Sur des routes célestes


Tadej Pogacar a atomisé les Strade Bianche d’une attaque à 81 km de l’arrivée. La dernière démonstration qu’il est un champion absolu et qu’il a sa place avec les plus grands coureurs de l’histoire.

3 Mar 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL ALEXANDRE ROOS

Dans une nouvelle journée à hyperboles, à dingueri es et à rêveries, comment ne pas voir un signe céleste dans cette pluie qui s’interrompit au moment où Tadej Pogacar se mit à gratter ses silex, dans ce soleil qui perçait enfin pour illuminer la beauté ultime de la campagne toscane et saluer le début de son odyssée? Une forme d’élection, dans un tableau féerique, un décor dessiné par une force supérieure, par la grâce, qui accompagnait un petit gars sur son vélo dans l’accomplissement de sa destinée, dont les limites demeurent insaisissables, pour lui et pour tout le monde.

Un chef-d’oeuvre, à ranger à côté de la victoire du Slovène sur le Tour des Flandres l’an passé, mais aussi, tout simplement, de grands épisodes de l’histoire du cyclisme, de ces coureurs seuls face à eux-mêmes sur les sentiers de leur grandeur. On n’oubliera jamais qu’un fin observateur du cyclisme était revenu du Tour de l’Avenir en 2018, où il avait assisté à l’éclosion de Pogacar, en disant qu’il avait vu Eddy Merckx. Eh bien, hier, nous aussi avons vu Merckx.

Pogacar et puis les autres

Il y avait du merckxisme dans ce raid de 81 kilomètres, un bout de Mourenx en 1969, un bout de Bernard Hinault seul dans la neige de Liège-Bastogne-Liège en 1980, un bout de Fausto Coppi qui a remporté Milan-San Remo en 1946 avec 14 minutes d’avance sur Lucien Teisseire, un intervalle de temps qui avait obligé le commentaire radio de l’époque à déclarer après le passage de la ligne du Campionissimo: «Et maintenant, nous allons mettre de la musique en attendant l’arrivée des autres.»

Pogacar a terrassé la concurrence hier de ce coup de folie initié dans le Monte Sante Marie, à fond de train les grelots, exactement au même endroit où il avait construit sa victoire dans les Strade Bianche il y a deux ans, sur la fin d’une descente suivie immédiatement d’un coup de cul, au détail près, que cette fois, il y avait 30 km de plus pour rallier Sienne.

À la sortie du secteur, le feu follet avait collé 1’15’’ au vaillant Maxim Van Gils, parti en contre dans la fumée de ses réacteurs, et 1’40’’ sur le reste de la poursuite, où il y avait pourtant des CV bien remplis: Matej Mohoric, Tom Pidcock, Toms Skujins, Valentin Madouas, Lenny Martinez… Il creusa encore au fil de cette cavalcade, plus de 3’30’’ après le premier passage dans le raidard des Tolfe, à 40 bornes de la piazza del Campo. Derrière, tout le monde était raide comme des bouts de bois, une des raisons pour lesquelles il était impossible d’organiser une poursuite efficace, chacun en lutte pour sa propre survie. À Sienne, Pogacar paradait avec

un sourire, quand derrière lui, à près de 3 minutes, Skujins, genou droit en sang, ressuscité d’une grosse chute et de deux changements de vélo, et Van Gils, au bout de la souffrance, s’arrachaient pour monter sur le podium à son côté, partager le temps d’un instant fugace le même monde que lui.

Pogacar les avait renversés comme des soldats de plomb, pétrifiés par les éclaboussures de boue qui couvraient leurs visages et le délire dont ils venaient d’être les suppliciés. Pendant ses deux heures de solitude, on le vit d’ailleurs peu à l’écran, dans l’illustration qu’il n’évoluait pas sur la même planète, qu’il ne fréquentait pas les mêmes sphères. Il a aussi balayé toutes nos interrogations de Terriens, sur les possibilités qu’il puisse rebattre Jonas Vingegaard dans le Tour de France, sur qui de lui ou du Danois est le numéro1, notamment, interrogations futiles car Pogacar a bien d’autres desseins, à seulement25ans.

À la conquête des cinq Monuments

Il ne lutte plus vraiment contre ses adversaires à vélo, il est engagé dans un combat face à l’histoire, pour les souvenirs qui jamais ne s’effacent, et à ce propos, on trépigne de le voir tenter de gagner le Giro, la Vuelta plus tard, et surtout de partir à la chasse aux cinq Monuments, alors qu’il en a déjà dompté trois. Milan-San Remo, dans deux semaines, constituera un défi immense pour lui, peutêtre même davantage que de remporter un troisième Tour de France et, s’il lève les bras via Roma, on peut s’attendre à ce qu’il vienne rapidement sur les pavés de Roubaix dans les prochaines années.

Il y a bien sûr un revers à ce type d’exploits à l’ancienne et le brasier des soupçons s’est allumé aussi vite que Pogacar a mis le feu aux chemins blancs. En raison de la longueur de l’effort, de l’étendue des écarts et d’un temps stratosphérique dans le Monte Sante Marie, que le Slovène a grosso modo avalé 1’30’’ plus vite que Pidcock lors de sa victoire l’an passé et dans des conditions météo plus boueuses, donc avec moins de rendement.

Et puis, une telle performance annihile le reste de la course, elle tue bien sûr tout suspense, mais elle le remplace par l’épopée, par le sentiment de vivre un moment unique. Pogacar n’a pas voulu en faire la victoire la plus spéciale de sa carrière, mais nous sommes tous partis de Sienne avec un petit trésor à chérir pour longtemps. Il se fiche également des références au passé, au fait de marcher dans les traces de glorieux aînés. L’histoire, désormais, c’est lui.
ALEXANDRE ROOS

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Alaphilippe toujours dans le dur

Le double champion du monde a été pris dans une nouvelle chute et a été contraint à l’abandon. Il sera cependant au départ de Tirreno-Adriatico demain.

SIENNE- Tout est une question de dynamique, disent souvent les coureurs, et il faut dire que celle dans laquelle Julian Alaphilippe est empêtré est sacrément négative. Le Français avait mis une semaine compliquée en Belgique dans ses rétroviseurs, après les critiques à son égard de Patrick Lefévère, son manager chez Soudal-Quick Step, puis son abandon dans le Nieuwsblad, et espérait que les Strade Bianche puissent être le lieu d’un renouveau, qu’il pourrait y montrer que sa forme n’est pas mauvaise.

Las, le double champion du monde a été pris dans une chute avant le décollage de Tadej Pogacar, à 85km de l’arrivée, alors que ce qu’il restait du peloton s’apprêtait à attaquer le Monte Sante Marie. Un peu plus tard dans la soirée, sa formation expliquait qu’il souffrait seulement d’égratignures et qu’après un examen médical il avait été décidé qu’il pourrait s’aligner à partir de demain sur Tirreno-Adriatico (du 4 au 10 mars). Alaphilippe y tentera une énième fois de tourner la page et de construire sa condition en vue de Milan-San Remo. À noter que le rookie Paul Magnier, 19ans, équipier français d’Alaphilippe, est lui aussi tombé et a dû abandonner. Il ne souffre pas non plus de blessures graves.  (A.Ro.)
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Derrière, du bleu partout

Les coureurs français ont été omniprésents dans le contre à la poursuite de Tadej Pogacar. Avec à l’arrivée trois tops 10, pour Benoît Cosnefroy (6e), Lenny Martinez (8e) et Christophe Laporte (10e).

SIENNE – Assis sur les dalles froides de la piazza del Campo, Benoît Cosnefroy, à la recherche de son souffle, demanda immédiatement: «Je fais combien?» Dans la furie des chemins blancs et la souffrance d’un dernier effort dans le mur de Santa Caterina, le puncheur de DecathlonAG2R avait fini par perdre le compte, concentré à finir comme il le pouvait.

En décrochant la 6e place, Cosnefroy a obtenu la meilleure position de la brigade française et confirmé la bonne forme de son début de saison. «Il y a une certaine fierté à revenir jouer les premières places au plus haut niveau mondial» , appréciait-il à Sienne. À l’image de Français en nombre dans le groupe de poursuite derrière Tadej Pogacar, mais aussi offensifs, Cosnefroy avait tenté d’initier un mouvement à 58km du terme, après avoir suivi une accélération de Romain Bardet (17e à l’arrivée).

Une quinzaine de bornes plus loin, ce fut au tour des Groupama-FDJ de bouger. D’abord Lenny Martinez, bluffant pour sa découverte des Strade Bianche, et qui est allé chercher la 8e place. «J’ai subi dans les premiers secteurs, il y avait beaucoup de tension, j’avais du mal à me replacer, reconnaissait le jeune grimpeur (20ans). Puis j’avais encore un peu d’énergie dans le final, même si, dans la dernière bosse, je n’avais plus de jambes.»

Madouas et Laporte plutôt en jambes

Son équipier Valentin Madouas avait placé une banderille juste après et, s’il s’est un peu délité sur la fin (15e), le Breton était agréablement surpris par l’état de ses jambes. Christophe Laporte a lui aussi tenté de prendre le manche de la poursuite, à 40km du terme, juste avant que Maxim Van Gils n’enclenche un mouvement décisif qui allait lui offrir une place sur le podium mais que le Français ne fut pas en mesure de suivre. Longtemps accompagné par Attila Valter, Laporte a mieux fini que son équipier (10e) et confirmé qu’il avait les jambes en vue de Milan San Remo dans deux semaines. (A.Ro.)



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