Ipswich, les tracteurs et la gloire


Ci-dessus, les joueurs d’Ipswich et Chelsea lors de la rencontre d’hier, disputée à Portman Road. Ci-contre, sir Bobby Robson soulevant le trophée de la Coupe de l’UEFA en 1981.

Ipswich, les tracteurs et la gloire

Les « Tractor Boys », vainqueurs de Chelsea hier, se battent pour le maintien, avec des moyens et des souvenirs d’un autre temps, qui convoquent Alf Ramsey,
Bobby Robson et les grandes soirées européennes.

"Ce n’est pas si important d’avoir tant de joueurs britanniques.
On préférerait être un peu plus compétitifs" 

JASON, SUPPORTER D’IPSWICH

31 Dec 2024 - L'Équipe
VINCENT DULUC

IPSWICH (ANG) – Puisqu’il fait bon, un petit 6 °C giflé par la bise, ils sont tous en terrasse, enfin entre l’arrière de l’hôtel de la gare et la rivière Orwell, et l’humidité remonte comme une vacherie, pendant qu’ils tiennent leur verre de bière glacée à mains nues. À Portman Road, où se dresse le stade d’Ipswich Town depuis 1884, ils seront assis, mais personne n’interdit de boire pendant trois heures avant le coup d’envoi, et jusqu’à la dernière minute.Ci-dessus, les joueurs d’Ipswich et Chelsea lors de la rencontre d’hier, disputée à Portman Road. Ci-contre, sir Bobby Robson soulevant le trophée de la Coupe de l’UEFA en 1981.

Ainsi reste-t-il quelque chose des extravagances de John Cobbold, président du club de 1957 à 1976, et qui disait à Bobby Robson, alors jeune entraîneur : « Quand on gagne, je prends une bouteille de champagne. Quand on perd, j’en prends deux.» Depuis le début de la saison, les fans d’Ipswich ont un peu plus de raisons de commander deux bouteilles à la fois : promus en Premier League en mai, après vingtd e u x a n s d ’ a t t e n t e , s o u s l’impulsion de leur séduisant entraîneur Kieran McKenna (38 ans), ils ont gagné trois matches en cinq mois, le dernier hier face à Chelsea (2-0). C’est peu, même pour des «Tractor Boys», leur surnom. Et s’il ne faut pas se moquer, ce n’est pas seulement parce que l’on vient de la «Farmers League», ce qu’est la Ligue 1 aux yeux des Anglais: c’est parce qu’ils l’ont choisi.

Aucune défaite à domicile sur la scène continentale

L’affaire remonte, selon les historiens parmi les supporters, à un déplacement à Birmingham en 1998, où les gars du Suffolk, une terre d’agriculture, étaient moqués, comme souvent. Et puis Ipswich a mené 1-0, et ils ont chanté : « One-nil to the Tractor Boys.» Le surnom a divisé le club, et les fans ont même arboré des tee-shirts «Ex Tractor Boys» au début de la saison suivante, pour se moquer à leur tour du manque d’autodérision. Sinon, ils seraient restés les « Blues », et on aurait pu confondre.

À une heure de train de l’est de Londres, Ipswich semble loin de tout, et pourtant au coeur de l’histoire du football anglais. C’est là que sir Alf Ramsey (1955-1963) s’est révélé et a innové, avec son milieu à quatre sans ailiers, pour faire passer le club de la D3 au titre de champion d’Angleterre 1962, la saison même de sa promotion. Grâce à Ipswich, Ramsey est devenu sélectionneur et champion du monde en 1966.

C’est là, aussi, que sir Bobby Robson (1969-1982) a réalisé ses plus grands accomplissements, en remportant la Coupe de l’UEFA en 1981, après que Paul Mariner, John Wark, Arnold Mühren et Alan Brazil avaient éparpillé l’AS Saint-Étienne à Geoffroy-Guichard, en quarts de finale aller (4-1, 3-1 au retour). «Je n’oublierai jamais cette soirée, se souviendrait Robson. Il y avait Michel Platini, Jean-François Larios, Patrick Battiston, Johnny Rep en face. Une des plus grandes performances de l’histoire du club.»

Mais Ipswich, qui n’a jamais perdu à Portman Road en 31 soirées européennes, n’est pas près de disputer la 32e. Rester en Premier League serait déjà un exploit, pour un club qui revient de loin, et qui raconte presque une histoire parallèle : dans ce Championnat d’Angleterre mondialisé, le club a un gardien kosovar, Arijanet Muric, un milieu suédois, Jens Cajuste, un milieu australien, Massimo Luongo, et les vingt-cinq autres ont un passeport britannique ou irlandais. Et il a un numéro 17 qui ne joue pas, Ed Sheeran, fan du club depuis son enfance dans le Suffolk, et devenu actionnaire à hauteur de 1,4 %, l’été dernier. Pendant ses vingt-deux ans loin de la Premier League, Ipswich a visité l’amertume et la League One (D3), et vu des managers échouer, comme Roy Keane (2009-2011), qui écrirait, dans sa biographie : « Put… de couleur bleue. Celle de City, celle des Rangers. J’ai dit au propriétaire : “Aucune chance qu’on change de couleur?” Il m’a répondu qu’il y aurait une révolte, ce qui veut dire, à Ipswich, qu’il y aurait eu quatre personnes dans la rue.»

Michael Pendergast aurait été l’un des quatre, peut-être. Il supporte Ipswich «depuis plus de soi xante ans» . Il est venu avec son neveu, Jason, qui l’accompagne à Portman Road depuis quinze ans. Avant, il allait seul en tribune sud, à la fin des années Ramsey, puis pendant les années Robson, et toutes celles qui ont suivi. À l’évocation du passé, il promène une fierté discrète qui n’est pas envahie par la nostalgie : «Mon plus grand moment ici, c’est peut-être d’avoir battu le Real Madrid (1-0, en C3 1973), et, plus largement, de n’avoir jamais perdu un match européen ici. On ne peut pas comparer, et Alf Ramsey et Bobby Robson étaient de très grands entraîneurs, mais vous savez, on aime beaucoup l’actuel, Kieran McKenna. Là, maintenant, il faudrait juste gagner six matches, encore, pour se sauver…» Ipswich en est à trois seulement et Michael cerne assez nettement le problème: «Quand on vient de Championship, la marche est trop haute. Les plus grands joueurs du monde jouent en Premier League. » Mais pas à Ipswich. « Ce n’est pas si important d’avoir tant de joueurs britanniques, relance Jason. On préférerait être un peu plus compétitifs. Si chaque équipe qui monte en Premier League doit redescendre tout de suite…»

Propriété du fonds d’investissement et de pension Org, qui dirige le club à travers Gamechanger 20 Ltd, dont il possède 90 %, Ipswich n’a pas les moyens d’entrer dans la course à l’armement. Si jamais la saison finit mal, les Américains risquent d’être un peu moins excentriques que Cobbolt, le président historique, venu féliciter chaleureusement Robson un soir de déroute à Leicester, soulignant un jeu flamboyant. Sir Bobby avait simplement répondu : « Monsieur le président, on a perdu. On jouait avec le maillot jaune, ce soir…»

***

Ipswich, trattori e gloria

In alto, i giocatori dell'Ipswich e del Chelsea durante la partita di ieri al Portman Road. 
A fianco, Sir Bobby Robson alza il trofeo della Coppa UEFA nel 1981.

I Tractor Boys, vincitori ieri sul Chelsea, lottano per non retrocedere, con risorse e ricordi di un'epoca passata che ci ricordano Alf Ramsey, Bobby Robson e le grandi notti europee del club.

“Non è così importante avere tanti giocatori inglesi. 
Preferiamo essere un po' più competitivi”. 
   -JASON, TIFOSO DELL'IPSWICH

31 dicembre 2024 - L'Équipe
VINCENT DULUC

IPSWICH (INGHILTERRA) - Ci sono 6 °C, sono tutti sulla terrazza, tra il retro dell'hotel della stazione e il fiume Orwell, e l'umidità sale a dismisura mentre tengono a mani nude i loro bicchieri di birra ghiacciata. A Portman Road, dove lo stadio dell'Ipswich Town sorge dal 1884, saranno seduti, ma nessuno vieta di bere per tre ore prima del calcio d'inizio, e fino all'ultimo minuto.

C'è ancora qualcosa della stravaganza di John Cobbold, presidente del club dal 1957 al 1976, che disse a Bobby Robson, allora giovane allenatore: “Quando vinciamo, prendo una bottiglia di champagne. Quando perdiamo, ne prendo due”. Dall'inizio della stagione, i tifosi dell'Ipswich hanno avuto un motivo in più per ordinare due bottiglie alla volta: promossi in Premier League a maggio, dopo ventidue anni di gestione, sotto la spinta del loro attraente manager Kieran McKenna (38 anni), hanno vinto tre partite in cinque mesi, l'ultima ieri contro il Chelsea (2-0). Non è molto, nemmeno per i “Tractor Boys”, come sono conosciuti. E se non sono da deridere, non è solo perché vengono dalla Farmers League, che è ciò che la Ligue 1 è per gli inglesi: è perché l'hanno scelta.

Nessuna sconfitta in casa sul palcoscenico continentale

La vicenda risale, secondo gli storici tifosi, a una trasferta a Birmingham nel 1998, quando i ragazzi del Suffolk, terra di agricoltura, furono presi in giro, come spesso accade. Poi l'Ipswich andò in vantaggio per 1-0 e i tifosi cantarono: “Uno a zero per i Tractor Boys”. Il soprannome divise il club e i tifosi sfoggiarono persino magliette “Ex Tractor Boys” all'inizio della stagione successiva, deridendo a loro volta la mancanza di autoironia. Altrimenti sarebbero rimasti i “Blues”, e la cosa avrebbe potuto essere confusa.

A un'ora di treno da Londra est, Ipswich sembra lontana da qualsiasi luogo, eppure è al centro della storia del calcio inglese. È qui che Sir Alf Ramsey (1955-1963) è salito alla ribalta e ha aperto nuove strade con il suo centrocampo a quattro senza ali, portando il club dalla D3 al titolo del campionato inglese nel 1962, proprio nella stagione della sua promozione. Grazie all'Ipswich, Ramsey diventa allenatore e campione del mondo nel 1966.

È sempre qui che Sir Bobby Robson (1969-1982) ottiene il suo più grande successo, vincendo la Coppa UEFA nel 1981 dopo che Paul Mariner, John Wark, Arnold Mühren e Alan Brazil avevano annientato il Saint-Étienne al Geoffroy-Guichard nell'andata dei quarti di finale (4-1, 3-1 al ritorno). "Non dimenticherò mai quella notte”, ricordava Robson. "Davanti a noi c'erano Michel Platini, Jean-François Larios, Patrick Battiston e Johnny Rep. Una delle più grandi prestazioni nella storia del club".

Ma l'Ipswich, che non ha mai perso al Portman Road in 31 notti europee, non si appresta a disputare gli ottavi di finale. Rimanere in Premier League sarebbe già un traguardo per un club che ha fatto molta strada e che racconta quasi una storia parallela: in questo campionato inglese globalizzato, il club ha un portiere kosovaro, Arijanet Muric, un centrocampista svedese, Jens Cajuste, un centrocampista australiano, Massimo Luongo, e gli altri venticinque hanno passaporto britannico o irlandese. E ha un numero 17 che non gioca, Ed Sheeran, tifoso del club fin dalla sua infanzia nel Suffolk, che è diventato azionista all'1,4% la scorsa estate. Nei suoi ventidue anni di assenza dalla Premier League, l'Ipswich ha conosciuto l'amarezza e la League One (D3), e ha visto fallire manager come Roy Keane (2009-2011), che nella sua biografia ha scritto: “Metti... blu. Quella del City, quella dei Rangers. Ho chiesto al proprietario: “C'è la possibilità di cambiare colore?”. Mi rispose che ci sarebbe stata una rivolta, il che significava che, a Ipswich, ci sarebbero state quattro persone per strada”.

Michael Pendergast sarebbe stato uno dei quattro, forse. Tifa Ipswich “da oltre sessant'anni”. È venuto con suo nipote, Jason, che lo ha accompagnato al Portman Road negli ultimi quindici anni. Era solito andare da solo nella South Stand, alla fine degli anni di Ramsey, poi durante gli anni di Robson e tutti quelli successivi. Quando parla del passato, è discretamente orgoglioso, ma non si lascia sopraffare dalla nostalgia: “Forse il mio momento più bello qui è stato battere il Real Madrid (1-0, in Coppa UEFA nel 1973) e, più in generale, non aver mai perso una partita europea qui. Non si possono fare paragoni, e Alf Ramsey e Bobby Robson sono stati grandi allenatori, ma a noi piace molto quello attuale, Kieran McKenna. Ora come ora, dobbiamo solo vincere altre sei partite per salvarci...”. L'Ipswich ha vinto solo tre volte e Michael vede chiaramente il problema: “Quando si arriva dal Championship, il gradino è troppo alto. I più grandi giocatori del mondo giocano in Premier League. Ma non all'Ipswich. "Non è così importante avere così tanti giocatori inglesi”, dice Jason. Preferiamo essere un po' più competitivi. Se ogni squadra che sale in Premier League deve subito scendere...”.

Di proprietà del fondo pensione e di investimento Org, che gestisce il club attraverso la Gamechanger 20 Ltd, di cui detiene il 90%, l'Ipswich non può permettersi di entrare nella corsa agli armamenti. Se la stagione dovesse finire male, è probabile che gli americani siano un po' meno eccentrici di Cobbolt, lo storico presidente, che la sera della sconfitta con il Leicester andò a congratularsi calorosamente con Robson, sottolineandone il gioco sgargiante. Sir Bobby rispose semplicemente: “Signor Presidente, abbiamo perso. Stasera giocavamo con la maglia gialla...”.

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