Rousse: «Julian ne s’est jamais senti seul»
La compagne du double champion du monde, revient sur les moments compliqués qu’il a vécus depuis sa chute à Liège-Bastogne-Liège en 2022 avant de reprendre confiance sur le Giro avec cette victoire jeudi qui relance sa carrière.
L'Équipe - 18 May 2024
PHILIPPE LE GARS
“Il a toujours eu le même discours: «Moi, je fais du vélo pour gagner, pas pour faire le nombre»
“Je ne pouvais pas rester sans rien dire alors qu’un de mes combats dans la vie, c’est l’égalité hommes-femmes''
Marion Rousse n’est pas seulement la directrice du Tour de France femmes, elle partage aussi la vie de Julian Alaphilippe, avec qui elle a un enfant, Nino, bientôt 3 ans. Sa victoire jeudi, lors de la douzième étape du Giro, après presque un an de disette, a bouclé une période très complexe pour l’ancien numéro 1 mondial, entre ses chutes à répétition depuis 2022, l’absence de résultats et les critiques parfois violentes de Patrick Lefévère, le manager de l’équipe Soudal-QuickStep, qui avait également visé la jeune femme en début d’année. Elle avait dû intervenir publiquement pour le défendre et s’en explique aujourd’hui alors que la victoire de son compagnon sur le Giro apporte enfin une forme de sérénité.
"La victoire de Julian Alaphilippe avant-hier
à Fano a ressemblé à une forme de délivrance…"
Elle avait une saveur particulière en effet, elle est différente de toutes les autres car l’ émotion n’ est pas la même. Avant, il gagnait dix courses par an, là c’ est devenu plus rare, donc on en profite différemment. Mais cette victoire lui ressemble, avec cette échappée de 126 kilomètres, elle résume ce qu’ il est et ce pourquoi il est sur un vélo. Ce sont ces genres de moments à revivre qui lui ont tenu la tête hors de l’ eau ces derniers temps. Je ne sais pas si tout le monde aurait réagi comme ça après tous les pépins qu’ il a connus. Ça ne s’ arrêtait plus, ça faisait des mois et des années que ça dur ait. Mais il est toujours resté droit.
- Vous l’ aviez trouvé différent cesdernierstemps?
Oui, un peu. Il avait à son programme un stage en altitude après les classiques flandriennes début avril, prévu de longue date. Un stage personnel, pas organisé par l’ équipe. Après sa chute aux St rade Bi anche, sa crevaison dans le final de Milan-San Re mo et son impuissance au Tour des Flandres, ça faisait beaucoup de coups durs à digérer, il devait repartir cinq jours après. Je lui ai proposé de rester à la maison, je lui ai dit qu’ il n’ aurait pas les effets de l’ altitude, mais au moins après ses sorties il pourrait profiter de son jardin, avec son fils et moi. Tom Steels (l’und es directeurs sportifs) et le médecin de l’ équipe étaient d’ accord avec cette idée car ça pouvait lui faire penser à autre chose avant de partir sur le Giro. C’est toujours bien de faire le plein d’ énergie positive avant de galérer sur certaines étapes d’ un grand Tour. Il l’ a accepté cari la compris qu’ à ce moment des a vie de coureur, et après tous ses déboires, c’ est ce qu’ il avait de mieuxàfaire.
Vous l’ avez sen' t id' outer de lui?
Je l’ ai vu triste parfois mais jamais il n’ a douté. Je le voyais partir sur les courses avec le sourire, je me demandais parfois ce qui pouvait bien lui passer parla tête tellement il semblait détaché par l’ environnement extérieur. Mais il a toujours eu le même discours: “Moi, je fais du vélo pour gagner, pas pour faire le nombre.” Il a toujours gardé sa ligne de conduite et même moi il me sur prenait, carsachuteà Liège-Bastogne-Liège (en 2022) l’avait atteint psychologique ment. Même quand il en parle aujourd’ hui, il en a encore les larmes aux yeux car ils’ est vu mourir, il n’ arrivait plus à respirer quand Romain Bardet est arrivé à ses côtés. D’ailleurs, il ne veut plus évoquer cet épisode devant les journalistes, c’est comme un traumatisme. Il a travaillé dur ensuite pour revenir, mais à chaque fois il y avait quelquechose qui le frein ait. Comme cette chute aux St radeBi anche en mars, le soir au téléphone il était en pleurs. Là, il était vraiment touché, et dans ces cas-là, c’ est difficile pour moi, pour ses proches, de trouver les mots justes. De lui dire que la roue tourne.
Oui, mais quand ça fait deux ans qu’elle ne tourne pas dans le bon sens, que peuton dire pour le réconforter?
Il n’ était pas non plus dans des conditions optimales au sein des on équipe avec les polémiques provoqué es par Patrick Lefévère (sonmanager)? C’ est vrai que Julian marche à l’ affect, mais à ce moment-là il a reçu beaucoup de témoignages de soutien de toute l’ équipe, des coureurs bien sûr, mais aussi du staff. Il ne s’ est jamais senti seul dans l’ équipe, tout le monde lui répétait: “Julian, ont’aime !” Après sa chute aux Strade Bianche, j’ai reçu un message de Pieter Serry (undeseséquipiers) qui m’ assurait qu’ il ferait tout pour que Julian regagne un jour. C’ était tellement touchant devoir à quel point Julian fédère. Ça l’a aidé à ne pas sombrer car il a besoin de ce genre d’ attentions pour avancer.
Il a vraiment occulté les critiques de son patron?
Honnêtement oui. Il disait devant les journalistes qu’il s’en moquait et qu’il ne faisait pas attention à ça, mais il mele répétait aussi en privé. Ce qui l’a atteint, c’est quand ça a touché notre famille. Il comprenait que l’absence de résultats était une source de critiques, mais quand c’est devenutrès personnel, il a été touché (*).
Il ne comprenait pas que ça en arrive là. C’ est pour ça que je me suis permis de réagir, même si c’ était contre nature. D’ habitude, je ne réponds pas aux polémiques sinon ça leur donne encoreplusd ’importance.
Mais pourquoi l’ avoir fait alors?
Parceque j’ en avais besoin. Si je ne l’ avais pas fait, ça serait resté confiné au petit monde du cyclisme alors que ça dé passait largement ce cadre. Je ne pouvais pas rester sans rien dire alors qu’ un de mes combats dans la vie, c’ estd’ oeuvrer pour l’ égalité hommesfemmes. Et puis, l’ autre problème que soulevaient les critiques de Patrick, c’ est la santé mentale, qui ne concerne pas seulement les athlètes. Je ne pouvais pas rester insensible à ça. Peut-être qu’ en profitant de ma caisse de résonance, je prenais le risque de prendre des coups, mais je voulais faire réagir. Je pense que c’ est là aussi mon rôle.
Julian s’ en est sorti parce qu’ il est costaud et fort dans la tête, mais si ça n’ avait pas été le cas, quelles auraient été les conséquences?
Ça a eu le don d’ étouffer le feu… Ça reste des hommes, ce ne sont pas des machines. On ne peut tout de même pas se permettre de balancer tout ça sans que personne ne réagis se. J’ai seulement dit ce que j’ avais à dire à ce moment-là, je ne suis pas revenue dessus parla suite, car ce n’est pas le genre de lamais onde se plaindre. On est assez occupés par nos métiers respectifs, Julian et moi. Patrick Lefév ère a déclaré après la victoire avant-hier :“Julian m’ a prouvé que j’avais tort.” C’ est tout à son honneur de le reconnaître. Mais Julian ne cherchait pas ça, il voulait juste gagner pour lui et ses coéquipiers. Pour personne d’ autre .»
(*) En février, Patrick Lefévère avait déclaré :« Je pense que chez lui il y a eu trop de fêtes, trop d’alcool. Julian est sérieusement sous le charme de Marion. Peut-être trop. »
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