Perdre plus pour gagner plus
Le champion du monde en titre Mathieu van der Poel arrive affûté comme jamais sur la course en ligne, allégé d’un kilo pour tenter de faire le match avec Tadej Pogacar.
Une stratégie qui peut fonctionner.
29 Sep 2024 - L'Équipe
PIERRE MENJOT
Perdre plus pour gagner plus
Zurich (SUI)– À l’heure où le summer body n’est déjà plus qu’un lointain souvenir pour beaucoup d’entre nous, en voilà un qui arrive affûté comme jamais. Il y a quatre semaines, une publication de Mathieu van der Poel sur Instagram faisait le bilan de son été. La paëlla, les palmiers, le golf, la coupe mulet… Et une silhouette taillée à la serpe, surtout, avec cette légende: «Prêt pour la dernière partie de la saison.» Après les Jeux Olympiques (12e), le Néerlandais de 29ans, qui mesure 1,84m pour officiellement 75kg, s’est tourné totalement vers la course en ligne des Mondiaux de Zurich, pour défendre au mieux son titre acquis à Glasgow il y a un an. Et n’a pas hésité à perdre du poids pour s’adapter aux caractéristiques du circuit suisse. Mathieu van der Poel, à l’entraînement cette semaine sur les routes suisses, est apparu particulièrement fin. le fruit d’une préparation pointue avant de remettre son titre en jeu, aujourd’hui.
Est-ce une rareté ?
Beaucoup de coureurs perdent un peu de poids durant la saison, notamment entre la période des classiques et le Tour de France, quand les stages en altitude de mai permettent d’éliminer le kilo (ou, plus rarement, les kilos) nécessaire(s). « Le poids de forme peut être différent entre le début d’un grand Tour et le départ d’une classique, une sorte de ligne avec laquelle vous jouez à 500 grammes, un kilo » , précise Frédéric Grappe, directeur performance et innovation chez GroupamaFDJ. Valentin Madouas, coureur de la formation française, est ainsi passé cette année « de 73,5 kg à environ 72 pour le Tour. Mais ça se fait naturellement», assure le champion de France 2023, qui travaille avec le nutritionniste de l’équipe.
Le Breton a croisé van der Poel en course ces derniers jours et «ne voit aucune différence sur son physique de coureur, si ce n’est un peu de muscle du haut du corps». Les médias flamands ont évoqué 1,5kg en moins. «Il est un peu plus affûté qu’il l’est normalement au printemps, c’est vrai, a lâché à WielerFlits Christoph Roodhooft, son manager chez Alpecin-Deceuninck. C’est sa manière d’essayer d’aborder cette course d’un jour si spéciale dans la meilleure condition possible.»
Quel gain pour le Mondial ?
Car l’idée est la suivante: sur un circuit avec 470 mètres de dénivelé (pour un total de 4 470 m) dessiné pour puncheurs-grimpeurs, le double vainqueur de Paris-Roubaix pourra exister plus longtemps. «Le parcours de Zurich est très particulier, avec très peu de plat, ils vont passer la quasitotalité des six heures, six heures trente de course en prise (à pédaler), pose Frédéric Grappe. Le poids du corps va être l’une des principales forces à vaincre. Un kilo en moins, sur des pentes à 7% et à puissance stable, c’est, en gros, entre 4 et 5 watts. Le coureur cycliste est un réservoir énergétique et, idéalement, il passe la ligne d’arrivée en utilisant la dernière goutte, dans le cas d’une course d’un jour. Donc imaginez ces 5 watts économisés pendant trois heures, cela peut servir en fin de course. » À l’image d’une voiture, qui, avec la même quantité d’essence, pourra aller plus loin si elle est vide que si elle est chargée.
Il y a le long terme, mais aussi le très court terme. «Quand il va falloir accélérer, si vous faites un kilo de moins, avec la même quantité d’énergie vous allez accélérer plus vite et durer plus longtemps, explique le directeur de la performance. C’est pour ça que, sur un parcours comme celui-là, le poids est un facteur de la performance, c’est clair. » De là à faire jeu égal avec Tadej Pogacar sur les attaques du Slovène ? La course le dira.
Y a-t-il des risques ?
Sur le papier, la méthode est donc simple : adapter son poids en fonction du parcours proposé, quitte à descendre sous son poids de forme habituel sur des échéances aussi décisives qu’un Mondial. Mais attention. «Là, on peut jouer car on est sur une course d’un jour, mais le problème à trop maigrir, c’est que vous pouvez perdre de la protéine, de la masse musculaire, de la puissance, prévient Grappe. Le poids de forme est lié à votre charge d’entraînement, à l’alimentation, au stress chronique qui joue beaucoup, et cette gestion est très particulière, chaque athlète ayant des réponses différentes. C’est le bénéfice-risque: si vous tirez trop sur le poids de forme et que vous vous retrouvez trop en dessous, vous jouez sur vos réserves énergétiques. Et si vous basculez de l’autre côté, c’est foutu.» Avec le danger de ne pas avoir assez pour tenir les 273,9 kilomètres du jour.
Pour van der Poel, les premiers signaux sont positifs. Après une reprise en douceur au Renewi Tour puis un gros travail sur la course en ligne du Championnat d’Europe (30e), l’homme aux cinquante victoires pros est monté d’un cran au Tour du Luxembourg (18-22septembre), vainqueur de la première étape (devant Christophe Laporte), solide sur le chrono de 15,5 kilomètres et 2e d’un classement général qu’il aurait sans doute remporté si son équipe Alpecin n’avait pas été décimée par la maladie. Des résultats à nuancer, bien sûr, avec une adversité bien en deçà de celle qu’il affrontera aujourd’hui mais pour laquelle il s’est préparé si spécifiquement.
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« VDP » est celui qui aura porté le maillot arcen-ciel le plus longtemps : FAUX
En portant le maillot de champion du monde treize mois contre douze habituellement (la dernière édition à Glasgow avait été avancée au mois d’août), le Néerlandais aurait pu connaître le règne le plus long entre deux Mondiaux.
Mais c’est le Belge Marcel Kint qui détient de loin ce record de longévité, bien malgré lui. Sacré en 1938 à Valkenburg, il aurait dû remettre son titre en jeu l’année suivante à Varèse mais en arrivant en Italie, toutes les sélections nationales furent priées de plier bagage: la guerre venait d’être déclarée.
Ce n’est qu’en 1946 qu’eurent lieu les Mondiaux suivants. Kint rata de peu le doublé (2e derrière le Suisse Han Knecht à Zurich) mais il avait pu profiter de son maillot pendant la guerre car certaines courses étaient encore organisées. Il raconta avant sa mort (en 2002, à 87ans) cette expérience inédite: «Je ne le mettais pas sur toutes les courses pour ne pas l’user, je portais plus souvent le Mercier. Ça m’a permis de le garder presque intact pour le montrer à mes petits-enfants.»
C’est ainsi qu’il remporta Paris-Roubaix en 1943 comme Mathieu Van der Poel en tant que champion du monde mais sans porter son maillot arc-en-ciel ce jour-là.
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5 - Mathieu van der Poel a remporté cinq victoires avec le maillot arc-en-ciel: le Super 8 Classic, le GP E3, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix et une étape du Tour de Luxembourg.
49 - Il est le premier champion du monde en titre à remporter deux monuments la même saison avec le maillot arc-en-ciel depuis Eddy Merckx il y a 49 ans, vainqueur de Milan-San Remo et du Tour des Flandres en 1975.
41 - Il a effectué jours de course en tant que champion du monde. Ce qui est très peu : au XXIe siècle, les champions du monde ont couru en moyenne 66 jours avec leur maillot arc-en-ciel.
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