulla ho da dire se non che è arrivato in cima con due minuti di vantaggio su Lance Armstrong. Tra l'altro, a Malléjac sfugge una frase: “Ci sono giorni in cui non c'è bisogno di stimolanti”. Continua a rispondere alle domande, un po' imbarazzato, sì, «la topette», «la charge», ha ben chiaro di cosa si tratta. Sa di aver sfiorato la morte. Con cautela, ammette che «è diventata una pratica comune». Alla domanda sul perché, la sua risposta è lucida: i corridori vanno sempre più veloci e, più vanno veloci, più vogliono andare veloci. Due giorni dopo, Tom Simpson muore.
In un altro ambito, propizio alle follie, ho visto che la ciclista belga Betty Kals è entrata dieci anni fa nel Guinness dei primati, cosa che né Bobet, né Coppi, né Malléjac sono riusciti a fare. Otto ascese in ventiquattro ore, pari a 12.240 metri di dislivello, l'hanno proiettata in cima alla classifica. Detto questo, Stéphanie Gros, che conosco, ha battuto questo record l'anno successivo con 14.612 metri. Ho letto sulla stampa regionale che il 7 marzo 2025 un socio del club di Cavaillon, che ha il vantaggio di correre in casa, l'ha scalata per la millesima volta e, dato che è relativamente giovane, non sembra volersi fermare lì. Al suo posto, farei lo stesso. Balzac, venuto al mondo troppo presto per andare in bicicletta, aveva anticipato la situazione: «L'ammirazione è sempre una fatica per il genere umano». In ogni caso, ad essere sincero, indipendentemente dall'entusiasmo che il Ventoux suscita, preferisco il Galibier versante nord, la Bonette versante nord e il colle dell'Agnello da entrambi i versanti. Non c'è dubbio, tuttavia, che eserciti un fascino fuori del comune. Il ciclismo ha sempre a che fare con il desiderio, con la resistenza, con il paesaggio, con la poesia. E, per finire, in omaggio a Maurice Vidal, Abel Michéa, Émile Besson, che ci hanno fatto conoscere il Tour de France, la sua storia e la sua geografia, le sue lunghe tappe in pianura dove inevitabilmente succedeva qualcosa anche se non succedeva niente, le sue tappe in montagna dove il cuore batte più forte, ai pascoli e ai sassi, alle torte di fragole e al bicchiere di vino rosso, agli atti di resistenza e alla profonda umanità, forse non c'è niente di meglio di questa poesia leggermente ritoccata per il Miroir che ci ha fatto sognare così tanto:
Come tornare in addio al Mont Ventoux
dove Ventoux dice meno il vento
che la montagna «che si vede da lontano»
piccolo cumulo di calcare frantumato
per dirvi addio
su questo verso incalzante
se aleggia un po' di Ventoux
all'origine dei limoni
Il suo soprannome più bello è sicuramente il Gigante della Provenza, che ha un che di Giono. Quando lo si vede da lontano, dalla pianura, può far pensare a una balena. Per mezzo millennio è stato disboscato per alimentare i cantieri navali, più per le golette che per le baleniere. La prossima volta che salirò da Sault, il terzo versante, mi sono ripromesso di fermarmi davanti al memoriale del Maquis del Ventoux, in ricordo del comandante Bayard, di Anatole e d'Artagnan, di tutti i partigiani che hanno usato le loro biciclette affinché oggi potessimo ancora andare liberamente in bicicletta.
E, dato che non si finisce mai di scalare il Ventoux, vengo qui a salutare il mio collega Paul Fournel, sceso da lassù per sedersi sulla terrazza di un amico e «guardare crescere le querce da tartufo nel campo di fronte». Francamente, non si potrebbe descrivere meglio la felicità di aver fatto un'escursione, di aver portato a termine qualcosa, sapendo che siamo sempre pronti a ripartire per un altro giro, così che l'ultima parola sia “bicicletta”.
(1) Tappa mitica del Giro d'Italia del 1949, nella quale Fausto Coppi percorse 192 chilometri in solitaria, superando in testa la Madeleine, il Vars, l'Izoard, il Monginevro e Sestrière per trionfare con 11 minuti e 52 secondi di vantaggio su Gino Bartali.

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