BRUNO ARMIRAIL - La force du destin


Bruno Armirail, Pyrénéen pur jus, fils d’agriculteurs et équipier dévoué, a pris le maillot rose du Giro hier. Il est le premier Français depuis Laurent Jalabert en 1999 à revêtir la tunique.

“Depuis le début du Giro j’ai prouvé que je pouvais tenir au moins deux semaines
“J’avais quand même été champion de France Espoirs en 2014, avant mon accident

21 May 2023 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL ALEXANDRE ROOS

GIUSSANO (ITA) – Le maillot rose est tombé sur la tête de Bruno Armirail, hier en Lombardie, au prix d’un concours de circonstances, d’une échappée dont il était le mieux placé au général – à plus de dix-huit minutes de Geraint Thomas – et de la bénédiction des équipes de favoris qui y voyaient aussi leur intérêt. Peu importe, dans cette grande roulette qu’est le cyclisme, qui brasse les fortunes de chacun, le destin a bien fait les choses, puisqu’il a choisi un fidèle soldat, un équipier dévoué, que rien n’appelait à prendre la lumière de la sorte, à 29ans.

D’ailleurs, le Français a accueilli les choses avec simplicité, il blaguait au pied du podium sur le fait qu’il n’avait pas l’habitude de faire sauter les bouchons de champagne, que c’était réservé aux leaders, et il a peu troublé la quiétude de l’hôtel sans âme de son équipe, posé au pied d’un rond-point de Giussano, dans la banlieue nord de Milan, qu’il a regagné peu après 19heures. Il est allé montrer sa nouvelle tunique à ses équipiers qui l’attendaient dans le car pour le féliciter, est passé voir les mécaniciens qui nettoyaient les vélos et avaient déjà préparé sa monture toute rose pour aujourd’hui et a filé au massage.

Le fil rouge des Groupama-FDJ reste Thibaut Pinot

Devant l’établissement, Thierry Bricaud, un des directeurs sportifs, a le sourire, d’autant plus que les Groupama-FDJ ont un autre gars en rose, puisque Romain Grégoire a pris la tête du général aux Quatre Jours de Dunkerque (voir page 41) : «C’est largement mérité pour Bruno vu le nombre de bouts droits qu’il tire pour les autres toute la saison. Mais on ne va pas faire les champions, notre fil rouge ça reste Thibaut (Pinot). » La formation de Marc Madiot ne va pas se mettre à la planche plus que de raison pour conserver le paletot, mais Bruno Armirail peut rêver de le garder jusqu’à mardi et l’étape du Monte Bondone.

Un peu avant 21h30, le voilà qui redescend des étages. Il a délaissé sa tunique rose pour un survêtement, claquetteschaussettes. On se dit que derrière cette tranquillité, il doit bien y avoir un bouillonnement, mais non. «Je suis quelqu’un de calme, c’est cool de l’avoir, c’est particulier, exceptionnel, mais il ne faut pas sauter dans tous les sens non plus, relativisa-t-il d’entrée. Ce n’est pas vraiment moi qui suis allé le chercher, c’est Ineos qui me l’a donné. » Sébastien Joly, qui passait dans le hall de l’hôtel, le coupa alors. «Non, non, non, je ne suis pas d’accord avec ça, trancha le directeur sportif. Tu as suivi le plan, tu es allé le chercher.»

Bruno Armirail défend son statut d’équipier, il en tire une fierté et refuse de s’imaginer dans un autre rôle. Il développe: «Je n’ai pas les capacités d’être un leader, il faut être réaliste. En montagne, il va me manquer un petit peu, je grimpe bien, mais pour un autre, pas pour moi. Au sprint, je ne suis pas super bon. Je roule, mais bon, il y a meilleur que moi et je ne suis pas le gars qui frotte le mieux du peloton. Ce que Thibaut fait, je ne peux pas le faire.»

Alors, il prend sa mission à coeur, quitte à s’infliger en plus des stages d’altitude tout seul, au pic du Midi, à près de 2 900 m, comme il l’a fait pendant douze jours en avril pour préparer le Giro. « Des fois, je peux voir ma copine (qui est d’ailleurs italienne, de la région de Venise) un petit peu, raconte-t-il, mais je ne traîne pas trop, parce que je monte en téléphérique et le dernier part à 16h30-17 heures. En haut, il y a un hôtel, mais je dors dans les chambres où il y a le personnel de la station, je mange avec eux aussi, pas au restaurant. On passe les soirées ensemble, je suis le petit gars du coin pour eux.» Son coin, c’est Bagnères-de- d’où sont originaires ses parents et où il a grandi. «Je vivrai toujours là», lâche-t-il.

Sans doute parce qu’il y puise la force qui lui a permis de passer les épreuves d’une carrière qui n’a jamais été linéaire. Des débuts à l’armée de terre en 2014 pour lesquels il avait dû aller à Paris alors qu’il n’avait jamais pris ni train ni avion, une grave chute en 2015, percuté par une voiture à l’entraînement, rotule triplement fracturée, qui l’obligera à redescendre en amateurs et à bosser dans l’exploitation fa

miliale, au milieu des veaux et des agneaux. Il a toujours rebondi.

«Je pense qu’il n’y a pas de hasard dans la vie, il faut y aller, il faut le provoquer. Quand j’ai eu cet accident, je suis reparti de très, très bas. Quand j’ai repris les courses fin 2015, je faisais quinze bornes et j’étais lâché du peloton. C’était dur psychologiquement. En 2016, je n’arrivais pas à suivre non plus, donc j’ai refait de la rééducation. Et voilà, en 2017, ça a été un peu mieux et je suis repassé pro ( chez Groupama-FDJ). » Depuis, il a passé les échelons, remporté le Championnat de France du contre-la-montre l’an passé, s’est imposé dans un rôle de lieutenant, que ce soit auprès de David Gaudu ou de Thibaut Pinot, même s’il eut du mal, l’an passé, à digérer sa non-sélection au Tour de France. «Ça a duré le temps de la course, mais ensuite je me suis refixé sur d’autres objectifs. C’était difficile au début, mais avec le recul, il y a d’autres coureurs qui sont restés sur le carreau, ça fait partie de notre sport. Aujourd’hui, je n’y pense quasiment plus. J’aurais juste voulu voir ce que j’aurais pu faire avec ma forme du moment. Depuis le début du Giro, et pas qu’aujourd’hui ( hier), j’ai prouvé que je pouvais tenir au moins deux semaines, que l’équipe pouvait me faire confiance et peut-être que l’an prochain, pour le Tour, ça tournera en ma faveur.» On lui demande alors le ressort n’a jamais cassé dans sa carrière, pourquoi il n’a jamais lâché alors qu’il est finalement arrivé tard dans le métier. «Je pense que ça vient de ma famille, de mes parents, confie-t-il. Comme beaucoup d’agriculteurs, ils ne gagnent rien. Alors pouvoir être cycliste professionnel et bien gagner sa vie à faire du vélo, je me suis dit qu’il fallait foncer. J’avais quand même été champion de France Espoirs en 2014, avant mon accident, donc je me suis donné à fond pour redevenir pro et sinon j’aurais repris l’exploitation. » Il n’y a désormais plus de questions sur sa place dans le peloton professionnel et la ferme, il y bosse de toute manière, l’hiver, quand il faut couper du bois, s’occuper des bêtes.

«Ma mère est malade, glisse-t-il. Elle a une polyarthrite rhumatoïde. Du coup, il n’y a que mon père qui bosse sur l’exploitation, même si ma mère l’aide comme ça. C’est pour ça que je disais que c’est compliqué de vivre pour eux. Ils savent que pendant la saison, c’est plus difficile pour moi, mais ça arrive qu’il faille aller faire des prises de sang ou marquer les brebis pour aller à la montagne. Alors, j’y vais. Ce n’est pas une journée où je les aide qui va faire que je vais être plus fatigué. C’est comme ça.»


L’heure du dîner avait sonné, alors Bruno Armirail s’est levé et a rejoint la salle de restaurant, d’où s’élevèrent rapidement quelques cris de célébration de ses équipiers. Demain, il disputera la 15e étape du Giro avec le maillot rose. Le cyclisme est un sport dur et cruel. Mais il y a des jours, c’est un conte de fées.

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