KENYA - Course de fond contre le dopage


Depuis presque un an, l’Unité d’intégrité de l’athlétisme aide l’agence kényane à développer un programme antidopage. Tests avec des centaines d’athlètes, fuites, manque de moyens… la lutte ressemble parfois à un « far west », malgré des résultats probant

20 Jun 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL ROMAIN DONNEUX (texte et photos)

"Si tu veux garder l’intégrité sur le haut niveau, 
tu es obligé de tester les athlètes qui sont en dessous. 
Car, un jour, ils vont battre les tops et, si tu n’as pas anticipé ça, 
tu te retrouves avec des athlètes qui gagnent des médailles aux JO 
sans avoir été testés à un moment de leur carrière et c’est ce qu’on veut éviter"
   - RAPHAËL ROUX, MANAGER DES TESTS HORS COMPÉTITION DE L’AIU

“C’est une très bonne initiative pour rendre notre sport plus propre. 
Il faut que les athlètes comprennent que c’est sérieux, 
que ça fait partie du métier (…) 
Certains ne se rendent peut-être pas compte ce que représente le fait de tricher. 
Ils le font peut-être parce que le voisin le fait
   - JULIUS YEGO, CHAMPION DU MONDE DU LANCER DE JAVELOT EN 2015

ELDORET ET ITEN (KENYA) – Le lieu donne envie de lacer ses chaussures. En ce mercredi matin de mai, un doux soleil enveloppe Eldoret, capitale de la vallée du Rift et passage obligé pour rejoindre les mythiques spots de course à pied d’Iten ou de Kaptagat. À 7h30, la route qui mène à l’université Annex est déjà chargée. À l’entrée, le gardien ouvre la barrière dans un grand sourire en reconnaissant Raphaël Roux, le conducteur du4×4.

Ce Français, aux allures de surfeur, est le bras armé de l’Unité d’intégrité de l’athlétisme (AIU) au Kenya et vient souvent sur ce site, où la piste en terre et sa pelouse verdoyante au milieu donnent juste envie de se brûler les poumons. Roux, originaire d’un village de l’arrière-pays niçois, n’est pourtant pas là pour s’enfiler des tours de piste. Son job, c’est de faire en sorte que ceux qui tournent ici, et dans toute la vallée, soient contrôlables et contrôlés. Depuis presque un an, et la pression de l’AIU sur le Kenya pour essayer d’endiguer des cas de dopage devenus trop récurrents, ce Français, qui travaillait dans « une société d’Oil and Gas » (« pétrole et gaz » en VF), où il jonglait avec des milliers de datas pour dispatcher les salariés sur différents sites, essaie de développer un programme antidopage « cohérent et efficace » auprès de l’ADAK, l’agence antidopage kényane.

Ce matin-là, il nous a donné rendez-vous sur ce stade pour nous expliquer concrètement en quoi consiste son métier et surtout à quoi ressemble son terrain de jeu. Le mercredi n’étant pas le jour de référence pour s’entraîner sur la piste au Kenya (c’est plutôt les mardis et jeudis), aucun athlète ne foule la terre encore mouillée des derniers jours de pluie mais le manager des tests hors compétition de l’AIU en profite pour faire remonter un souvenir d’un test passé. « La première fois qu’on a fait un test ici, on n’était pas prêts car il n’y avait pas le même nombre d’athlètes que la semaine d’avant où on était venus reconnaître les lieux, se souvient-il. Le jour de la reconnaissance, il ne faisait pas très beau et une quarantaine d’athlètes étaient présents. La semaine d’après, ils étaient plus d’une centaine. Et même si on avait repéré les lieux et imprimé des plans du site, c’est parti dans tous les sens. »

Tout en nous les indiquant du doigt, Roux détaille alors les différentes issues par lesquels certains se sont enfuis au moment où ils ont compris que des contrôleurs débarquaient pour les tester.

Il faut dire qu’à la vue du lieu, contenir des dizaines de personnes est presque peine perdue. « Si tu veux réussir, il faut être préparé car ceux qui trichent vont vouloir se casser, prévient-il. Soit ils viennent te voir, ils t’amadouent et disparaissent, soit ils fuient dès le début. » Cette fois-là, plusieurs ont réussi à se faire la malle et leurs cas sont étudiés de près depuis par le service d’investigation d’ADAK, même si, faute de moyen, les premières sanctions tardent à venir.

Pour le reste, les contrôles ont pu s’effectuer dans un local mis à disposition derrière la piste et dans des tentes avec des toilettes portables, apportées pour agrandir la station de contrôle. « Ces grosses missions-là, c’est le nerf de la guerre, lance Roux. Cette année, j’ai passé pas mal de temps à essayer de comprendre comment s’organise l’entraînement ici. J’ai rencontréplein de gens, j’ai fait le tour de 70 camps d’entraînement pour connaître les plannings, quel jour le long run, quel jour la piste, j’ai un cahier entier de notes. On a fait de l’éducation, de la sensibilisation. La première étape était de récupérer des éléments pour pouvoir faire un programme hors compétition qui soit clean. On a dû trouver des solutions car au début c’était le far west. »

Des missions comme celles-ci, le Français en a « fait un paquet » depuis son arrivée, que ce soit au départ des « long run » matinaux à Iten, sur la mythique Kamariny track, toujours à Iten, ou dans différents camps d’entraînement. Habitué des lieux, pour y vivre depuis plusieurs années, le Franco-Suisse Julien Wanders se souvient d’un matin au Kipchoge Stadium, enceinte en plein coeur d’Eldoret, où la tribune principale attend toujours d’être achevée. « Un mardi, on est entrés dans le stade, ils ont fermé les portes et là, ils nous ont dit qu’on ne sortirait plus avant d’être contrôlés, se sou vient le recordman d’Europe du semi-marathon, qui a fait construire une maison à Iten. Ils ont contrôlé presque 200 personnes. L’idée est bonne mais dans la pratique, c’est évidemment plus compliqué car, déjà, on a dû attendre deux heures pour commencer notre séance et, aussi, car certains athlètes n’ont même pas de passeport, ils peuvent dire n’importe quoi comme nom par exemple. »

La lutte partait effectivement de très loin. Hormis les meilleurs qui étaient déjà suivis comme tous les athlètes élites dans le monde, la couche d’en dessous était à peu près libre comme l’air et il a fallu tout reprendre. « Ici, contrairement en Europe, on a une problématique différente car les athlètes ne sont pas licenciés, détaille Roux. On est en train d’essayer de lancer une base de données dans laquelle la Fédération kényane va pouvoir enregistrer tous les athlètes, ce qui va nous permettre d’avoir une connaissance approfondie de l’ensemble, comme des informations de contacts, le nom du coach, du manager… On va pouvoir suivre le parcours de l’athlète tout au long de sa carrière, chose qui était impossible jusqu’à présent. Et aussi d’avoir la main sur l’enregistrement des athlètes en compétition. Aujourd’hui, on ne sait pas qui va concourir où et çà, c’est un problème quand on veut faire un programme antidopage hors compétition correct. »

Aux portes de la suspension générale l’année dernière, le Kenya a en effet dû réagir et le gouvernement a lancé un plan quinquennal de 25 millions de dollars (23,3 M€), soit 5 par an (4,7 M€), pour développer son agence nationale. Mission attribuée à l’AIU, qui en plus d’augmenter fortement son groupe cible sur la course sur route (de 40 athlètes suivis dans le monde à 300, dont une bonne partie se trouve au Kenya), doit donc faire de l’ADAK une agence capable d’endiguer le problème sur son sol. « Tu as une telle population d’athlètes que tes tops vont très vite être en haut, explique Roux. Si tu veux garder l’intégrité sur le haut niveau, tu es obligé de tester les athlètes qui sont en dessous. Car, un jour, ils vont battre les tops et, si tu n’as pas anticipé ça, tu te retrouves avec des athlètes qui gagnent des médailles aux JO sans avoir été testés à un moment de leur carrière et c’est ce qu’on veut éviter. »

Deux jours plus tôt, le 4×.4 de Raphaël Roux se faufile dans les ruelles d’Eldoret, direction le nouveau siège de l’Agence kényane antidopage. Dans un quartier résidentiel, le portail noir cerclé d’un bleu ciel s’ouvre sur une bâtisse imposante, qui servait jusqu’à peu d’habitation pour des particuliers. Ça fait deux semaines que le Français a récupéré les clés des lieux, censés devenir l’épicentre de la lutte antidopage au Kenya (le siège est à Nairobi). Salle de réunion et zone d’accueil d’athlètes pour des rendez-vous ou des prélèvements au rezde-chaussée, bureaux à l’étage, tout a été pensé pour, qu’à terme, les salariés – pas encore tous recrutés – puissent travailler dans les meilleures conditions.

Wifi capricieux et quadrillage tout terrain

Pour l’heure, en cette fin d’après-midi orageuse, le mobilier de bureau attend encore de la compagnie et le wifi, installé depuis des semaines, est enfin utilisable après une chasse aux mots de passe avec l’opérateur. « C’est le Kenya » , sourit Roux, qui en profite alors pour nous montrer le logiciel – développé avec une entreprise française – que l’AIU utilise pour organiser ses contrôles. Chaque athlète y possède un profil avec son suivi, sa localisation, ses tests, son programme de compétition. Un vrai journal de bord permettant d’avoir le regard le plus précis possible sur les situations de chacun.

« Aujourd’hui, au Kenya, on est hyper satisfaits du travail développé, notamment sur la localisation des athlètes, détaille-t-il. On utilise des coordonnées GPS, on a des photos des lieux, des descriptions détaillées, il y a eu beaucoup de travail qui a été fait depuis 2017 (date de création de l’AIU). À l’époque, pour les contrôles hors compétition, c’était au bon vouloir de l’athlète. S’il le voulait, tu le trouvais, si non, tu ne le trouvais pas. Là, on a réussi à régler ce problème. Le Kenya n’est plus une planque. On a probablement la meilleure situation dans le monde au Kenya. Si j’ai besoin de contrôler un athlète dans l’heure qui suit, ça se fait. C’est ça la clé de ce qui se passe en ce moment avec tous les tests positifs qui sortent. On a réussi cette synergie entre nos équipes sur site, les éléments de localisation et la connaissance des programmes des athlètes. On a multiplié par six le nombre de tests au Kenya, le nombre d’athlètes qu’on regarde. C’est simple, si tu cherches, tu vas toujours trouver. » Un quadrillage tout terrain qui se traduit par des résultats probants ( voir chiffre par ailleurs) et par un assentiment de la plupart des athlètes, qui voient d’un bon oeil l’intensification de la lutte sur leur terre. « C’est une très bonne initiative pour rendre notre sport plus propre, juge Julius Yego, champion du monde du lancer de javelot en 2015, rencontré en pleine séance au Kipchoge Stadium. Il faut que les athlètes comprennent que c’est sérieux, que ça fait partie du métier. Je n’hésite pas à en parler sur mes réseaux sociaux pour faire de la prévention. Certains ne se rendent peut-être pas compte ce que représente le fait de tricher. Ils le font peut-être parce que le voisin le fait. »

Des avancées qui ne suffisent pourtant pas. Dans un pays où le moindre gain glané sur la route permet de s’élever socialement, le dopage reste un raccourci que certains empruntent. Pas de quoi décourager Roux, venu pour deux ans en vallée du Rift avec femme et enfants. « Si je suis là, c’est que le gouvernement a la volonté d’éradiquer le dopage, avance-t-il. Il y a beaucoup d’axes de travail. J’espère que ça va encore s’accélérer. Nous, on va faire en sorte que ce soit compliqué pour les athlètes de se doper. Si le Kenya a réussi à éradiquer le braconnage, il devrait pouvoir éradiquer le dopage. »

Épanouis dans ce pays où « rien ne semble grave » , Roux et sa famille ne comptent toutefois pas s’éterniser sur place, le but étant que lorsque l’AIU laissera l’ADAK en autonomie, « tout le travail en amont puisse être fait » , laissant juste les gros poissons à l’instance internationale. Roux, lui, lorgne déjà d’autres contrées proches, comme l’Éthiopie et l’Ouganda. La course n’est jamais finie.

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