C’EST OUF


■ La gauche a créé une énorme surprise en arrivant en tête des législatives. 
■ Le front républicain a été massivement suivi, reléguant le RN à la troisième place. 
■ Divisée en trois blocs, la nouvelle Assemblée nationale n’a pas de majorité absolue.

8 Jul 2024 - Libération
Par Laure Equy  - Infographie Alice Clair

On surveillait, inquiets, le barrage. On n’avait pas vu le tremplin. Erigé à la hâte, parfois dans la douleur, usé par deux décennies de «vote contre», le front républicain n’a pas seulement fait refluer le Rassemblement national, dimanche. Mieux, c’est le Nouveau Front populaire qui, contre toute attente, se hisse en tête du second tour des élections législatives, obtenant, selon les projections d’Ipsos à 21h30, entre 171 et 187 sièges. Un retournement stupéfiant dont aucun des leaders de la gauche unie n’avait, au cours de ces vingt-huit jours en apnée, osé rêver. Le RN et ses alliés ne décrocheraient «que» 134 à 152 élus, au sein d’une Assemblée nationale éparpillée façon puzzle. Probable deuxième force de l’hémicycle, le camp présidentiel évite l’effacement en repêchant entre 152 et 163 élus. Une solide tripartition du paysage politique qui fait entrer le pays dans une ère nouvelle: le blocage institutionnel ou une cohabitation en coalition allant de la gauche au centre. Signe de ce sursaut républicain, la participation, encore plus élevée qu’au premier tour (66,7 %), n’a pas flanché : 67,1 % des électeurs sont allés voter massivement. Du jamais-vu depuis 1981.

EFFICACITÉ

C’est cette participation maousse qui avait déjà fait exploser le nombre de triangulaires au soir du premier tour. De façon à briser la dynamique du RN qui aurait pu se frayer un chemin jusqu’à la majorité absolue, 220 candidats NFP ou macronistes s’étaient effacés. Encore fallait-il que les électeurs, lassés des consignes de vote, suivent… 

Les sympathisants du camp présidentiel, rebutés par les mélenchonistes et abreuvés de discours menaçants sur un programme de gauche censé conduire le pays à la faillite, se reporteraientils sur un finaliste NFP? 

Les électeurs de gauche consentiraient-ils encore à faire barrage? 

Appelés à écarter le péril de l’extrême droite, ils n’ont pas manqué ce rendez-vous historique. Symbole de l’efficacité du front républicain : la réélection du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin (Nord), et d’Elisabeth Borne (Calvados) grâce au retrait de LFI. La gauche a renforcé d’au moins 20 sièges ses positions acquises lors de l’ère Nupes (151 élus en 2022). Jean-Luc Mélenchon a réclamé que «la volonté du peuple» soit «strictement respectée» : «Le président de la République a le pouvoir, le devoir d’appeler le Nouveau Front populaire à gouverner.» 

L’alliance de gauche dispose d’une majorité relative, trop étriquée pour gouverner sans recruter. Refusant tout net «des négociations» et «combinaisons», le triple candidat à la présidentielle, qui imagine l’abrogation de la réforme des retraites, la hausse du Smic et le blocage des prix, par décret dès l’été, prévient : «Le Nouveau Front populaire appliquera rien que son programme, tout son programme.» Dans la foulée, Olivier Faure a, lui aussi, décliné toute «coalition des contraires», mais appelé à «trouver un chemin». Il n’a pas échappé au premier secrétaire du PS qu’à gauche, le rapport de force s’est rééquilibré. Les insoumis conservent un léger avantage au sein du NFP, avec 69 à 75 députés. Mais les socialistes, requinqués par la campagne européenne de Raphaël Glucksmann, gonflent leurs effectifs, avec 59 à 65 élus, dont l’ancien président de la République, François Hollande, victorieux dans son fief corrézien. Les écologistes engrangent 32 à 36 sièges tandis que les communistes retrouvent 11 députés.


DYNAMITEUR

Largement en tête du premier tour, le RN subit un net ressac, au terme d’une campagne plombée par le dévoilement d’un casting accablant de dizaines de candidats racistes, antisémites, complotistes… L’extrême droite, qui avait réalisé une percée surprise en juin 2022, s’octroyant 89 élus, envoie à l’Assemblée 120 à 134 députés, rejoints par 14 à 18 ciottistes de LR. Petite réjouissance pour LR «canal historique» qui fait légèrement grimper son contingent entre 63 et 68 sièges. Une immense déconvenue pour Jordan Bardella qui, le 30 juin, croyait «l’alternance à portée de main». De quoi nourrir le traditionnel couplet frontiste sur les «alliances politiciennes contre nature». L’eurodéputé s’est posé en «seule alternance contre un parti unique qui va de Philippe Poutou à Edouard Philippe». Retranché en début de soirée à l’Elysée, avec Gabriel Attal et les chefs de partis de feu sa majorité, Emmanuel Macron compte attendre «la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires». «Prudence et analyse des résultats, temporise son entourage. 

La question est qui pour gouverner désormais et atteindre la majorité ?» 

Le chef de l’Etat va bien devoir s’y résoudre. Après avoir considéré, durant son premier quinquennat, le Parlement comme une chambre d’enregistrement, puis avoir connu l’inconfort de la majorité relative, il s’apprête à entrer en cohabitation. Que peut bien songer le dynamiteur de l’Assemblée, qui se targuait, en redonnant la parole aux électeurs, de faire advenir «un moment de clarification» ? L’Elysée se réjouit du moins de voir, après sept ans au pouvoir, «le bloc central bien vivant» : Renaissance décrocherait entre 96 et 102 élus, le Modem 32 à 35, tandis que les philippistes seraient encore 24 à 26. «La formation politique que j’ai représentée ne dispose pas d’une majorité absolue», a admis Gabriel Attal. Sans un mot sur la victoire du Nouveau Front populaire, il convient que «le centre de gravité sera plus que jamais entre les mains du Parlement» et refuse de «se résoudre à ce que la République soit scindée en trois blocs». Sur le perron de Matignon, l’éphémère Premier ministre a annoncé qu’il remettrait ce lundi matin sa démission au Président, tout en se tenant prêt à assumer ses «fonctions aussi longtemps que le devoir l’exigera». Le temps peut-être d’enjamber des Jeux olympiques que tout le monde semblait, au long de ce mois en surchauffe, avoir un peu oubliés.

***

Etre à la hauteur

par Paul Quinio

Merci qui? Merci le front républicain! 
L’incroyable scénario de ce second tour des législatives voit contre toute attente le Nouveau Front populaire arriver en tête, la majorité présidentielle en deuxième position et le Rassemblement national seulement troisième alors qu’il était donné favori après sa percée du premier tour. Décidé très rapidement par la gauche le 30 juin au soir, le gros des troupes de la majorité présidentielle embrayant dans son sillage, le front républicain que l’on disait moribond aura donc permis l’essentiel : barrer la route du pouvoir à l’extrême droite. 

Les Français ont une fois de plus fait preuve d’une maturité politique exceptionnelle en se mobilisant massivement (le taux de participation a été très élevé) pour défendre ces valeurs républicaines héritées des Lumières qui fondent notre démocratie. Valeurs que le ­Rassemblement national, soi-disant dédiabolisé, continue en réalité de menacer. En disant non à un gouvernement d’extrême droite, les Français ont ­rejeté l’idée d’une France xénophobe, rance, repliée sur elle-même, où l’Etat de droit aurait été sans nul doute peu à peu grignoté. 

Les Français, de gauche, du centre, de droite, qui ont refusé de voir l’extrême droite prendre le pouvoir, ont, d’une certaine manière, sauver l’idée qu’ils se font majoritairement de la République. 

La gauche unie a été la première, et de manière très claire, à ­demander aux électeurs de faire barrage. Elle s’en retrouve d’une certaine manière récompensée, puisque les Français l’ont placée en tête de ce second tour. C’est évidemment, si l’on ose dire, une divine surprise. Sa majorité n’est bien sûr que relative, mais elle l’oblige. Elle l’oblige à être à la hauteur de cette maturité des électeurs. Elle le sera en tenant compte du fait que le peuple de gauche a, comme en 2002, comme en 2017, comme en 2022, été au rendezvous de l’histoire. Elle le sera en assumant ses valeurs, mais aussi son programme qui promet plus d’égalité, plus d’attention aux questions sociales, en remettant l’école au coeur du pacte républicain, en récompensant les soignants, en essayant de répondre à ce sentiment de déclassement qui nourrit le vote pour l’extrême droite.

Mais elle sera aussi à la hauteur en évitant de se croire trop belle, trop forte. Elle le sera en se détournant aussi d’un sectarisme qui la rendrait aveugle sur les conditions de sa victoire ce 7 juillet. Etre à la hauteur lui interdit aussi d’oublier que l’extrême droite est plus puissante que jamais dans notre pays.

***

Le NFP fête mieux que prévu

Sans majorité mais en tête, 
l’alliance de gauche  revendique son droit à gouverner. 
En accord sur  le respect du programme, 
les partis doivent décider  d’un nom pour Matignon.

par Charlotte Belaïch et Sacha Nelken

Le Nouveau Front populaire ne se contente pas de résister, il l’emporte. Conçue pour contrer la vague d’extrême droite qui menaçait de déferler sur l’Assemblée nationale, l’alliance des partis de gauche arrive en tête du scrutin, selon les estimations Ipsos pour France Télévisions à 21 h 30. Elle devient la première force politique du pays, avec un nombre de sièges oscillant entre 171 et 187, contre 152 à 163 pour le camp présidentiel et entre 132 et 152 sièges pour le Rassemblement national et ses alliés. Au sein de la coalition, les insoumis, avec un groupe qui devrait comporter entre 69 et 75 élus, font presque jeu égal avec les socialistes (entre 59 et 65). Derrière, les écologistes se renforcent (entre 32 et 36 députés) tandis que les communistes engrangent entre 11 élus.

Si certains ont répété jusqu’à la fin que tout était envisageable, personne, au sein même de l’union, ne pensait vraiment qu’une victoire était possible. A l’issue du premier tour, l’extrême droite était promise à une majorité relative sinon absolue. L’activisme de la gauche, qui a très vite annoncé qu’elle retirerait ses candidats arrivés en troisième position pour faire barrage au RN, et qui a mis la pression sur le camp présidentiel pour faire de même, a bien aidé. Les appels au front républicain ont fonctionné au-delà des attentes. Beaucoup, à gauche, redoutaient que les consignes de la macronie soient inopérantes après les attaques répétées de ses représentants contre La France insoumise et la lassitude des électeurs, sommés de faire barrage à la montée de l’extrême droite à chaque ­second tour.

«Discuter». Sans majorité absolue mais en tête, la gauche devrait donc, si Emmanuel Macron respecte l’esprit des institutions, être appelée à former un gouvernement. Contrairement au président du Rassemblement national, Jordan Bardella, qui avait annoncé qu’il refuserait la tâche s’il n’avait pas de majorité absolue, les représentants du Nouveau Front populaire ont toujours dit qu’ils ne se défileraient pas. «La volonté du peuple doit être strictement respectée, dès lors, aucun subterfuge, arrangement ou combinaison ne serait acceptable. […] Le Président de la République […] a le devoir d’appeler le NFP à gouverner. Celui-ci y est prêt», a déclaré JeanLuc Mélenchon.

Aligné sur le triple candidat à la présidentielle, le Premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure a confirmé que la gauche «ne se prêtera à aucune coalition des contraires qui viendrait trahir le vote des Français et prolonger les politiques macronistes». «Nous allons gouverner», a appuyé la secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier, tout comme le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, qui a dit le changement possible «dès cet été».

L’espoir est immense, le défi l’est tout autant. Toute la soirée de dimanche, les chefs de ­partis du Nouveau Front populaire ont prévenu qu’ils ne feraient pas de compromis sur leur programme. Mais en l’absence d’une majorité absolue, l’alliance de la gauche va devoir trouver des alliés. «On va devoir être adulte, discuter, a prévenu de son côté l’eurodéputé Raphaël Glucksmann. Le pays a besoin d’être apaisé, réconcilié.» Toute la ­semaine, l’hypothèse d’un gouvernement de coalition a été discutée, mais jamais dans la perspective d’une gauche en tête. Les macronistes, et ­notamment ceux de l’aile gauche, vont désormais devoir choisir s’ils ­soutiennent le ­Nouveau Front populaire, que ce soit en participant à une éventuelle coalition ou en étant dans une forme de soutien sans participation. Dans le cas contraire, la gauche s’exposerait à la menace rapide d’une motion de censure.

Cette surprise du second tour va en tout cas reposer la question du Premier ministre, mise de côté dans la dernière ligne droite, alors qu’une majorité de gauche ne semblait plus possible. «Ce soir, ce n’est pas le moment des postures, des oukases ni des courses de petits chevaux, a prévenu Marine Tondelier. Ce n’est pas non plus le moment de proposer un ou une Première ministre.» Tout au long de la campagne, le sujet a fait débat. Très présent dans la campagne, Jean-Luc Mélenchon a été le premier à se dire «capable» d’occuper la fonction sans toutefois «s’imposer». Décrivant un leader insoumis devenu «repoussoir», socialistes, communistes et écologistes ont martelé qu’ils s’y opposeraient.

Rééquilibrés. Les alliés du NFP vont devoir trancher le mode de désignation de leur candidat pour Matignon. Pour les insoumis, le choix doit revenir au groupe le plus important en nombre d’élus. Les roses, rouges et verts plaident, eux, pour un vote de tous les élus, bien conscients qu’un tel cas de figure mettrait LFI en minorité, et éloignerait donc l’hypothèse «Mélenchon à Matignon». D’autant que les rapports de force à gauche ont été ­rééquilibrés à la faveur de ces législatives. Avec un groupe PS qui se rapproche de LFI, l’hégémonie insoumise prend fin. Le nom de François Ruffin, qui a rompu avec Mélenchon et la direction de LFI pendant la campagne, est aussi revenu avec insistance parmi les candidats potentiels au poste de Premier ministre. Le réalisateur de Merci Patron ! distancé au premier tour par le RN dans sa circonscription de la Somme est finalement parvenu à être réelu. Comme lui, tous les frondeurs désinvestis ont retrouvé leur siège. Parmi les personnalités de gauche les plus scrutées, l’ancien président de la République François Hollande est élu dans la 1ère circonscription de Corrèze à la faveur d’une triangulaire qui a dispersé les voix de la droite. Partout en France, dimanche soir, une gauche victorieuse s’apprêtait à célébrer avant de s’atteler au défi qui l’attend.

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