La révélation Vauquelin
Kévin Vauquelin hier sur les pentes de Stockhütte
pour la dernière étape du Tour de Suisse.
Et Vauquelin céda
Battu lors du dernier chrono par João Almeida et finalement deuxième du général, le coureur normand s’est démarqué cette semaine par une personnalité et un caractère atypiques.
"C’est un garçon au demeurant adorable mais qu’il a fallu canaliser un petit peu"
- LÉONARD COSNIER, ANCIEN TECHNICIEN
DE LA PISTE AU PÔLE FRANCE DE BOURGES
"C’est un jeune de 24 ans, mais c’est une de mes plus belles rencontres de patron d’équipe"
- EMMANUEL HUBERT,
PATRON D’ARKÉA-B & B HOTEL
23 Jun 2025 - L'Équipe
YOHANN HAUTBOIS
Bruno Vauquelin s’est isolé dans le jardin familial « parce que ma femme va me faire pleurer». Valérie, la mère de Kévin Vauquelin, n’a en effet pu retenir ses larmes en voyant son fils à la télévision, quatrième du chrono et battu par Joao Almeida au classement général. « Elle ne pleure pas parce qu’il a perdu mais parce qu’elle l’a entendu parler.» Devant sa télé, on en connaît un autre, Emmanuel Hubert, le patron d’Arkéa – B & B Hotels, qui a vacillé quand son leader, à peine la ligne d’arrivée passée, a déclaré à La Chaîne L’Équipe: «On ne va pas se mentir, face à des équipes comme UAE, ce n’est pas la même. Cette semaine, on n’avait pas de cuistot, beaucoup moins de moyens, car on est dans une situation financière compliquée, confie le coureur de 24ans.
Pour Manu Hubert, c’est très compliqué. Mais on s’en sort, on montre qu’on est là, que les coureurs et le staff donnent le maximum, et j’espère que nos résultats vont attirer des sponsors. Je me suis construit grâce à l’équipe quand je suis passé pro en 2022, j’ai grandi avec eux. » Rien ne fut simple pourtant pour le Normand, bien que, très tôt, il fût sous les radars chez les jeunes. Mais, en 2020, après avoir tenté l’aventure au centre de formation de Chambéry, il décrocha:
«Le mecqui ledécouvre, c’est Jean-Philippe Yon, un copain depuis plus de trente ans, rappelle Hubert. Un jour, il me dit, “j’ai un minot qui est à Chambéry, il n’est pas très bien, rempli de doutes. Mais il va vite en chrono, sur piste”. J’avais confiance.
Je lui ai dit: “Reprends-le chez toi au VC Rouen, tu lui redonnes les bases, tu lui redonnes le goût au vélo et il vient chez moi.”»
Son père n’a pas oublié cette période critique: «Kévin nous a appelés la veille du confinement, il pleurait. Quand c’est ton gamin, tu y vas, on a fait l’aller-retour. Kévin, il a besoin d’une ambiance. Depuis qu’il est chez Arkéa, il n’a rencontré que des gens sympas, il avait besoin de ça. » Le paternel n’est donc pas surpris par la sortie médiatique du fiston, certes préparée mais sincère: « Il est gentil, il a toujours été comme ça. Il a toujours été reconnaissant de ce que les autres ont fait pour lui.»
Quand Léonard Cosnier, son ancien technicien de la piste au pôle France de Bourges, repense à leur rencontre, il évoque « une aventure mais une aventure positive. C’est un garçon au demeurant adorable mais qu’il a fallu canaliser un petit peu ( rires). » Hyperactif ( « il a voulu faire du tir au pistolet, mais il était trop speed», sourit son père), «dans la lune et impatient» aussi, se souvient Cosnier, aujourd’hui entraîneur au sein de l’équipe développement d’Arkéa : « il a toujours voulu aller vite et en oubliant quelquefois les bases. Mais c’était un diamant brut, clairement un talent. Il a très bien évolué, il a passé les étapes les unes après les autres. » Au prix d’une gestion des émotions qui peut le fragiliser, entre une énorme confiance en lui et des doutes qui l’assaillent ou, en tout cas, dont il se nourrit. Lors du Région Pays de la Loire Tour qu’il a remporté en avril, il avait échangé en course avec son ancien directeur sportif, Yvon Caër: «Quand il passe devant ma voiture, je lui dis “alors, feu d’artifice Vauquelin aujourd’hui?” Il me répond qu’il a mal au psoas. Bon, derrière, il a gagné.» Une cyclothymie pas toujours simple à vivre pour ses proches, il en a conscience. Yon, « son deuxième père» dixit son propre père, appuie le propos: « Il est très exigeant avec les autres, il faut être à la hauteur de sa demande. » Parce que, malgré son immaturité soulignée par tous, «c’est un gros travailleur, se remémore Cosnier. Il est capable de se surpasser et de se mettre dans des états pas possibles pour performer.»
Hier, sur les pentes de Stockhütte, ce ne fut pas suffisant, malgré la vidéo envoyée par son patron. Des images vintage qui montrent Jean-François Bernard, lors du chrono du Tour 1987, la chaîne qui pendouillait autour de son cou, un bandeau à la Björn Borg et son beau maillot Toshiba: «Je lui ai dit: “Ça a été le chrono de sa vie. Toi, ce n’est peut-être pas le chrono de ta vie, mais c’est le chrono du début de ta carrière de grand coureur”. Il m’a répondu: “Ça mefait vibrer.”» En fin de journée, retour de boomerang pour Hubert, tout retourné par la semaine vécue en Suisse et, donc, par les mots de son coureur : « C’est un jeune de 24 ans, mais c’est une de mes plus belles rencontres de patron d’équipe. » L’an prochain, parce qu’il n’est pas certain que les deux partenaires poursuivent avec la formation bretonne (les contrats prennent fin en décembre), il pourrait aller voir ailleurs. On a vu des managers en Suisse lui faire la danse du ventre. Lui assure n’avoir signé nulle part alors que, de son propre aveu, il a passé «des paliers sur le Tour de Suisse. Je suis quand même deuxième au général, c’est juste phénoménal».
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João Almeida (en jaune) soulève le trophée du Tour de Suisse,
qu’il a remporté hier, devant son dauphin, Kévin Vauquelin.
Y. H.
Beaucoup trop fort
En difficulté après un début d’épreuve raté, João Almeida a renversé la tendance au fil des jours avant d’écraser le chrono, hier.
"C’est une véritable leçon, il ne faut jamais abandonner.
Parfois, les choses tournent mal, il faut juste continuer d’essayer"
- JOAO ALMEIDA, VAINQUEUR
DU TOUR DE SUISSE
Il a souvent le menton en avant, un peu surélevé. Pas toujours souriant, Joao Almeida (26 ans) a écrasé le contre-la-montre, hier, lors de l’ultime étape du Tour de Suisse, en patron, flegmatique, par habitude presque puisqu’il a déjà remporté sa 8e victoire de la saison, dont les classements généraux du Tour du Pays basque, du Tour de Romandie et, donc, de la Suisse. Après une semaine mal embarquée (plus de trois minutes concédées sur une échappée qui comptait notamment Romain Grégoire et Kévin Vauquelin, le Maillot Jaune qu’il a renversé), le coureur portugais de la formation UAE a roulé sur tout le monde au cours d’un exercice (un chrono de dix kilomètres en côte) taillé pour lui.
Avec son maillot noir comme la mort, la faucheuse d’UAE a même repris Julian Alaphilippe, deuxième du général (5e, finalement), parti devant lui, et devancé Felix Gall (+24’’) et Oscar Onley (+1’11’’). Le leader de l’équipe émirienne a surtout repris les 33 secondes qu’il avait de retard sur Vauquelin, vaillant mais trop juste en ce dernier jour sur les routes suisses, puisque le leader d’Arkéa-B&B Hotels a concédé 1’40. « Je suis forcément déçu, j’avais beaucoup d’attente. Les jambes étaient un peu bizarres, il manquait ce petit cran », a confié le Français.
Almeida, lui, semblait sûr de sa force, même si on a senti cette semaine qu’il ne maîtrisait pas tout. Hier, quand le coureur normand a passé la ligne, il a ainsi demandé aux journalistes s’il avait vraiment remporté le général. «Si vous me le montrez, je vais vous croire (sourire), confiait-il au micro de Cycling Pro Net. C’était un long chemin. Une seule erreur (la première étape) peut coûter très cher. Heureusement, on a réussi à aller au bout. L’équipe a été incroyable, on a fait un travail parfait, on s’est battus pour la victoire, on n’a jamais abandonné, on y a toujours cru. Au final, c’est une véritable leçon, il ne faut jamais abandonner. Parfois, les choses tournent mal, il faut juste continuer d’essayer. On a continué, et on y est arrivés.»
Une préparation parfaite pour le 4e du Tour de France l’an passé et qui va oeuvrer comme lieutenant de Tadej Pogacar au départ de Lille dans quinze jours (du 5 au 27 juillet). «Je vais aider Tadej et j’espère qu’on va obtenir d’autres victoires», a-t-il déjà annoncé.
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D’UNE VICTOIRE PAR ÉTAPES WORLD TOUR
Rochas, le plus proche
Rémy Rochas est passé le plus près, 2e à six secondes de la victoire finale dans la discrétion du Tour du Guangxi (Chine) sous les couleurs de Cofidis, en 2023. « Pas mal de monde m’en a alors parlé, sur les réseaux, des amis : si j’allais chercher ces quelques secondes, je serais le premier depuis Moreau (Dauphiné 2007), avait-il raconté. J’aurais bien aimé, mais les bonifications étaient sur des montées trop punchy ou des sprints intermédiaires classiques. »
Bardet et Pinot, le plus souvent
Avec respectivement cinq et quatre podiums sur des courses par étapes World Tour, Thibaut Pinot et Romain Bardet ont régulièrement tutoyé les sommets. Quatrième à 10’’ de la victoire sur le Tour de Catalogne 2014, Bardet a surtout loupé le coche sur le Critérium du Dauphiné 2016, battu pour 12’’ par Chris Froome.
Pinot aurait presque pu faire mieux sur le Tour de Romandie 2016, qu’il avait laissé à Nairo Quintana pour 16’’ après avoir remporté le contre-la-montre. Mais tout poussait à croire qu’avec un peu de patience, le Franc-Comtois finirait par y arriver – jusqu’à ce Dauphiné 2020 où il perdit la tête du général au bout d’une dernière étape complètement folle, attaqué de toutes parts, un an après avoir abandonné avec amertume le fameux Tour 2019 dont il semblait le plus fort en montagne.
Martinez, la plus récente
Malgré une victoire en montagne à Thyon 2000, le matelas avait l’épaisseur d’une feuille de papier. Trois secondes sur Joao Almeida avant un contre-la-montre de 17,1 km, il aurait fallu un miracle pour résister. Lenny Martinez s’est donc incliné derrière le Portugais – déjà – au Tour de Romandie, cette année, et fut le dernier en date à raviver le souvenir de la victoire de Christophe Moreau.
Gallopin, la plus rageante
Finalement 6e de Paris-Nice en 2015, on en oublie presque que Tony Gallopin fut renversé le dernier jour dans la désillusion la plus totale. Au soir d’un gros numéro qui lui donnait 36’’ d’avance à la veille du contre-lamontre final d’ascension du col d’Èze, Gallopin et son clan se montraient confiants. Le Français a finalement rendu 1’39’’ à Richie Porte au bout d’un long chemin de croix.
Gaudu, la moins probable
Dauphin de Tadej Pogacar, on ne devrait pas pouvoir espérer mieux. Sauf que David Gaudu volait sur ce Paris-Nice 2023. À 12 secondes seulement du maillot jaune à l’aube de la dernière étape, le Breton de Groupama-FDJ a laissé passer sa chance sans regret, tant il eut été improbable que le succès d’un Français sur une course par étapes World Tour intervienne sur une épreuve réunissant les deux derniers vainqueurs du Tour de France, Pogacar et Vingegaard.
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