L'INCROYABLE POGACAR


Tadej Pogacar a remporté son premier titre de champion du monde àà ZurichZurich, après avoir attaqué à plus de 100 kilomètres de l’arrivée. Déjà vainqueur du Giro et du Tour, le Slovène réussit un triplé inédit depuis 1987.

Pogacar a pris le risque de sauter dans le vide, ses rivaux n’étaient pas prêts à le faire
Il a remporté un Mondial sans courir à la perfection, ce qui dit beaucoup de la marge qu’il possède sur le reste du monde

30 Sep 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL ALEXANDRE ROOS

Tadej Pogacar a remporté une merveille de Championnat du monde d’un coup de folie initié à 101 km de l’arrivée. Le dernier chef-d’oeuvre, au bout d’une des plus grandes saisons de l’histoire, d’un champion dont on ne connaît toujours pas les limites. ZURICH (SUI) – Nous étions tous des victimes consentantes hier au départ, poupées de chiffon sans défense prêtes à être balayées par le souffle d’une course que nous sentions électrique, mais tout de même, nous n’avions pas signé pour trois heures d’une opération à coeur ouvert qui allait nous laisser dans un état végétatif, complètement assommés. Notre cerveau ressemblait à une pièce saccagée par une meute de chiens de talus dont on tentait de remettre chaque élément à sa place. Oublions un temps l’histoire,leskilomètres,lesstratégies et tentons de garder avec nous un morceau de cette pure folie, de cette furie, du bourdonnement, car il est rare de goûter à quelque chose qui se rapproche tant de la beauté absolue, de l’essence du cyclisme en général et d’un Championnat du monde en particulier.

Cette édition a été une course pour l’histoire en partie parce qu’elle a été un chef-d’oeuvre d’imperfections, que tout y est un peu parti de travers et qu’à partir de là, nous avons assisté au spectacle de funambules qui tentaient de rester sur leur fil, de maintenir en vie la petite flamme vacillante de leurs espoirs. Un immense foutoir dans lequel on laissait vagabonder des cyclistes en état de grâce, libres, dans le refus des convenances, des règles, libérés de la muselière des briefings d’avant course, des oreillettes, qui se battaient juste pour leur survie. Un dernier tour de circuit d’une brutalité féroce, où l’aiguille de l’écart entre Tadej Pogacar et les autres oscillait entre 35 secondes et une minute, un sommet de tension, de suspense, qui a mis en relief un vainqueur majestueux et des perdants magnifiques. Évidemment, le nouveau champion du monde est le grand responsable du bazar, c’est lui qui a mis ce Mondial sur les rails du grand n’importe quoi, le sale gosse qui ne peut pas attendre minuit au Nouvel An avant d’allumer le premier pétard. Le Slovène a attaqué à 101km de l’arrivée – je répète : à 101 km de l’arrivée –, et, à ce moment-là, seuls Quinn Simmons et Andrea Bagioli ont pu tenter d’agripper sa roue, mais ils voltigeaient comme des cerfs-volants dans son sillage et la ficelle n’a pas tardé à rompre.

Pogacar put alors se rendre compte du délire dans lequel il venait de s’embarquer, de la bêtise qu’il avait commise et qu’il reconnaîtrait après l’arrivée, mais il n’y avait pas de marche arrière, et la situation fut critique à deux reprises. Très rapidement, quand il atterrit sur le groupe à l’avant et qu’il se retrouva dans un entredeux inconfortable. Il ne pouvait pas rester là trop longtemps, car les Belges s’activaient à l’arrière pour tailler dans son avance. Mais s’il décidait de s’envoler seul là, il restait plus de 80km à couvrir, un vertige. Puis à la toute fin, dans l’ultime boucle, quand on voyait ses réserves se vider et lui se recroqueviller sur son cadre, raide comme un bout de bois, traversé de douleurs, et qu’il perdit près de 20 secondes dans les premiers raidards.

Plusieurs leviers lui ont permis de mener cette insanité au bout. Les deux bouffées d’oxygène qui lui ont été offertes par son équipier Jan Tratnik et par Pavel Sivakov, le Français qui court toute l’année à son côté chez UAE, dont la compagnie pendant près d’un tour l’a un peu soulagé (lire cicontre). Et les erreurs de ses adversaires. Tadej Pogacar leur a certes sauté à la gorge avant même qu’ils puissent mettre la main à la poche pour sortir les canifs, mais comment Remco Evenepoel et Mathieu Van der Poel ont-ils pu penser qu’ils pouvaient lui laisser un mètre de liberté? Le Belge a avoué après l’arrivée qu’il pensait alors que c’était un suicide. Pogacar avait pris le risque de sauter dans le vide, ce que ses rivaux n’étaient pas prêts à faire et ce qui leur a coûté la victoire. Ensuite, ils ont bien tenté d’assurer la poursuite, en vain, puis la dureté du parcours a brisé ce qu’il leur restait de main-d’oeuvre. Ils n’avaient plus les moyens de revenir et à partir de là, ce fut du chacun pour soi, ce qui allait nuire à la collaboration, faire râler Evenepoel et aider Pogacar, alors que les Français, autour de David Gaudu et Romain Bardet, tentaient de se reconstruire après l’abandon sur chute, de bonne heure, de Julian Alaphilippe.

Un petit contre avec Oscar Onley, Toms Skujins et cet Oliver Twist de Ben Healy parvint à se détacher à une soixantaine de bornes de l’arrivée, c’était le signe qu’Evenepoel (5e) et Van der Poel, qui n’a cessé de pilonner pour monter sur le podium (3e) juste derrière l’épatant Ben O’Connor (2e), n’avaient pas les opérations en main, une bonne nouvelle pour Pogacar. Le Slovène a donc réparé une anomalie de son parcours en s’offrant à 26 ans son premier titre de champion du monde, une des plus grandes victoires de sa carrière car il a dû lutter pour la conquérir, que l’écart n’a jamais enflé et que ce succès n’a donc été garanti qu’un peu avant la ligne.

Tadej Pogacar a remporté un Championnat du monde sans courir à la perfection, ce qui dit beaucoup de la marge qu’il possède sur le reste du monde, mais aussi sur quel coureur il est, l’esprit qui l’anime, ce mélange de détermination et d’insouciance, un champion absolu qui est resté un gamin, prêt à tout risquer sans perdre sa légèreté, deux facettes qui sont le socle de sa toute-puissance et qui le rendent intouchable. Tadej Pogacar nous avait obligés à convoquer l’histoire dès les Strade Bianche pour sa course d’ouverture, après son raid solitaire de 80km. Six mois et 22 succès plus tard, il a rejoint hier Eddy Merckx et Stephen Roche, les seuls coureurs avant lui à avoir empoché dans la même saison le Giro, le Tour de France et le Mondial. En Toscane, Pogacar avait triomphé sans opposition à sa hauteur. Hier, il a asservi les meilleurs coureurs du monde au bout d’un combat sauvage. Bientôt, il n’y aura plus de références à aller pêcher dans le passé, de comparaisons. L’histoire, désormais, c’est lui.

***

Un coup à 3bandes

LE COUP DE FOLIE (101 km de l’arrivée)


À quatre tours de l’arrivée, dans la première difficulté de la boucle (Bergstrasse), Tadej Pogacar attaque juste après que Quinn Simmons a accéléré, avec Romain Grégoire dans la roue. À ce moment, un groupe de contre solide (avec Sivakov, Cort Nielsen, De Plus, Williams, Tratnik, notamment) possède trois minutes d’avance. Aucun des principaux rivaux de Pogacar ne réagit. Simmons et Andrea Bagioli tentent de s’accrocher mais cela ne dure pas. Le futur champion du monde est rapidement seul.



LE COUP DE MAIN
(96 km de l’arrivée)

Les Slovènes parviennent à faire se relever Jan Tratnik du groupe de contre. Le rouleur attend Pogacar et lui offre un précieux relais. Les deux rentrent sur l’avant de la course 5 km plus loin, à 91 km du terme. Pogacar tente de repartir fissa, mais il se relève rapidement. Il se replace derrière Tratnik, qui grille ses dernières cartouches, mais l’écart fond et à trois tours de l’arrivée, l’avance sur le groupe Evenepoel-Van der Poel n’est plus que de 35 secondes. Tratnik se gare finalement au pied de la nouvelle ascension de Bergstrasse.



LE COUP DE FORCE (78 km de l’arrivée)

Privé de Tratnik, Pogacar accélère immédiatement. Seuls Kevin Vermaerke, un temps, et Pavel Sivakov parviennent à le suivre. Le Français perd un temps le contact, mais il recolle dans la descente (77 km du terme). Les deux hommes de tête vont collaborer un temps, pendant près d’un tour, ce qui va soulager Pogacar mais aussi faire remonter l’écart, à environ 50 secondes. Derrière, Remco Evenepoel n’a plus que Maxim Van Gils comme soutien. Le Belge n’a pas d’autre choix que de se découvrir et il attaque une première fois, à 72 km de l’arrivée. Il ne le sait pas encore, mais il est déjà trop tard. Dès les pentes suivantes, Sivakov mettra la flèche. Il reste 51 km, Tadej Pogacar est désormais seul dans sa quête.

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