LIGUE DES CHAMPIONS - Au PSG, les petits princes mettent le paquet
Les Parisiens Khvicha Kvaratskhelia, Désiré Doué
et Warren Zaïre-Emery, à Angers, samedi.
Si le club parisien, qui retrouve les Anglais d’Aston Villa en quart de finale retour de la compétition européenne ce mardi, tourne aussi bien, il le doit au choix d’aligner une brochette de joueurs de moins de 25 ans. De quoi apporter de la fraîcheur physique et construire un projet à partir d’une page blanche.
«Quand tu es au PSG,
tu grandis vite sur l’aspect
émotionnel, la pression à gérer.»
- Désiré Doué milieu de terrain du PSG
15 Apr 2025 - Libération
Par Grégory Schneider
C’est une histoire vieille comme le sport et fraîche d’une semaine. Qui passe à la fois par les postures, les jeux de regards et ces petites choses que traquent les caméras partout où paraissent les joueurs. Vainqueur au Parc des Princes (3-1) des Anglais d’Aston Villa, le Paris Saint-Germain peut aborder sereinement le match retour à Birmingham ce mardi. Et deux images ont résumé les matchs allers de quart de finale de Ligue des champions, étalés sur deux soirées qui n’auront pas laissé le foot international dans le même ordre que celui qui prévalait avant elles.
La première est quelque part dans les fichiers informatiques du Real Madrid, déchiré (3-0) sur la pelouse d’Arsenal: douze kilomètres de moins parcourus par les tenants du titre en comparaison à leurs adversaires anglais. Plus d’un joueur de moins, puisque celui-ci parcourt environ onze kilomètres par match. Une honte pour la presse espagnole. Un gouffre pour les statisticiens du jeu. Et une insulte pour tous les entraîneurs et éducateurs de la planète car ces douze bornes disent à la fois l’embourgeoisement et le mépris des joueurs pour le métier qui les nourrit.
La deuxième image, elle, a raconté les arrière-cuisines de ce qui se trame dans le vestiaire du Paris Saint-Germain. Elle est revenue trois fois mais nous est apparue de biais, en creux. Dans ces moments étranges appartenant bien au match, mais qui marquent une discontinuité du jeu, entre le liseré et l’incise. On veut parler non pas des trois buts parisiens, tous plus beaux les uns que les autres, mais de la manière dont les buteurs les ont célébrés.
Dépouillement
On confesse mal connaître Désiré Doué (19 ans), Khvicha Kvaratskhelia (24 ans) et Nuno Mendes (22 ans), le niveau de protection voulue par la direction parisienne –chantage à la prime d’éthique comprise, environ 10 % du brut – leur interdisant de s’adresser à d’autres médias que ceux du club en dehors des fenêtres dédiées aux sélections nationales. Pour l’heure, on ne sait ni comment ces trois-là fonctionnent ni sur quels ressorts. Mais il nous reste ce qu’ils ont donné à voir sur ces fameux buts, qui ont toutes les chances d’avoir satellisé le club de la capitale dans le dernier carré de la compétition reine. Trois manières distinctes d’exprimer leur bonheur mais il y a un fil commun : le dépouillement. Une manière de sobriété qui n’a rien à voir avec l’époque et les enjeux qu’ils traversent. Les trois buteurs ont pourtant balayé un spectre d’émotions assez large. De la rage, mais aussi le sentiment d’avoir fait les choses bien pour Doué. La volonté d’exister très fort pour ce même Doué, ainsi que pour son coéquipier géorgien Kvaratskhelia. Et une joie enfantine, légère chez Mendes, qui n’a pas empêché l’international portugais de pointer du doigt son passeur pour partager sa réussite avec lui. Tout cela : c’est du foot.
Rien que du foot. On veut dire qu’aucun n’a fait le mariole. Nous débarrassant ainsi, l’espace d’une soirée, de ces gestes «signatures» (on pense bien sûr à Cristiano Ronaldo ou Kylian Mbappé, mais n’importe quel joueur de Ligue 1 à plus de trois buts est susceptible de s’y coller) qui essaiment partout et permettent au buteur de s’approprier le moment, le match, le stade et tout le reste. Ceux-là nous ont aussi délestés des chorégraphies décidées à l’avance échappant par définition au «moment», qui diffère l’expression des émotions le temps que quatre ou cinq joueurs arrivent sur zone pour l’exécuter. Une joie fraîche, profonde et spontanée : là encore, difficile de ne pas faire le lien avec le tropisme collectiviste défendu contre vents et marrées par l’entraîneur du PSG, Luis Enrique.
Mais il n’y a pas que ça. Doué, Kvaratskhelia, Warren Zaïre-Emery (19 ans), João Neves (20 ans) ou Bradley Barcola (22 ans), c’est la page blanche. A peine écrite, aussitôt effacée.
Depuis des mois, Luis Enrique revendique haut et fort de les trimballer selon les circonstances à deux, trois voire quatre postes différents, plaidant une forme d’enrichissement culturel du joueur à travers sa capacité d’adaptation, là où l’entourage de certains poids lourds du vestiaire y voit parfois l’affaiblissement organisé des éléments, les empêchant de se développer et grandissant la stature du coach espagnol par contraste. On peut aller chercher des bouts de vérité des deux côtés. Et mesurer les dégâts. Champion du monde 2018 avec les Bleus, Presnel Kimpembe et Lucas Hernandez (29 ans tous les deux) sont gratifiés de salaires énormes (respectivement 640 000 et 1 100 000 euros brut mensuels) qui ne les protègent en rien puisqu’ils regardent depuis le banc de touche l’Equatorien Willian Pacho (23 ans) ou le Brésilien Lucas Beraldo (21 ans) se tailler la part du lion à leurs postes en défense. Quand on le lance sur le sujet, Luis Enrique déroule. Oui, Kimpembe et Hernandez «sont prêts». Et oui, il est là, lui, «pour faire des choix». Selon l’entourage d’un international trico objectivement lore, celui-ci est en quelque sorte pris dans la queue de la comète. A savoir ces statuts qui figeaient le vestiaire dans la glace et permettaient à Lionel Messi de mépriser ouvertement un Vitinha qui, faut-il le rappeler, s’est vu confier cet été par l’entraîneur espagnol la responsabilité de la transformation des penaltys, un choix qui avait surpris dans le vestiaire parisien. De façon sous-jacente, on imagine aussi le poids des nécessités athlétiques, le lourd passif de Kimpembe en matière de blessures (sa rupture au tendon d’Achille l’a éloigné des terrains deux ans) et l’approche quelque peu lacunaire de Hernandez en termes de préparation invisible (nutrition, sommeil) les condamnant sans rémission. Les temps ont changé. Même le Real Madrid ne passe pas entre les gouttes. Mesurer le prix de ce que les Parisiens nous mettent sous le nez en dehors des matchs n’est certes pas simple, faute d’expression libre des joueurs. Mais pas impossible non plus. On peut ainsi parfois les approcher de façon indirecte, ou guetter leurs apparitions lors des points presse en sélection ou imposés au club.
«Droit à l’erreur»
La saison passée, on avait eu l’occasion de contacter par mail ZaïreEmery pour le magazine de mode Numéro et il nous avait fait des réponses de son âge, en données corrigées d’un monde (le sien) où n’importe quel gamin est tenu de se comporter en professionnel accompli. «Pour moi, j’ai exactement les mêmes responsabilités que les autres joueurs de l’équipe, expliquait notamment celui qui était devenu à 17 ans le plus jeune international tricolore depuis plus d’un siècle. Et j’ai le droit à l’erreur comme eux, ni plus ni moins. Dans le même ordre d’idée, je ne pense pas qu’un joueur doive être plus centré sur lui-même en début de carrière, sous le motif qu’il n’est encore personne et qu’il doit faire son trou pour exister aux yeux des autres. Je comprends ce raisonnement-là, mais je ne le partage pas.» On a eu tôt fait d’y voir une manière d’idéalisme contredisant la norme: dans le foot, on naît, on vit puis on meurt seul. Le milieu parisien est un adolescent dans son monde, confessant une attirance pour les mathématiques qu’il lie à un penchant pour la logique et l’abstraction, et confondant encore l’homme qu’il est et le footballeur que d’autres que lui ont construit. Ça n’aura qu’un temps. Zaïre-Emery va grandir. Mais, pour l’heure, ça vaut son pesant de tendresse, le côté timide et appliqué du natif de Montreuil (SeineSaint-Denis) lui valant d’ailleurs une forme de respect distant, et même protecteur, chez les suiveurs du club parisien.
Désiré Doué suscite des sentiments différents. Le staff des Bleus l’a envoyé devant les micros en mars lors de son premier rassemblement chez les A à Clairefontaine, qu’il ne risquait pas de découvrir puisqu’il a enquillé toutes les sélections chez les jeunes en plus de disputer les Jeux olympiques l’été dernier. Plus ouvertement ambitieux que ZaïreEmery, Doué est apparu sûr de lui, lancé, très clair sur ce qu’il estime devoir lui revenir et la part, congrue à son idée, qu’il doit rétrocéder aux autres. Sur son arrivée chez les Bleus : «J’ai validé une étape, une grande étape. Mais je reste ambitieux. Il y en a d’autres.»
Sur son club : «Je ne pense pas que le Paris-SG ait accéléré le processus qui m’a amené chez les Bleus. Je ne le dois qu’à mon travail. Et j’essaie de garder ma personnalité [technique] même si je sais que je dois progresser sur beaucoup d’aspects, même sur le plan offensif. Je sais que j’en fais parfois un peu trop. Mais il faut que je garde ce qui fait mon jeu, les beaux gestes et le dribble. Ce n’est d’ailleurs pas tant une affaire de prise de risques que de zones du terrain où on les prend, les risques. Il y a des endroits où passer le ballon, des endroits où construire. Et des zones où on est plus libres. Quand tu es au Paris-SG, tu grandis vite sur l’aspect émotionnel, la pression à gérer. Quand tu sors du Stade Rennais [où il a été formé et sous contrat entre 2011 et 2024, ndlr], tu ne connais pas le contexte international. Ça fait partie de mon apprentissage.» Certains présents savaient tiquer devant les certitudes du joueur. Mais il ne faut pas tomber dans le panneau.
L’assurance de Doué est de son âge. Il est d’ailleurs capable de second degré: «J’ai un beau nom de famille, que j’essaie d’honorer chaque jour.» Surtout, le dynamisme du personnage, le mélange de vitalité et de mordant qu’il dégage, sont des charmes éternels du jeu de football. Etant entendu que personne, pas plus Zaïre-Emery que Doué ou Barcola, n’en sont détenteurs bien longtemps: la jeunesse passe à d’autres. La mort au présent, pour paraphraser Jean Cocteau qui parlait de cinéma. L’enfance d’une équipe comme un envoûtement à la fois fugace et éternel, rhabillant un club-Etat qui croulait jusqu’ici sous le poids d’enjeux trop grands pour les joueurs qui défendaient le maillot. Merci pour eux. •
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