Mark Aguirre, mi ange mi démon
Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro
Plus de 18.000 points en carrière, deux bagues de champions, trois sélections au All-Star Game, des amis parmi les plus grandes stars de la Ligue, pourtant Mark Aguirre s’est coltiné longtemps une sale réputation. Un scoreur orgueilleux qui n’a jamais réussi à porter une franchise sur ses épaules, mais qui s’est parfaitement ajusté en cours de carrière. A l’occasion de ses 62 ans, retour sur le parcours mouvementé d’un homme mi-ange, mi-Piston.
L’Histoire de Mark Aguirre aurait pu commencer dans un train. Mary, sa mère âgée de 16 ans, décide brutalement de quitter sa maison de l’Arkansas pour rejoindre sa famille à Chicago. Arrivée quasiment au terme de sa grossesse, elle ne se voit pas assumer seule la charge d’un enfant et décide de laisser son bébé à sa sœur Daisy. En plein périple, le travail commence et la jeune mère est à peine arrivée en gare qu’elle est transportée à l’hôpital. Quelques heures plus tard, Mark vient au monde. Une naissance tumultueuse tout comme son enfance passée entre les maisons de sa mère, sa tante et sa grand-mère dans le quartier West Side de Chicago. Sans figure paternel pour l’encadrer – son oncle et ses cousins faisant tour à tour office d’autorité – le jeune Mark passe beaucoup de temps dehors. Son spot préféré, le playground de Bryant Park. C’est sur ce bitume qu’il fait ses premières armes.
Tu vois ce terrain là-bas. C’est ici que j’ai appris à jouer. Bryant Park. Mon cousin et moi, on avait récupéré une lampe – en fait, il l’avait choppé à l’arrière d’une boutique – et on l’avait attachée avec du fil du fer sur le côté de ce bâtiment. On l’avait orientée pour que ça éclaire le terrain et on pouvait jouer toute la nuit comme ça ! Cette lampe était géniale. On avait juste à la décrocher quand on partait et à la rebrancher quand on voulait jouer.
C’est également dans ce quartier et sur ce terrain qu’il fait la connaissance d’une future légende de la balle orange, Isiah Thomas. Les deux gosses deviennent amis et se servent du basket pour échapper à la violence des gangs locaux et à la pauvreté qui les entoure. Dans le quotidien Detroit Free Press, Mark Aguirre se souvient de cette période :
C’est aussi sur ce terrain que j’ai appris que Isiah était un joueur de basket. On se faisait des petits matchs ensemble, nous avions peut-être 9 ans à l’époque. Tu vois cette porte juste en face ? C’est là qu’on se précipitait quand nous voulions échapper aux gangs. Ils en voulaient à notre argent. Ils savaient que nous avions 25 cents pour le bus, donc ils nous couraient après. J’ai tout vu ici. Un de mes potes a été abattu à bout portant, un autre a été poussé par une fenêtre du troisième étage. J’ai même un oncle qui a été poignardé 27 fois. Mais, d’une certaine manière, quand vous avez survécu à cela, vous pouvez survivre à n’importe quoi.
Le chemin des deux ados bifurque au collège. Isiah Thomas fait le choix de quitter sa région natale pour rejoindre les Hoosiers de l’Indiana, tandis que Mark Aguirre reste à demeure et s’engage avec les Blue Demons de DePaul, la fac de Chicago. Dès sa saison freshman en 1978, il s’empare du lead offensif de l’équipe en carburant à 24 points de moyenne. Dans son sillage, la fac réalise la plus belle campagne de son Histoire en accrochant une place au Final Four. Avec 19 points contre Marquette puis 20 points face à UCLA, Aguirre s’offre le scalp des têtes de série 1 et 2 du tournoi avant d’affronter Indiana State emmené par un certain Larry Bird en demi-finale. Le Chicagoan fait le job avec 19 points à 9/18 aux tirs, mais cela reste trop peu face aux 35 points, 16 rebonds et 9 passes de Larry Legend. DePaul s’incline de 2 points. Le freshman peut se consoler en étant éblouissant dans le match pour la troisième place contre Pennsylvanie avec 34 points et 14 rebonds.
Cette première année lui sert de tremplin médiatique. Ses qualités de scoreur sont désormais reconnues par tous les scouts. Et l’arrivée en 1979 du futur All Star, Terry Cummings, fait encore passer un palier à la fac. Plus fort dans la raquette, DePaul enchaîne 25 victoires consécutives et termine avec un bilan de 26-2. Au centre des schémas offensifs, Aguirre se goinfre de ballons et tourne à 26.8 points. La déception est d’autant plus grande quand les Blue Demons se vont sortir sans gloire au second tour par UCLA. Re-belote la saison suivante où c’est la fac modeste de Saint Joseph qui élimine rapidement DePaul pendant la March Madness. Intenable en attaque, Mark l’est souvent aussi en dehors du parquet. Son caractère bien trempé et ses sautes d’humeur entache sa réputation. Sous le charme du garçon, son coach Ray Meyer avait fait des pieds et des mains pour s’attacher ses services. Il était convaincu que Mark était le plus grand talent de l’université depuis un certain George Mikan dans les années 1940. Mais, rapidement le coach a compris qu’il devrait aussi gérer l’extra-sportif de son poulain. Boulimique du shoot, Aguirre l’est aussi à table et Meyer doit lutter contre les mauvaises habitudes alimentaires de son joueur. Et quand ce ne sont pas les repas, ce sont les retards aux entraînements ou les insultes proférées en public à son encontre. Un comportement arrogant qui fait passer le jeune ailier pour une diva.
Mark a la possibilité de redorer son blason avec la sélection américaine lors des Jeux Olympiques de Moscou. Sur le papier, l’équipe retenue est la plus jeune de l’Histoire de Team USA avec des futures stars comme Isiah Thomas, Rolando Blackman ou Buck Williams. Mais, dans un contexte géopolitique tendu après l’invasion de l’Afghanistan par la Russie, les Etats-Unis optent pour le boycott des J.O. de 1980. En guise de joutes internationales, Aguirre se contente d’une tournée de matches d’exhibition contre des All Stars NBA. L’occasion de se frotter notamment à Magic Johnson, George Gervin, Alex English ou Artis Gilmore… et de remporter 5 rencontres sur 6 face aux NBAers ! Mark se montre à son avantage en tournant à 11.3 points. Des bonnes performances qui ont forcément compté dans son choix d’écourter son cursus pour se présenter à la draft l’année suivante.
Dans cette cuvée 1981, trois prospects sortent du lot : l’intérieur de Maryland Buck Williams et les deux potes d’enfance Isiah Thomas et Mark Aguirre. Avec le First Pick en poche, les Mavericks ont l’occasion de se trouver une monture décente. La franchise texane vient de boucler sa première année d’existence avec un bilan de 15 victoires pour 67 défaites. Le noyau de l’équipe est très jeune et le GM Norm Sonju sait qu’avec le premier choix, il peut ajouter la star manquante pour faire passer un palier aux Mavs. Encore faut-il ne pas se tromper ! Des trois prospects, c’est Aguirre qui passe le plus de tests et d’interviews avec Dallas. Sa capacité à scorer 30 points en dormant séduit le front office, seule ombre au tableau son mauvais caractère, comme le confirme Rick Sund, directeur des opérations basket:
«Je n’ai aucun doute là-dessus, c’est un excellent joueur de basket. Les points d’interrogation étaient sur sa mauvaise humeur et son attitude. Quand vous interrogiez les gens, certains l’adoraient et d’autres le détestaient.»
A l’approche du grand soir, Sonju et Sund ont écarté Williams, mais n’arrivent pas à choisir entre Thomas et Aguirre. Ils laissent la décision entre les mains du coach Dick Motta. Champion NBA en 1978 avec Washington, Motta jouit d’une bonne réputation dans la Ligue. Après avoir géré des fortes têtes comme Bob Dandridge et Elvin Hayes aux Bullets, son souhait initial est de ne pas prendre un caractériel. Mais, Motta est fan de son meneur de jeu de l’époque, Brad Davis. Il n’a pas envie de lui mettre un concurrent dans les pattes en la personne d’Isiah Thomas. Il opte, donc, pour l’attaquant pur-sang de DePaul. Le coach ne sait pas encore qu’il vient de valider la relation la plus tumultueuse entre un joueur et son coach de l’Histoire des Mavs.
Dès le premier mois de sa saison rookie, Mark tape fort : 23.0 points de moyenne à 47,3% aux tirs et une pointe à 42 unités après seulement deux petites semaines de compétition. Pourtant le bilan des Mavericks ne décolle pas avec 4 victoires pour 16 défaites, avant que Aguirre ne se fracture le pied droit. Direction l’infirmerie pour plus de 2 mois. Pendant l’absence du First Pick, deux autres rookies se mettent en évidence : Rolando Blackman (9ème choix) et surtout Jay Vincent (24ème choix). Ce dernier vole la vedette à Aguirre en tournant à 26.7 points et 7.4 rebonds pendant sa convalescence. Et surtout il fait gagner son équipe avec 13 victoires de rang pour Dallas et une présence défensive incontestable. Quand Aguirre revient fin février, ça sera en sortie de banc ! Un premier camouflet subi pour celui qui se considère comme le franchise player de l’équipe.
Qu’importe, l’avenir semble sourire à ces jeunes Mavs portés par son trio Aguirre-Blackman-Vincent qui ramène plus de 60 points la saison suivante. De retour dans le starting five, Mark explose tout en tant que sophomore : 24.4 points et une sixième place au classement des meilleurs scoreurs. Derrière lui, Dallas termine 8ème à l’Ouest mais ne participe pas aux playoffs, la saison 1983 étant la dernière à ne compter que 6 équipes qualifiées pour la post-season. Leur revanche, les Mavs l’obtiennent dès l’année suivante. Aguirre franchit encore un cap au scoring avec son meilleur rendement en carrière (29.5 points), synonyme de sélection pour le All Star Game. Que ce soit en jeu de transition ou servi au poste bas, Mark dégaine tous azimuts et termine second pistolero de la Ligue, juste derrière Adrian Dantley. Avec 43 victoires, les Texans héritent du spot 4 à l’Ouest et participent pour la première fois de leur Histoire aux playoffs. Une opposition au premier tour face aux Sonics, bagués en 1979. Malgré leur inexpérience à ce niveau, les Mavericks poussent Seattle à un match 5 décisif. Une surprise totale pour la ville qui avait planifié un tournoi de tennis dans l’enceinte traditionnelle des Mavs, la Reunion Arena. C’est donc dans le modeste Moody Coliseum (9000 places) que Dallas élimine les Sonics au terme d’un suspense haletant en prolongation. L’équipe de Dick Motta est même obligée de revenir sur le parquet pour une seconde de jeu suite à un soucis de chrono, alors que les joueurs fêtaient déjà leur qualification dans le vestiaire. L’euphorie durera quelques jours, le temps de se faire sortir sèchement par les Lakers en 5 matchs.
Cette campagne fait naître de grands espoirs dans le Texas. Les Mavericks version Aguirre-Blackman rejoints ensuite par le meneur Derek Harper et l’intérieur Roy Tarpley deviennent une équipe redoutée et abonnée aux playoffs lors des quatre saisons suivantes. Sur cette période, Mark boucle des exercices à 25 points de moyenne, gagne deux nouvelles étoiles de All Star, mais pioche dans ses réserves en playoffs. L’ailier ne parvient pas à élever son niveau de jeu en mai avec un scoring en baisse et des éliminations au premier tour contre les Blazers (1985), les Sonics (1987) et de nouveau les Lakers en demi-finale (1986). Des sorties de piste prématurées qui n’arrangent pas la relation entre Aguirre et son coach. Dick Motta a avoué plus tard qu’il proférait des insultes à son joueur, qu’il n’aurait même pas dit à son chien ! Trop lent, trop fainéant, trop gros, les humiliations étaient monnaie courante devant le reste de l’équipe. A bout de nerfs, Aguirre recherche une porte de sortie via un trade. Et quand des rumeurs émanent de la part de Milwaukee, Motta rétorque que personne ne veut d’un paresseux comme lui et qu’il préfère le faire pourrir au fond du banc, plutôt qu’il ne quitte le navire. Autre époque, autre mœurs…
Heureusement, la délivrance arrive à la fin de la saison 1987. Motta enterre la hache de guerre et annonce sa retraite. Dallas nomme John MacLeod pour le remplacer. L’espoir renaît pour Aguirre. Les Mavs bouclent un exercice à 53 victoires et arrivent lancés en playoffs : élimination des Rockets d’Hakeem Olajuwon en 4 matches puis des Nuggets d’Alex English en 6 matches. Pour la première fois de son Histoire, Dallas atteint la Finale de l’Ouest et s’apprête enfin à faire trébucher les Lakers. Menés 2 à 0, les Texans recollent dans la série et arrachent même un Game 7 après avoir perdu le match 5 au Forum d’Inglewood. Dans la rencontre la plus importante de la franchise, Aguirre à l’occasion de changer de statut en cas de victoire. Avec 24 points, sa prestation reste solide, mais c’est en fin de match que le bât blesse. Dans un choc, Mark se retourne deux doigts et quitte les siens juste avant le money time. Même s’il assure avoir fait le maximum dans la défaite de Dallas, les médias locaux lui reprochent d’être resté à terre, car il ne supporte pas la pression. Ce Game 7 va rester longtemps en travers de la gorge de Mark, suffisamment de temps pour se prendre la tête avec le coach MacLeod la saison suivante. C’en est trop pour les dirigeants qui prononce le divorce en février 1989.
Les Pacers sont les premiers sur le coup et proposent un échange contre Herb Williams. Mais, après un entretien avec Mark Aguirre, le deal capote, le caractère du joueur ayant refroidi Indiana. C’est son pote d’enfance, Isiah Thomas qui débloque la situation. Lui aussi s’est heurté en 7 matches face aux Lakers en Finales NBA. En coulisses, le meneur de Detroit rencontre le propriétaire des Mavs, Don Carter avec plusieurs dirigeants des Pistons. Un accord est trouvé qui envoie Aguirre dans le Michigan contre l’ancien meilleur scoreur de la Ligue, Adrian Dantley. Ce dernier n’a jamais fait partie des proches d’Isiah et en paie le prix cash. Scandalisé par cette négociation en sous-marin, il mettra plus d’une semaine avant d’arriver à Dallas.
A Detroit, par contre, le fit de Mark Aguirre paraît beaucoup plus naturel. Lui le mauvais garçon de Dallas a sa place toute trouvée chez les Bad Boys. L’équipe se base d’abord sur un socle défensif et n’est pas archi-dépendante de son apport au scoring comme c’était le cas aux Mavericks. Et Isiah fait tout pour faciliter son intégration. En plus de lui trouver une maison à côté de la sienne, il organise un repas le lendemain de son arrivée avec Vinnie Johnson, Rick Mahorn et Bill Laimbeer pour discuter de son nouveau rôle. Pour autant, Thomas ne lui fait de cadeau et s’époumone sur son pote quand celui-ci ne revient pas assez vite en défense. Une sorte de grand frère qui permet à Aguirre de prendre ses marques. Titulaire au poste 3, il score 15.5 points sur la fin de saison ce qui fait de lui la troisième menace derrière Isiah et Joe Dumars. De 20 shoots par match à Dallas, Mark se contente d’une dizaine chez les Bad Boys. Pas grave, l’équipe roule sur la Conférence Est avec 63 victoires et démonte les Celtics puis les Bucks en playoffs. S’il ne finit que rarement les fins de match, sa capacité à prendre feu s’avère précieuse. Illustration en Finale de Conférence contre les Bulls où il marque 19 points en 11 minutes pour faire la différence dans le Game 5. Les Bad Boys accèdent logiquement aux NBA Finals, une fois de plus contre les Lakers. Une revanche que ni Isiah Thomas ni Mark Aguirre ne vont laisser passer avec un sweep retentissant. 20 ans après leur rencontre sur un playground de Chicago, les deux amis sont au sommet de la Ligue.
La saison suivante est tout autant couronnée de succès avec un back to back qui fait rentrer les Bad Boys dans l’Histoire. Mais, le rôle de Mark Aguirre évolue. Avec un Dennis Rodman plus jeune et plus mordant que lui, le vétéran est parfois remplaçant. Un atout pour le coach Chuck Daly qui pianote à loisir sur son banc. Quand Mark a la main chaude, il reste sur le parquet : encore 16 matches à plus de 20 unités et une moyenne plus qu’honorable de 14.1 points. Quand ça ne rentre pas, c’est The Worm qui sort de son trou. Une évolution logique pour un joueur qui devient le joker offensif attitré de Detroit pendant trois saisons encore. A chaque fois, Aguirre boucle les exercices avec sa dizaine de points récoltant même des voix pour le Trophée de Meilleur Sixième Homme. Mais, avec l’avènement des Bulls de Michael Jordan, les Pistons ne retrouveront plus le chemin des Finales. Diminué par les blessures, Mark Aguirre termine sa carrière sur un tour de piste chez les Clippers en 1994.
Un peu à la manière de Rasheed Wallace en 2004, l’arrivée de Mark Aguirre a été déterminante dans les deux titres des Pistons. Un ajout malin en cours de saison qui fait basculer l’équipe du bon côté. Énorme scoreur à Dallas, Mark a su se fondre dans le collectif de Detroit pour atteindre le haut du podium. Son sale caractère qui l’a suivi des années durant était une force dans cette équipe. Celui qui résume le mieux sa carrière en NBA, c’est son adversaire de toujours, mais néanmoins ami, Magic Johnson :
Ils ont essayé de faire de Mark un leader à Dallas, mais ce n’est pas un leader. Il doit être dirigé s’il veut jouer son rôle. A Detroit, il était avec un leader. Il a pu apporter sa pierre à l’édifice avec Isiah pour le diriger. C’est là qu’il a le mieux fonctionné. Bien sûr, il voulait gagner à Dallas, mais tout n’était pas de sa faute. S’ils ne gagnaient pas, il avait le droit à Mark, pourquoi n’as-tu pas fait ça ? Ils voulaient que Mark batte les Lakers à lui tout seul. Et ça Mark ne l’a pas supporté.
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