L’extrême droite fait une razzia sur la culture


De l’audiovisuel public aux prestigieuses institutions culturelles du pays, le pouvoir italien tente, de façon plus ou moins directe, de promouvoir les valeurs ultraconservatrices.

É.J. (à Rome)
Libération - 29 Mar 2024

«L’intention est de minimiser les crimes
de Mussolini, en soutenant par exemple
qu’il a tout de même fait de bonnes choses.» 
   - Giovanni De Luna, historien

Depuis son arrivée au pouvoir, l’extrême droite italienne a une obsession: «Changer la narration du pays.» En clair, promouvoir les valeurs nationalistes et traditionnelles et revisiter l’histoire du pays. L’objectif a été publiquement revendiqué en février2023 par le secrétaire d’Etat à la Culture (Fratelli d’Italia), Gianmarco Mazzi, en vue du renouvellement de la direction de la Rai, l’audiovisuel public : «Il s’agit de changer de modèle culturel.» Avant tout, selon l’historien Giovanni De Luna, «il y a une volonté de remettre en question le pacte de mémoire qui est à l’origine de la république italienne après la chute du fascisme. L’intention est de minimiser les crimes de Mussolini, en soutenant par exemple qu’il a tout de même fait de bonnes choses, que la cruauté de la république sociale de Salò était due aux Allemands ou bien que c’était une réaction aux actions des partisans. Cette narration n’a rien d’historique, mais l’objectif est de mettre sur le même plan fascisme et antifascisme. La volonté est également de minimiser la responsabilité des groupes néofascistes dans la stratégie de la tension des années 70.»

«Ennemi». L’opération passe en priorité par la télévision qui a déjà transmis une série sur la chute du Duce en1943 et prépare entre autres des fictions sur l’entreprise de Fiume de Gabriele D’Annunzio ou sur la vie de Guglielmo Marconi, le très fasciste inventeur du télégraphe sans fil. De manière générale, la Rai a été prise d’assaut par le nouveau pouvoir. «Ils ont mis la main sur toutes les chaînes. L’occupation de l’audiovisuel public est inédite y compris par rapport à la période Berlusconi. A l’époque, une chaîne de la Rai, la troisième, avait pu rester hors de son orbite», constate ­Giuseppe Giulietti, ancien secrétaire du syndicat ­journalistes de la Rai et de la Fédération nationale de la presse. «L’information est sous contrôle, les journalistes d’investigation sont sous pression. Les meetings de Giorgia Meloni sont ­retransmis en direct tandis qu’elle refuse de parler dans les chaînes indépendantes. Plusieurs animateurs vedettes considérés comme hostiles ont été poussés vers la sortie.»

Commandée et financée par la précédente direction de la Rai, une série d’émissions sur le crime organisé préparée par Roberto Saviano a été purement et simplement passée à la trappe. Traîné en justice par Giorgia Meloni et son vice-Premier ministre Matteo Salvini pour les avoir traités de «salauds» en 2020 à la suite de la mort d’un bébé sur un bateau de migrants, l’écrivain a été condamné à 1 000 euros de dommages en première instance (la présidente du conseil en demandait 75 000). «Giorgia ­Meloni me considère comme un ennemi. Sa volonté et celle de ses associés au gouvernement est de m’anéantir […] ils ont traîné en justice la ­parole, la critique politique. Ils ont contraint des juges à définir le périmètre dans lequel il est possible de critiquer le pouvoir», explique-t-il à Libération.

En quelques mois, l’extrême droite a fait main basse sur les institutions culturelles du pays. Du centre expérimental du cinéma à la Biennale de Venise – où a été nommé l’écrivain et polémiste Pietrangelo Buttafuoco –, des scènes lyriques aux théâtres du pays, le nouveau pouvoir se précipite pour changer les responsables. Fils du président du Sénat Ignazio La Russa, qui conserve fièrement un buste de Mussolini à son domicile, l’avocat et président local de l’Automobile club italien, Geronimo La Russa, a par exemple été placé au conseil d’administration du prestigieux Piccolo Teatro de Milan, fondé en 1947 par Giorgio Strehler. «J’ai des perplexités sur [ses] compétences», a euphémisé le maire centre-gauche de la ville, Giuseppe Sala. «C’est ce qu’on appelle la démocratie de l’alternance», revendique à l’inverse Federico Mollicone (Fratelli d’Italia), président de la commission culture de la chambre de députés, connu entre autres pour être parti en croisade contre le dessin animé Peppa Pig au prétexte que l’un des personnages indiquait vivre avec deux mamans.

Recours. Pour accélérer le changement de direction à l’opéra San Carlo de Naples et à la Scala de Milan, le gouvernement est allé jusqu’à adopter en mai 2023 un décret-loi fixant à 70 ans l’âge de départ à la retraite des étrangers à la tête des scènes lyriques. Alignant la limite d’âge sur celle qui s’impose aux Italiens, la mesure visait toutefois clairement les Français Stéphane Lissner et, en perspective‚ Dominique Meyer, né en 1955. A la suite d’un recours en justice qui a constaté que la mesure était ad personam, l’ancien directeur de l’Opéra de Paris a finalement été réintégré à son poste à Naples. Mais l’affaire a aussi mis en avant la volonté du nouveau ­pouvoir de pousser la «préférence nationale» dans les institutions culturelles, ­notamment à la direction des musées. Même l’auteur de la Divine Comédie est ­recruté au service de la nouvelle narration du pouvoir. Ainsi, pour le ministre de la Culture, Gennaro Sangiuliano, «Dante est le ­fondateur de la pensée de droite».

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