FOSBURY - En son nom propre


Le 20 octobre 1968, Dick Fosbury, un Américain de 21 ans, remporte le concours olympique de saut en hauteur grâce à un bond à 2,24 m, propulsé par une technique qu’il a inventée et qu’il est le seul à utiliser. C’est le triomphe du « Fosbury flop ».

Les juges se replongent dans le règlement pour vérifier que le saut était bien régulier

14 Mar 2023 - L'Équipe
JEAN-CHRISTOPHE BASSIGNAC

Récompense d’une irrésistible abnégation, d’une réussite qu’il ne parvenait pas lui-même à s’expliquer – «Je me demande comment j’arrive à faire ça » , confessait-il chaque fois qu’il visionnait les films de ses curieux sauts –, mais qui le faisait bel et bien s’envoler vers des hauteurs inespérées pour lui, l’athlète «moyen» , tel qu’il se définissait. Une réussite, aussi, qui faisait, meeting après meeting, ou plutôt représentation après représentation,tairesesdétracteurs les uns après les autres.
N’ayant jamais mis les pointes hors des États-Unis, sa réputation n’avait pas dépassé le petit cercle des initiés quand il se présenta sur le sautoir, le dimanche 20octobre 1968, dernier jour de la semaine d’athlétisme et de ces Jeux, qui avaient pourtant déjà eu leur dose de révolutions avec l’incroyable saut en longueur de l’Américain Bob Beamon (8,90m) et les manifestations contestataires de ses compatriotes sprinteurs Tommie Smith et John Carlos.

À Mexico, le grand blond s’était préparé à s’élancer, pointes bleues à gauche, blanches à droite, profitant de chacune des cent vingt secondes qui lui étaient dues, avec ce mélange rare et bien à lui de détachement et de concentration extrême. Apparemment imperméable à tout, même à l’arrivée des marathoniensdanslestadeaumomentde son troisième essai victorieux à 2,24m,leneuvièmedesajournée. Il s’éleva, se retourna et franchit la barre, laissant place à un inoubliable sourire. Franchissement fluide, mais les deux bras le long du corps. « Je n’étais pas le meilleur sauteur en fosbury» , disait-il parfois.

Ovation évidemment immense, un peu pour les fondeurs, principalement pour l’échalas étonné. Les juges s’étaient même replongés une dernière fois dans le règlement pour vérifier que le saut ainsi effectué était bien régulier… 2,24m, nouveau record olympique, deux centimètres de plus que son compatriote Ed Caruthers, deuxième. Pas si éloigné, après tout, des 2,28m du record du monde de Valeri Brumel en 1963 (tenant du titre, mais absent à Mexico après un accident de moto), lequel sera battu en ventral en 1971.

Car le triomphe de Fosbury accoucha d’une révolution relativement lente. Tout le monde ne pivota pas illico. «Les gens riaient, mais ne se moquaient pas de moi, avait-il récemment raconté au Magazine L’Équipe. Pour eux, j’avais seulement trouvé une combine. J’ai entendu beaucoup de critiques de coaches qui n’y croyaient pas. Ils ne savaient pas comment l’enseigner. Comme pour toute révolution, il y a d’abord eu une période de transition. L’élite américaine ne s’y est mise qu’en 1971. Une fierté. Dwight Stones a été le premier homme à 2,30m, en 1973. Que d’autres aient continué en ventral ne me choque pas. Je ne suis pas sectaire. C’est juste un jeu à la fin du concours qu’on voit qui est allé le plus haut.» Et il a fallu attendre le tout début des années 1980 pour que le ventral disparaisse complètement.

Le but était donc juste de voir qui allait le plus haut, plus exactement ce qui le faisait, lui, aller le plus haut. En toute simplicité. Et c’est aussi pour cette simplicité que rencontrer Dick Fosbury en chair et en os, des décennies après ses exploits, marquait immanquablement. De même que touchait aussi le récit un peu accidenté de sa trajectoire post-olympique, qui ne le mena plus jamais très haut. Plus jamais aussi haut en tout cas.

Il abandonne le saut pour sa carrière d’ingénieur

Il y eut cette gloire subite qui s’abattit sur ses modestes épaules. Trop pesante. Repoussant tous les contrats mirobolants qu’on lui tendait, il fit une légère dépression, vagabonda par le vaste monde, s’égara brièvement dans un professionnalisme éphémère. Après avoir travaillé, il voulut revenir dans une école d’ingénieurs: le responsable accepta de l’inscrire à condition qu’il renonce bien à l’athlétisme. «Je ne pouvais pas faire les deux à la fois. Cela a été l’unedesdécisionslesplusduresde ma vie. J’ai fait un choix pragmatique, qui m’a blessé et m’a fait très mal, mais je ne regrette rien.»

L’homme a réussi sa vie. Devenu ingénieur en urbanisme, il s’est installé à la campagne, dans l’Idaho, le grenier de l’Amérique. C’est à lui que les touristes et les habitants de Ketchum ou Sun Valley doivent le tracé des pistes de mountain bike qui serpentent les collines et, plus généralement, un certain respect de la nature de la part des promoteurs.

Plusieurs années après son triomphe mexicain, l’Américain dégonflait l’importance de son rôle en assurant : « Si je n’avais pas trouvé ce style, quelqu’un d’autre l’aurait fait à ma place.» De fait, il n’est pas à proprement parler l’inventeur du rouleau dorsal, d’autres, hommes et femmes au destin anonyme, l’ont devancé ou imité dans les premiers pas hésitants de cette technique nouvelle. Fosbury ignorait encore, à l’époque, qu’il n’était pas le précurseur de ce type de saut.

Un certain Bruce Quande, étudiant dans le Montana, s’y était pourtant essayé, dès le début des années 1960, avec un succès modeste mais s’était moins obstiné. Les deux hommes ont échangé, bien plus tard, sur leurs expérimentations. On aurait bien aimé être témoin de cette conversation. «Même si Bruce donne une nouvelle perspective à l’histoire de la technique du saut en hauteur, a-t-il commenté, j’avoue que, sur le moment, j’ai été déçu d’apprendre que je n’étais pas le tout premier.» C’est pourtant à cette place que l’histoire l’a rangé pour toujours.

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Il avait su tourner le dos
   
Dick Fosbury a totalement réinventé, dans les années 1960, la manière de sauter en hauteur. Jusqu’au titre olympique.

JEAN-CHRISTOPHE COLLIN

C’est un vieux rêve de l’homme que d’échapper à la pesanteur. Les Tutsis disposaient de rituels de saut en hauteur pour le passage à l’âge adulte. La discipline a connu trois grandes évolutions.

Michael Sweeney, un Irlandais émigré aux États-Unis suite à la grande famine de 1848, met au point le « ciseau de l’Est ». C’est ensuite George Horine qui fait progresser la discipline en raison d’un jardin trop petit. Comme il n’y dispose pas d’un espace suffisant, il prend son élan par une course incurvée et son appel avec sa jambe intérieure et utilise sa jambe extérieure pour emporter son corps vers le haut. C’est le « rouleau californien ». Les Américains vont avec cette technique dominer la discipline durant de longues olympiades.

Les Soviétiques mettent alors en place une cellule dirigée par l’entraîneur Vladimir Diatchkov pour battre les Américains. Ils composent avec des statistiques ce qu’ils estiment être le saut ventral idéal, avec lequel ils reportent le titre olympique en 1960 (Robert Shavlakadze) et 1964 (Valeri Brumel).

Pas si farfelu

C’est ensuite un petit gars du Montana, un certain Bruce Quande, qui a le premier l’idée d’attaquer la barre non pas de face mais sur le dos. Une photo dans un journal local l’atteste. Mais le garçon abandonne l’athlétisme. Ensuite on commence à mettre sur le sautoir du sable, puis des copeaux de bois et enfin de la mousse… Les conditions deviennent favorables à la révolution qui couve.

Cette nouveauté technique, alors développée par un jeune collégien du nom de Dick Fosbury, consiste à prendre son appel en descendant sur ses appuis et à passer la barre sur le dos au lieu de l’enrouler de face. Des journalistes lui demandent comment s’appelle son saut, il l’intitule le « flop ».

Bernie Wagner, entraîneur à l’Oregon State University, prend Fosbury dans son université. Il se donne deux ans pour le faire progresser en ventral tout en lui permettant de s’entraîner avec sa technique farfelue. Au bout de quelques mois, Wagner se rend à l’évidence, Fosbury saute mieux avec sa technique. C’est ainsi qu’il se qualifie pour les JO de Mexico 1968, où le monde découvre, ébahi, cette révolution technique et gagnante.

En juillet 1973, c’est l’Américain Dwight Stones qui est le premier à battre le record du monde en « Fosbury flop » (2,30 m). Les Soviétiques refusent d’admettre leur défaite technique. Ils continuent en ventral. Le prodige ukrainien Vladimir Yachtchenko est le dernier à battre le record du monde en ventral, à 18 ans en juillet 1977 (2,33 m) puis en 1978 (2, 34 m) avant que la vodka n’ait raison de son talent. Ensuite, tous les sauteurs du monde jusqu’à Javier Sotomayor (2,45 m en 1993) utiliseront la technique de Dick Fosbury. Qui a eu raison seul contre la norme du moment.

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Réaction - ROBERT SAINTE-ROSE
9e LA FINALE DE LA HAUTEUR AUX JO DE MEXICO

«Quelques mois avant les JO de Mexico, on a entendu dire qu’un Américain sautait non plus en ventral mais sur le dos. Mais c’est seulement au Mexique que j’ai vu sauter Fosbury pour la première fois. Grâce à cette nouvelle technique, il gagnait une vingtaine de centimètres, avec plus de détente mais moins de moyens physiques que nous. J’ai vite compris que tout ce qu’on avait appris jusque-là ne servirait plus à rien (…) Fosbury n’était pas du tout prétentieux, c’était un gars sympa, gentil et joyeux»

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