Dans l’UE, l’extrême droite en voie de normalisation

Sur tout le continent, les partis de droite radicale ont effectué leur mue sur les questions européennes. Une stratégie payante mais qui ne masque pas leurs divisions.

Jean Quatremer - Correspondant européen
29 Mar 2024 - Libération

La sortie de l’Union et de l’euro, c’est définitivement «has been» depuis le Brexit qui a effrayé les opinions publiques. Et en ces temps incertains où la guerre a fait son retour sur le continent, la sortie du parapluie de l’Otan est tout aussi passée de mode, comme l’ont montré les adhésions de la Finlande et de la Suède, mais aussi le référendum de juin 2022 par lequel les pourtant très eurosceptiques Danois ont décidé de rejoindre la politique de défense européenne (avec 66% des suffrages). Les populistes et l’extrême droite ont pris conscience que leur europhobie risquait d’être un plafond de verre : désormais, ils veulent rester dans l’Union européenne (UE), mais pour la changer de l’intérieur, exactement le projet défini par le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán.

«Depuis 2019, date des précédentes élections européennes, on a assisté à un changement stratégique des partis européens d’extrême droite qui ont toujours été plus eurosceptiques que leurs électeurs», confirme le politiste Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS et au Cevipof. «L’extrême droite veut montrer qu’elle est dans le jeu démocratique, qu’elle est une force de propositions et pas seulement “antisystème”, poursuit-il. Désormais, elle parle d’Europe, de politique migratoire, de Russie, d’économie, etc., comme les partis classiques».

Giorgia Meloni, la Première ministre et patronne du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia (FdI), à la tête de l’un des six pays fondateurs de l’Union européenne, est le symbole le plus visible de ce réalignement (lire page précédente). Alors que beaucoup pensaient qu’elle serait une trouble-fête, à l’image de Viktor Orbán, elle a, au contraire, dès son accession au pouvoir en octobre 2022, donné des gages à ses partenaires en excluant un «Italxit» ou une sortie de l’euro. A Bruxelles, elle est une «bonne élève» européenne : soutien inconditionnel à l’Ukraine, allante sur la défense européenne, jeu collectif sur l’immigration ou sur la politique économique, elle se comporte en dirigeante responsable, défendant les intérêts de son pays, mais acceptant les compromis. On est très loin de ses meetings de campagne enflammés et europhobes. A tel point qu’Ursula von der Leyen, la présidente (conservatrice) de la Commission européenne, l’emmène dans beaucoup de ses déplacements à l’étranger, que ce soit en Tunisie, en Ukraine ou en Egypte, une proximité qu’elle n’a jamais entretenue avec Emmanuel Macron, à qui elle doit pourtant son poste, ou Olaf Scholz, le chancelier (social-démocrate) allemand.

Un «cordon sanitaire»

Même le Rassemblement national (RN) ne milite plus ouvertement pour un «Frexit» : comme le rappelle l’eurodéputé Nicolas Bay, désormais passé chez Reconquête d’Eric Zemmour, «en 2019, la ligne de Florian Philippot a été abandonnée». En avril 2023, dans un entretien donné au quotidien italien La Repubblica, Marine Le Pen expliquait ainsi qu’elle restait «sceptique» non pas sur l’Europe, «mais sur l’organisation politique de l’UE», ce qui n’est pas la même chose. De même, le très europhobe Geert Wilders, patron du PVV qui a gagné haut la main les élections législatives néerlandaises de novembre, a abandonné l’idée d’un référendum sur le «Nexit» (ainsi que l’arrêt d’un soutien à l’Ukraine) pour essayer, en vain, de devenir Premier ministre de son pays. En fait, dans l’Union, reconnaît Nicolas Bay, «il ne reste plus guère que l’Alternativ für Deutschland [AfD], et encore, et le Vlaams Belang (VB) flamand pour prôner la fin de l’UE», deux partis pourtant alliés au RN au Parlement européen puisqu’ils siègent au sein du groupe politique Identité et Démocratie (ID).

Cependant, cela ne veut pas dire que les droites radicales européennes sont unies, loin de là : «Il y a celle qui siège au sein d’ID (RN, VB, PVV, FPÖ autrichien…), laïque voire athée et qui n’est pas réactionnaire sur le plan sociétal, notamment sur les droits des LGBT +, et celle des conservateurs eurosceptiques du groupe politique de l’ECR (le PiS polonais, FdI, Reconquête…) qui défend une Europe des valeurs chrétiennes.» A cela s’ajoute l’attitude à l’égard de la Russie : alors qu’ID a les yeux de Chimène pour Vladimir Poutine et rejette l’Alliance atlantique, ce n’est pas le cas de l’ECR, totalement alignée sur l’Ukraine et qui défend fermement l’Otan.

Mais cette recomposition de l’extrême droite pose un redoutable problème au Parlement européen qui a institué un «cordon sanitaire» autour d’ID afin de lui interdire tous les postes à responsabilité au sein de l’assemblée. Dès lors que plusieurs des partis qui le composent sont proches du pouvoir et représentent une part croissante des citoyens européens (ID pourrait même devenir le troisième ou quatrième groupe politique), on peut se demander si ce cordon est encore justifié. «C’est un héritage des années 80, lorsque le FN de Le Pen père ou encore les sulfureux Republikaner allemands ont fait irruption au Parlement alors qu’à l’époque l’écrasante majorité des groupes était fédéraliste, rappelle Olivier Costa. Tout le monde était horrifié par ces gens qui voulaient détruire l’Europe.» Mais avec leur poids électoral, leur «normalisation», aidée par la diffusion de leurs idées, leur travail sur le terrain et au sein des Parlements où ils sont présents, est-il encore démocratiquement tenable de les isoler d’autant qu’ECR (et donc Reconquête et sans doute bientôt le Fidesz hongrois) n’est pas concerné par ce cordon ?

Alliances de circonstance

«Même si ID reste profondément d’extrême droite, anti-immigrés, anti-élites, complotistes et souvent antisémites, la question se pose», estime Olivier Costa. Si la fin du cordon sanitaire paraît douteuse, du moins pour la prochaine législature, ne serait-ce que parce que les socialistes, les centristes, les verts et la gauche radicale ne l’assumeront pas, des alliances de circonstance avec les conservateurs du PPE, par exemple pour édulcorer le Pacte vert ou pour freiner l’élargissement, sont d’ores et déjà au programme, comme l’assume ouvertement Manfred Weber, le patron du PPE.

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