Une année dingue


De sa retraite annoncée et de sa chute à Limoges en 2023 à sa 35e victoire d’étape sur le Tour hier, Mark Cavendish a vécu douze mois à l’image de sa carrière, pleins de hauts et de bas.

4 Jul 2024 - L'Équipe

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL - YOHANN HAUTBOIS
Une année dingue

SAINT-VULBAS (AIN) – Perdu dans les gorges verdoyantes et humides de Chailles, ce fan anglais, brandissant une pancarte « Cav is king» était probablement un des derniers à croire que Mark Cavendish pouvait dépasser Eddy Merckx et s’imposer une 35e fois sur le Tour de France. On dit bien «dépasser» car, lors du critérium de Monaco en mars, on avait eu l’outrecuidance de demander au Cav’comment il comptait s’y prendre «pour battre le record du Belge ». Silence, regard glacial, vexation évidente : « C’est aussi mon record, j’ai autant de victoires que lui.»

Les relances, ensuite, furent aussi désespérées que vaines, entraînant toujours la même réponse à la question de savoir pourquoi, à 39 ans, il s’infligeait encore cette souffrance: «Parce que j’aime le vélo.» Trois ou quatre fois, il asséna ce qui ressemblait à un élément de langage.

L’obstination du boss

Cinq mois après, sa répartie prend un autre sens et si le Britannique est revenu de tout depuis un an, depuis sa chute au ralenti à Limoges qui l’avait envoyé dans une ambulance et à la retraite – pensait-on, puisque luimême avait annoncé quelques semaines plus tôt qu’il rangerait le vélo –, c’est parce qu’il aime vraiment le cyclisme. « C’est un gars vraiment spécial, rit son ami et entraîneur Vasilis Anastopoulos. Mais tout le monde l’aime car il est totalement dévoué à son sport. Tout ce qu’il fait, c’est à 100%, il veut que tout soit parfait. Il travaille comme personne d’autre et lui seul méritait ce record.»

Rien ne fut simple, pourtant, et tout se joua le 8juillet 2023, à Périgueux, dans la chambre d’hôpital où il avait été transféré pour être opéré de la clavicule droite. Son orgueil, l’obstination de son patron Alexandre Vinokourov aussi, avaient alors très vite renversé la table. Le soir même, le dirigeant russe d’Astana le convainquait de remettre ça une année de plus, d’aller chercher cette victoire qui le ferait entrer dans l’histoire : «Vous ne prenez pas de risque quand vous prenez un champion et Mark est une légende, soulignait-il. J’ai réussi à le convaincre de revenir encore une fois au Tour pour finir à Paris, ou plutôt à Nice cette année. Il m’a dit OK, pour au moins ne pas avoir de regret.»

Le soutien du cerbère

Un an a passé, Cavendish a repris l’entraînement, changé aussi ses habitudes en se rendant pour la première fois en Amérique latine, en février au Tour du Colombie à la sortie du premier stage en altitude de sa carrière. Il avait eu l’impression de décéder car « pendant deux semaines, je ne pouvais pas respirer» , souriait-il pourtant, heureux de se donner encore une chance. Le champion du monde 2011 avait même remporté la 4e étape, à Zipaquira, avant que son printemps ne se transforme en cauchemar.

Michael Morkov, son capitaine de route et cerbère, s’en souvient: «Après le stage en Colombie, nous avons eu du mal à retrouver la forme, on a connu des moments difficiles aussi sur Tirreno-Adriatico.» Le Cav’ avait terminé horsdélai lors de la 5e étape, deux semaines après son abandon au Tour UAE, situation qu’il connaîtrait de nouveau à Milan-Turin mi mars.

Le Britannique s’est accroché, a gagné une étape du Tour de Hongrie en mai, amélioré son foncier lors du Tour de Suisse en juin et «à l’approche du Tour, on a fait un super camp d’entraînement, on a senti que notre niveau s’améliorait et nous savions que nous arrivions ici pour gagner» , assurait le Danois.

Au point de devenir une obsession, de tout sacrifier pour un seul homme comme lors des deux premières étapes en Italie où Astana a sauvé le soldat Cavendish? «Je n’ai pas ce sentiment, opposait Morkov. Mark avait plutôt l’obsession de démontrer à tous ceux qui ne croyaient pas en lui qu’il pouvait encore gagner sur le Tour. Gagner 35 victoires, c’est fou. Mais le faire à 39 ans, 16 ans après sa première victoire, c’est encore plus fou. Je n’ai jamais douté de lui, il a quelque chose de spécial en lui, que je ne vois pas chez beaucoup d’autres coureurs. Quand l’équipe peut l’amener dans la meilleure position, il sent la victoire et il gagne, comme aujourd’hui ( hier). »

«Le travail a payé, soufflait Vinokourov. Pas grand monde n’y croyait au début du Tour mais Mark est comme ça: il fixe des objectifs et ce qu’il vient de réaliser est magnifique. On croyait à ce rêve. C’est fou, c’est un grand moment.» Qui a arraché des larmes à son entraîneur depuis ses années Quick Step (2021-2022), Vasilis Anastopoulos, gorge nouée et mots au compte-gouttes: «Vous savez, ce qu’il réalise à 39ans, avec la pression de toute une année, un début de saison facile… Mais jamais, jamais, on n’a pensé qu’il n’y arriverait pas.»

La revanche de l’épouse

«Ce sont des victoires différentes de Merckx, insistait Dmitriy Fofonov, son directeur sportif. Avec ce record, il n’enlève rien à Merckx mais il entre dans l’histoire comme le meilleur sprinteur du monde. Tous les champions sont spéciaux, il est comme il est.» Grognon avec les médias parfois, capable de les embrasser comme hier, de demander « à qui est ce gamin trop mignon » venu lui demander un autographe.

« Chiant » , dirait aussi son épouse devant le car de l’équipe au moment d’afficher la revanche familiale: «Lundi, tout le monde se demandait pourquoi il était revenu sur le Tour, qu’il était trop vieux, qu’il aurait dû faire preuve de dignité, bla-bla-bla… Mais les gens doivent savoir que, quand ce n’est pas possible, cela le devient avec Mark.»

***

2008 - 4 victoires 
5e étape, Châteauroux. Il a 22 ans. Le matin, il dit à son équipe : « Je ne vois aucune raison qui pourrait m’empêcher de gagner aujourd’hui. » Il devance Freire (masqué) et Zabel (à droite).


2009 - 6 victoires 21e étape, Paris.
Le Britannique fait coup double avec une première victoire sur les Champs-Élysées, au sprint devant son équipier Mark Renshaw et une sixième étape dans le même Tour, un record. Mais il laisse échapper le maillot vert, qui revient à Thor Hushovd.



2010 - 5 victoires
5e étape, Montargis. « Le Cav n’y arrive plus », a titré « L’Équipe » du jour. Après une saison ratée et des polémiques autour de sa personnalité, Cavendish répond sur le vélo en s’imposant devant l’Allemand Gerard Ciolek (à gauche) et fond en larmes sur le podium.


2011 - 5 victoires
5e étape, cap Fréhel. Le profil de l’arrivée en faux plat montant ne lui convient pas mais, après une étape marquée par les chutes, Cavendish surprend le favori du jour, Philippe Gilbert (à droite) et le maillot vert espagnol, José Joaquin Rojas. Une victoire qu’il dédie à sa petite chienne Amber, décédée
 trois jours avant.


2012 - 3 victoires
20e étape, Paris. Abandonné par ses coéquipiers occupés à protéger le maillot jaune de Bradley Wiggins, Cavendish a dû lutter seul pour être encore en course à Paris. Il s’impose pour la quatrième fois sur les Champs-Élysées, avec le maillot de champion du monde sur le dos.


2013 - 2 victoires
5e étape, Marseille. Le Britannique s’impose devant Edvald Boasson Hagen (à droite) et Peter Sagan, sous les yeux d’André Darrigade, qu’il a rencontré la veille à l’initiative de « L’Équipe ». « On a près de soixante ans de différence mais la même manière de penser, le même langage, celui du sprint», raconte-t-il.


2015 - 1 victoire
7e étape, Fougères. Après deux ans difficiles chez Quick Step, le Britannique doute. « Il avait toujours besoin d’être rassuré », dit son coéquipier Sylvain Chavanel. Il se libère enfin sur le Tour en dominant André Greipel (en vert), Peter Sagan (à droite) et John Degenkolb.


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