LA RÉVÉRENCE D’UN ROI


Vertigineux ! À 39 ans, le sprinteur britannique bat le record mythique d’Eddy Merckx, surnommé « le Cannibale », en remportant à Saint-Vulbas (Ain) sa 35e étape sur le Tour.

4 Jul 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL - ALEXANDRE ROOS

SAINT-VULBAS (AIN) – Tout était si beau, touché par la grâce. Ce sprint duquel on sentit un souffle monter, celui du destin, pour pousser Mark Cavendish, petite boule turquoise qui se déplaçait dans la masse avec la fluidité d’un félin, sur la route de sa félicité, qu’il s’ouvrit d’un coup de cutter en diagonale de droite à gauche de la chaussée. Cette victoire avec un vélo d’avance, comme au temps de sa tyrannie, cette chaîne qui saute au passage de la ligne, comme cela lui arrive souvent dans les grandes occasions, et tout le monde qui déraille avec lui. Un succès chirurgical, à l’image de ce record de 35 victoires dans le Tour de France qui lui permet de dépasser Eddy Merckx pour l’éternité, mais aussi une chaleur, celle qui l’enveloppa à l’arrivée.

Tout le peloton défila pour le saluer, l’étreindre, comme on attend avec solennité pour embrasser les mains d’un pape, d’un souverain, de ceux qui l’ont accompagné toute sa carrière, ses amis, ses équipiers, à ceux qui avaient encore des petites roues à leur vélo quand il remportait son premier sprint dans le Tour, en 2008, à Châteauroux. C’était il y a seize ans et d’y penser nous a pincé le coeur, car nous avons tous un peu grandi, vieilli avec Mark Cavendish, témoins privilégiés du règne du plus grand sprinteur de l’histoire.

Du sale gosse 
des débuts au père 
de famille apaisé, 
du hooligan au moine

Nous avions laissé le Britannique il y a un an dans une ambulance, son visage qui coulait de chagrin, et nous avions pleuré avec lui cette sortie du Tour triste, injuste au regard de sa carrière incroyable, et qu’on pensait à l’époque définitive. Il avait finalement décidé de rempiler cet hiver, obsédé par cette quête du record. Serait-ce la ronde de trop, aveuglé par ce désir de regagner sur le Tour ? On pouvait le penser alors qu’il effectuait un début de saison en sous-marin et un début de Grande Boucle en souffrance, qu’il démarra samedi en vomissant dans les premières bosses du parcours.

Mais à chaque fois qu’on a cru que Cavendish n’en était plus capable, il nous a donné tort. Sans doute parce qu’il faut être un champion pour comprendre ce degré d’abnégation, d’abandon pour une cause, un objectif. Une concentration extrême qui a toujours propulsé le “Missile” de l’île de Man, mais sous des formes diverses. À la frénésie des premières années, à la boulimie de victoires et de vitesse, ont succédé une quête plus lente, la patience, la maturité. À la violence a succédé la paix. Et c’est avec beaucoup de tendresse que beaucoup l’ont observé cheminer, du sale gosse des débuts, détesté, petite peste qui dégommait ses adversaires dans les sprints et signait ses victoires de doigts d’honneur, au père de famille apaisé, replié sur lui-même et la poursuite de son Graal. D’un hooligan à un moine, prêt à tous les sacrifices, entré dans une forme de retraite, un camp d’entraînement aussi physique que mental, spirituel.

Et il suffit de souligner qu’il lui aura fallu attendre trois ans pour remporter sa dernière victoire dans le Tour de France, la 34e à Carcassonne en 2021 pour égaliser avec Merckx, la 35e hier, pour comprendre le degré d’acharnement qui l’a animé, alors qu’il a désormais 39 ans.

Ce Tour met en lumière 
des coureurs 
qui rassemblent 
autour de leur conquête

Certains le voient déjà remporter d’autres sprints dans cette édition, mais cela n’a plus aucune importance, sa révérence est désormais réussie et d’autres victoires ne changeront plus rien, du futile face à l’histoire. Cavendish est un immense personnage du Tour de France, il l’a incarné, ce qui est rarement donné à ceux qui ne domptent pas ses montagnes ou brillent sur ses routes avec le maillot jaune.

À l’image de ces sites qui ne résonnent en nous que parce qu’ils ont été le théâtre de batailles napoléoniennes, on se souviendra de toute une constellation de villes, sous-préfectures, qui ont été des lieux de triomphe de Cavendish, Issoudun, Saint-Fargeau, Gueugnon, jusqu’à Saint-Vulbas, donc.

Cavendish et le Tour de France se sont mutuellement magnifiés et c’est le privilège des très grands champions. On aurait dû sentir qu’il aurait son opportunité dans cette édition qu’on croirait écrite par des scénaristes de téléréalité tant, depuis le départ de Florence, elle met en lumière des coureurs qui rassemblent tout le monde autour de leur conquête, comme Romain Bardet et Biniam Girmay avant Cavendish, et distille un bonheur, une euphorie collectifs.

Au rang des astérisques de cette journée pour l’histoire, on notera que Mattéo Vercher et Clément Russo ont été les deux échappés du jour, mais qu’il n’y avait pas de place pour tromper la vigilance des équipes de sprinteurs. Que Mads Pedersen est tombé dans le sprint et que Jasper Philipsen, 2e, est toujours fanny. Mais surtout que Tadej Pogacar a bien failli tout perdre. À 58 km de l’arrivée, le Maillot Jaune a évité de justesse un îlot directionnel, grâce notamment à ses talents de pilotage, et derrière, six coureurs, dont Pello

Bilbao, sont eux tombés. Une frayeur et un avertissement pour la suite. L’histoire se joue parfois à un détail, à une pièce qui tombe d’un côté et pas de l’autre. Pogacar n’a qu’à demander à tonton Cavendish.

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