Une course contre les chutes


Les accidents dans le cyclisme moderne ne sont pas forcément plus nombreux qu’avant, mais ils causent beaucoup plus de dégâts. Pourquoi ? Et comment limiter les risques ? Voici quelques éléments de réponse.

5 Apr 2024 - L'Équipe
GAÉTAN SCHERRER (avec L. He. et P. Me.)

Nombreux sont les coureurs qui ont assisté, horrifiés devant leur écran de télévision, au terrible « strike » qui a envoyé quelques-uns des plus grands noms du peloton à l’hôpital, hier sur le Tour du Pays Basque (lire pages 2-3). Romain Bardet, actuellement en stage à Tenerife (Espagne), était de ceux-là. Et le coureur de 33ans, lui-même pris dans une chute et victime d’une commotion cérébrale le mois dernier sur Tirreno-Adriatico, ne cache pas son inquiétude. « La situation devient préoccupante car la tendance est générale: maintenant, dès que ça tombe, c’est un crash total, déplore-t-il. Quand ça passe, je me dis que le cyclisme est un miracle permanent, mais quand ça ne passe pas, les conséquences sont terribles. On n’a plus du tout droit à l’erreur. Franchement, ça fait peur. » « Je ne reconnais plus mon sport », s’est même inquiété Rudy Molard hier sur les réseaux sociaux en appelant à « une prise de conscience générale du danger » . Car celui-ci ira en s’aggravant si des mesures concrètes ne sont pas prises pour limiter ces prises de risque grandissantes, inhérentes à l’évolution du cyclisme professionnel.

Toujours plus vite

Le premier constat, limpide, est que l’augmentation récente et significative de la vitesse moyenne des courses accroît la gravité des carambolages : on ne bat pas de manière quasi-systématique les records de vitesse des grandes épreuves (la preuve avec Milan-San Remo et le Tour des Flandres cette saison) sans conséquence. « C’est la principale cause du problème, note Valentin Madouas. L’évolution des braquets est hallucinante, chaque année on monte d’une dent. Quand je suis passé pro (en 2018), tout le monde était sur du 53 x 11 mais on est vite passé au 54 et aujourd’hui, sur les étapes toutes plates, tu es obligé de mettre du 56 si tu veux suivre. Avant, ce n’était que les sprinteurs, mais maintenant, c’est tout le monde : les rouleurs, les leaders, les équipiers… » Pour Thierry Gouvenou, ancien coureur en charge notamment du tracé du Tour de France, l’explosion des vitesses a atteint un tel niveau que « ce n’est presque plus du vélo ».

L’autre point d’achoppement souvent évoqué par les membres du peloton, corolaire de la vitesse, concerne les freins à disque, problématiques à bien des égards puisqu’ils permettent aux coureurs de freiner plus tardivement qu’avec des patins: ils prennent plus de risques et quand ils chutent, le font donc à plus haute vitesse avec des machines plus lourdes. Et puis, les temps de freinage ont beau être raccourcis, « tu n’as de toute façon plus le temps de voir le danger venir puisque qu’on roule toujours à au moins soixante tous collés les uns aux autres, note Madouas. À la moindre faute, c’est l’assurance qu’un gros tas se forme » .


Et le risque qu’un drame survienne, car « les freins à disque coupent comme des rasoirs, assure Bardet. Quand ça tombe comme ça, c’est la roulette russe. »

Toujours à la limite

Beaucoup de coureurs, comme Pello Bilbao, s’attendaient cette année à un Tour du Pays basque « plus propre, moins dangereux » , car couru sur des routes moins étroites que d’ordinaire. Mais le natif de Guernica ne pouvait que constater l’ampleur des dégâts hier soir, après l’arrivée. « Je crois qu’il faut qu’on réfléchisse nous, cyclistes, a lancé le vainqueur d’étape sur le dernier Tour de France. Peut-être que c’est nous qui créons le danger. Il faut envisager différemment la manière de faire la compétition. » Le Basque touche là à un sujet épineux, qui est pourtant au coeur du problème : l’évolution du comportement des coureurs, conséquence elle aussi de la course à l’armement qui caractérise le cyclisme moderne.

« Cela peut sembler paradoxal mais aujourd’hui, tous les mecs ont une telle maîtrise de leur vélo qu’ils cherchent inconsciemment à atteindre certaines limites qu’ils n’osaient pas imaginer avant, explique Bardet. Avant, avec les patins, sous la pluie, tu étais sur la retenue, tu laissais une marge de sécurité. Plus maintenant. Avoir confiance en son vélo pousse à commettre des fautes. »

« Il a raison, dit Madouas. Les vélos sont beaucoup plus maniables qu’avant. Il n’y a quasiment plus de casse matériel : tout est plus sûr, le grip des pneus est excellent. Les chutes sont dues à des erreurs humaines, pas à des problèmes mécaniques. » La clé résiderait donc dans le juste dosage du risque, mais dans un sport où il y a parfois de la nervosité à 150 kilomètres de l’arrivée, le chantier est vaste. « Le risque constitue l’essence même de la course cycliste, convient Bardet. Bien sûr qu’il y a des limites à ne pas franchir. Il faudrait juste qu’on se mette tous d’accord : lesquelles ? »

Et maintenant ?

Parce qu’il est multifactoriel, le problème est difficile à régler. Madouas propose d’instaurer un braquet maximum pour endiguer la course aux dents, « sinon dans deux ans tout le monde sera à 58x11, c’est une évidence » , pose-t-il. Bardet suggère, lui, une signalétique encore renforcée, notamment sur certaines épreuves qui en ont bien besoin. « Ce qu’on peut voir sur le Tour de France, il faut le rendre automatique partout, dit-il. Je n’ai jamais vu de comportement dangereux d’un coureur dans un virage bien signalé, avec un mec qui siffle ou un panneau avec un signal sonore. Ça demande plus de logistique, plus d’infrastructures, mais vu la tournure que prennent les choses, il faut y réfléchir. »

Certains managers continuent de militer contre vents et marées pour la fin des oreillettes, mais la grande majorité du peloton estime qu’elles permettent d’éviter davantage de dégâts qu’elles n’en causent. « Il faut nous laisser les rênes de la course dans le feu de l’action, soutient néanmoins Bardet. On se retrouve souvent dans des situations de stress extrême pour rien. Les oreillettes créent des coureurs robotisés, téléguidés, et des situations de danger artificiel. » C’est aussi le cas des compteurs, sur lesquels les équilibristes ont parfois leur regard un peu trop rivé en course. « Aujourd’hui, le coureur sur son vélo, il est comme un mec dans sa bagnole qui a son téléphone avec Waze et ses écrans, peste Madiot. On n’est pas concentrés de la même façon que quand on a rien du tout.


Mais tout ça, ce sont des batailles perdues. » Au début des années 2000, le port du casque obligatoire était aussi considéré comme une hérésie. C’était avant qu’Andreï Kivilev ne décède des suites d’une chute en course. Puisse-t-on ne pas devoir en passer par là.

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