JO - Une cérémonie d’ouverture tout fleuve tout flamme
Un parcours de 6 km, 306 000 spectateurs, 3 000 artistes… Le lancement des Jeux en grande pompe sur la Seine ce vendredi à 19 h 30 concrétise sept ans de réflexion, de mises à l’épreuve et de secret à tous les étages.
26 Jul 2024 - Libération
par Laure Bretton Photos Denis Allard
Aquoi reconnaît-on une cérémonie d’ouverture «historique et iconique», les deux mots fétiches du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) de Paris 2024, où l’emphase atteint à peu près le même niveau que l’enjeu ? Aux 44000 grilles déployées le long de la Seine depuis une semaine. Certes. Aux jets privés qui débarquent leurs brochettes de célébrités pailletées sur le tarmac du Bourget depuis quelques jours. Aussi. Aux milliers de gradins pavoisés de bleu et de rose vissés ces derniers jours sur les ponts et les quais de la capitale. Bien sûr. Mais pour les organisateurs, il y a un signe bien plus prosaïque de l’imminence de ce show hors normes.
Météo capricieuse
Depuis la fin du mois de juin, de la Seine-et-Marne aux Yvelines, impossible de mettre la main sur le moindre protège-câbles, ces petites arches en caoutchouc qui empêchent de trébucher sur les fils électriques dans les festivals et les kermesses. «On a téléphoné partout, les mecs ont bien rigolé en nous disant que tout est booké par le Cojop depuis des lustres», se marre Mathieu Hanotin, le maire de Saint-Denis, l’un des épicentres olympiques des deux prochaines semaines. Vu la taille de la kermesse, on comprend: des scènes installées sur 6 km le long du fleuve, des ponts à équiper de tribunes pour 306 000 spectateurs ou de décors pour les 3 000 artistes, 94 navires à sonoriser, des centaines de lasers à installer même si «notre première lumière sera le soleil», veut croire, en scrutant la météo capricieuse, le metteur en scène Thomas Jolly (lire ci-contre), à la baguette de cette cérémonie «géante mais humble». Un oxymore?
Avant d’en arriver à spéculer sur Lady Gaga ceci ou Céline Dion cela, il y aura eu sept ans de réflexion. Une cérémonie d’ouverture hors les murs, c’est dans l’air du temps depuis les Jeux olympiques de la jeunesse à Buenos Aires en 2018, 200 000 personnes dans la rue sans anicroche. Dépoussiérer les JO, ça fait des gargouillis de bonheur dans le ventre d’un Comité international olympique (CIO) vieillissant. A la mairie de Paris aussi, l’idée flotte depuis un bail. Mais en juin 2017, quand le comité de candidature de Paris installe une piste d’athlétisme sur l’eau au niveau du pont Alexandre-III pour impressionner les membres du CIO, «ça fait tilt dans la tête de tout le monde mais surtout de Thierry Reboul, qui a eu cette idée-là et qui se dit qu’on pourrait la reproduire en 2024, puissance cent», se souvient l’ancien judoka Thierry Rey, membre du Cojop et chargé des grands événements sportifs français entre 2012 et 2016. Exit les ChampsElysées – trop Jean-Paul Goude et bicentenaire de 1789 – et le Stade de France – so Coupe du monde 1998. Paris décroche les JO. Venu de l’événementiel et de la pub, Reboul devient directeur des cérémonies du Cojop, le navire vogue.
«Avant de dire quoi que ce soit, vu la folie du truc, on a travaillé un an sur la faisabilité au sein de quatre groupes de travail sur la sécurité mètre par mètre, les bateaux, les tribunes et les quais hauts», relate Pierre Rabadan, adjoint d’Anne Hidalgo chargé des JOP. Mis dans la confidence par Tony Estanguet, Emmanuel Macron vend la mèche à l’automne 2020, dans l’Equipe, avant de l’officialiser aux Jeux de Tokyo.
Mais il y en a un à qui cette idée file des boutons, c’est Didier Lallement, le rigoriste patron de la préfecture de police de Paris de l’époque. «On a réceptionné cette initiative de cérémonie sur la Seine qui était déjà validée par le président de la République avant qu’on ait fait la moindre étude de faisabilité car il trouvait ça beau, fun et grandiose – ce qui est vrai par ailleurs», se souvient un ponte de la préfecture ayant assisté aux réunions au printemps 2020. Ils s’escriment à tout vérifier. Ce vendredi, des sonars patrouilleront dans les eaux, des hélicoptères dans les airs et 45 000 policiers et gendarmes dans les rues. Un déploiement que la presse internationale qualifie de «plus grosse opération de sécurité depuis la Seconde Guerre mondiale».
Pas de trace écrite
Le culte du secret a perduré jusqu’au dernier moment au Cojop, à la mairie et dans les deux préfectures, de Paris et de la région Ile-de-France. Jusqu’à aujourd’hui, on compte sur les doigts de quatre mains les personnalités qui savent tout de A à Z sur la cérémonie. Pour éviter toute fuite, il a été interdit aux différents services du Pulse, le siège du Cojop à Saint-Denis, d’échanger des mails avec pièces jointes sur le moindre morceau de projet. Et quand, finalement, on accepte de lever une partie du voile (une minute de chorégraphie fin juin pour un spectacle qui va durer près de quatre heures), on s’en parle par téléphone. Pas de trace écrite.
Côté artistes, même mayonnaise : à défaut de contrats de travail rémunérés, ils ont signé de roboratives clauses de confidentialité, ont bossé leur danse par visio pendant plusieurs mois et ne connaissaient nd jusqu’à la mi-juillet que leur partie du spectacle, composé de douze tableaux. Que Thomas Jolly, l’homme d’Henry VI et de Starmania, recruté par Reboul, adoubé par Macron, a peaufiné pendant presque un an avec quatre co-auteurs, l’historien Patrick Boucheron, l’auteur et dramaturge Damien Gabriac, l’écrivaine Leïla Slimani et la scénariste Fanny Herrero, celle qui a inventé la série Dix pour cent. En mars 2023, d’autres ont rejoint le paquebot: Maud Le Pladec pour la danse, Daphné Bürki pour les costumes, Victor Le Masne pour la musique. Bossant sur un principe de base : mélanger les athlètes et les artistes, le show olympique et le spectacle. Si on ne devrait pas échapper ce vendredi soir à de l’accordéon baguette, certains ont cru voir dans un extrait télé montrant un voleur encapuché une référence au jeu vidéo Assassin’s Creed.
Rendu en juin 2023, le projet passe à la moulinette «réalité». Dans le script, par exemple, la passerelle Debilly, près du Palais de Tokyo, devait accueillir 200 danseurs et leurs scansions corporelles. Retoqué.
«Trop d’ondulations induites», a tranché la commission de sécurité après son «étude de résonance». Même pas mal. «Toutes les idées qui ne voient pas le jour, c’est qu’elles n’étaient pas assez fortes», relativise Thomas Jolly.
Filages in situ
Il a fallu donc jouer avec l’existant et installer le spectacle sur les berges et les ponts, pas sur les bateaux, réservés aux sportifs. Sont enrôlés comme décors de Paris 2024, le toit du Grand Palais, le pont des Arts, la tour Eiffel, le chantier de NotreDame. Entre autres. Depuis dimanche soir, les filages se font in situ après des mois de répétitions par petits bouts, sur des bras de la Marne et de la Seine. Mais «on n’a pas recréé 6 km de rivière quelque part, ne cherchez pas», prévient Jolly, de plus en plus émacié à l’approche du D-Day. Les artistes –musiciens, acrobates, danseurs, comédiens mais aussi gymnastes des sapeurs-pompiers de Paris ou skateurs professionnels – s’entraînent en vrai, fournissant autant de teasers gratuits au monde par le biais des comptes Instagram des passants. «Ils font la com qu’on ne fait pas, c’est parfait», sourit-on au Cojop, où l’on prend bien soin de ne confirmer aucune des stars dont les noms ont fleuri dans la presse. Mais on a pu voir un piano flotter sur la Seine, qui devrait être pour le soliste Sofiane Pamart et la chanteuse Juliette Armanet, un orchestre de cuivres perché sur le Théâtre de la Ville ou des danseurs patauger dans des bacs d’eau devant la façade grisouille de l’Hôtel-Dieu, parée de doré pour l’occasion. Près du Louvre, trois grands visages émergent de la Seine, dont le regard espiègle d’une des joueuses de cartes du tableau le Tricheur à l’as de carreau de Georges de La Tour. Une reproduction (miniature) des jardins de Versailles flotte côté VIIIe arrondissement et le pont d’Austerlitz semble habillé d’un grand lycra marron et doré. Mercredi soir, les équipes de Reboul et Jolly ont procédé au dernier filage : 3 h 45 de spectacle pour voir ce qu’il fallait ajuster, notamment la vitesse d’avancement des bateaux dans les eaux capricieuses de la Seine. Chaque bateau descendra les 6 km en 45 minutes. Après ce printemps record de météo pourrie, Thierry Reboul plaisante : «Je peux écrire un bouquin sur le débit des fleuves.» La cérémonie débutera à 19 h 30, les athlètes embarquant par des pontons flottants côté Bercy sur 85 bateaux (pour 206 délégations). La Grèce, c’est la tradition, ouvrira le défilé fluvial. Les Français clôtureront la marche à bord du navire baptisé Paquebot.
Et le reste, tout le reste ? L’identité des invités de marque et des derniers relayeurs dont celui ou celle qui enflammera la vasque installée aux Tuileries ? On sait juste que ce sera entre 23h30 et minuit et que le mystère a été concocté par Tony Estanguet himself. A vingt-quatre heures du but, le triple médaillé olympique consulte frénétiquement ses applis météo. Comme tout le monde à l’Elysée et à la mairie de Paris. Mardi, lors d’un pince-fesses à l’hôtel de Ville, on interroge Anne Hidalgo sur l’éventail, large, des risques, de la sécurité à la météo. Des nuages vendredi? «C’est la Sainte-Anne, j’espère qu’ils seront gentils avec nous.»
LIBÉ.FR
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