À la poursuite de Philippa York

Star du cyclisme dans les années 1980, meilleur grimpeur du Tour de France 1984, ROBERT MILLAR, 58 ans, a fait son coming out de femme trans et révélé sa nouvelle identité: Philippa York. Nous avons enquêté pour retracer le fil de son histoire.


PAR JEAN-CHRISTOPHE COLLIN
L'Équipe Magazine, 22 juillet 2017


Elle s’est présentée un peu tendue face à la caméra. Puis Philippa York s’est lancée dans les commentaires de l’étape Pau-Peyragudes dans les Pyrénées, ces montagnes du Crétacé inférieur qui l’ont rendue célèbre. Sous les traits de Philippa, les amateurs de vélo, nombreux à cette heure-là sur ITV 4, ont reconnu Robert Millar, vainqueur de trois étapes du Tour de France en 1983, 1984 et 1989. «J’ai contacté Philippa au printemps dernier, raconte Ned Boulting, le commentateur du Tour pour la chaîne britannique, et je lui ai proposé d’intervenir sur nos retransmissions. Nous avons chaque jour un invité en plateau à Londres qui intervient durant l’étape.» Boulting est l’une des très rares personnes à disposer du contact de Philippa York. «Pippa a réfléchi une quinzaine de jours avant demedonner sa réponse.» C’est peu, quinze jours. Cela faisait si longtempsque le monde du cyclisme attendait un signe du porteur du maillot à pois du Tour 1984. Nul n’avait revu Robert Millar depuis 2003. Rien. Pas un mot, pas une image.

Jusqu’à ce jeudi 6 juillet, quand surgit cette photo qui illustrait une interview exclusive du Guardian réalisée par le journaliste anglais William Fotheringham ainsi qu’une chronique sur le site spécialisé Cyclingnews. Robert Millar faisait officiellement son coming out de femme trans et révélait sa nouvelle identité: Philippa York. Quatorze ans de silence. Et bien davantage encore pour ses amis français.

Robert Millar s’était en effet retiré du monde. Forcément, les années passant, l’énigme avait grandi. Richard Moore, journaliste britannique, a fait un excellent livre de cette disparition, À la recherche de Robert Millar*.Un énorme succès de librairie en Grande-Bretagne, plus de 50000 exemplaires vendus. Le grimpeur britannique était un immense héros par-delà le Channel. «Robert a obtenu ses succès aumoment où ITV a commencé à retransmettre les étapes du Tour en direct, ce qui amarqué beaucoup de Britanniques », explique William Fotheringham. «Et, en Écosse, nous n’avions pas de grands champions à cemomentlà», poursuit Richard Moore.

Celui que l’on appelait alorsRobert Millar est en effet un pur Écossais, né le 13 septembre 1958 à 6h15, l’heure du laitier, à Gorbals, banlieue de Glasgow, au creux d’une famille de la classe moyenne. Avec laquelle il coupera les ponts dès qu’il le pourra. Robert a très tôt mis de la distance avec les gens. Sa famille a déménagé en 1967, pour s’installer à Pollok, autre banlieue grise de Glasgow.Cette ville, cepaysoù, dira-t-il, «il pleut tous les jours, mais pas la nuit ».

L’environnement dans le quel grandit Robert Millar est un monde rude. On va à l’usine, on boit des bières au pub du coin et l’on supporte soit les Celtics, soit les Rangers, suivant sa religion. Robert est protestant, mais c’est le vélo qui l’intéresse. Il va par la campagne avec des copains sur de vieux clous. Et s’il se rend à Hampden Park, le stade national de foot, c’est pour rejoindre un club cycliste situé juste derrière. Déjà, il est un peu à part. Lors des sorties à vélo avec le club, le soir, lorsque le groupe se retrouve autour d’un feu dans la lande, lui va faire un autre feu, plus loin. Seul.

Comme beaucoup de jeunes gens de son âge de cette région du monde, il entre à l’usine.Pour la plupart, c’est pour la vie. Mais Robert Millar veut de tout son être échapper à cet inexorable horizon dematins froids de brouillard et de soirées de bière tiède. Le vélo est la clé versunailleursdont il ressentlebesoin.Ilvaalorsdéployer tout ce qu’il compte d’énergie – et elle est immense – pour faire du vélo. Richard Moore raconte qu’à l’usine, Millar s’enferme dans les toilettespour récupérer des entraînements du matin ou de la veille. Naît son obsessionnelle recherche du détail. Quand il arrive dans une ville pour disputer une course, le soir, il piquedes cendriers dans lesbarspour les placer sous les pieds de sonlit afin de surélever ses jambes.Unancien coureur lui a révélé que c’était bon pour la récupération. Cette rigueur devient alors un principe d’existence tournée vers la volonté de réussir, c’est-à-dire de vivre du cyclisme.

On s’est rendu sur le Tour de France à l’étape de Pau pour évoquer avec les « suiveurs » le nom de Robert Millar. Revenait systématiquement cette janséniste exigence. «C’était quelqu’unde complètement investi, soulignelemythique directeur sportif des équipesPeugeot et Z,Roger Legeay.Peut-être une façon d’échapper à lui-même. » Déjà de fuir son destin de Glaswegian et le ciel bas. C’est avec cette force d’âme qu’il est devenu, à 19 ans, le plus jeune champion de Grande-Bretagne. La veille de cet exploit, Moore raconte qu’un de ses copains a croisé ses parents et leur a appris que leur fils prenait part à cette course.Robert n’ira pas à l’enterrement de samère, ni au mariage de sa soeur. Il ne hait pas sa famille, il considère qu’il doit tracer sa route et que c’est la seule chose qui compte. C’est ainsi qu’il quitte les faubourgs de Glasgowen janvier 1979 pour Paris. Plus exactement la rue de Sèvres, à Boulogne-Billancourt, où l’ACBB loge ses coureurs, dont quelques Britanniques en devenir.

Millar et les siens sont comme ces Kényans qui viennent aujourd’hui courir lesmarathons en Europe. Ils savent qu’ils doivent gagner ou partir. Les coureurs français ne sont guère accueillants.Maisqu’est-cequeceméprisquandvousenfouissez envousunsi violentmystère.«J’ai suque j’étais différente quand j’avais cinq ans », a révélé Philippa York au Guardian… Le quotidien se révèle pesant,mais Millar poursuit son objectif, vaille que vaille. Il partage son petit réduit de Boulogne avec John Parker, venu de Southport, au nord de Liverpool. Pour mieux progresser en français, les deux garçons décident de ne pas se parler en anglais entre 9 heures et 17 heures. Résultat, ils ne s’adressent pas la parole de la journée. Toujours cette quête d’absolu de Millar. Parker, lui, a du talent mais pas ce besoin fou de réussir. Quelque temps plus tard, il reprendra le bateau pour Douvres. Et ouvrira un magasin de vélos chez lui, dans le Lancashire.

Parker a néanmoins réalisé son rêve de prendre part au Tour de France, en 1986. Pas sur un vélo, comme il l’avait imaginé autrefois, mais avec une glacière et sans rancoeur. C’est déjà ça. Il a choisi l’étape de la montée de l’alpe d’Huez. A planté sa tente dans un des 21 virages qui conduisent au sommet et attendu l’arrivée de ce peloton auquel il s’était imaginé un jour appartenir. Cejour-là, Millar connaîtune énormedéfaillance, il est lâché par les leaders etmonte à la peine. C’est alors qu’un Anglais en short surgit d’un talus, s’avance sur la route et pousse son compatriote à l’agonie. «Come on bastard! », lui lance-t-il. Le grimpeur écossais n’entend plus rien ni personne. Ilnereconnaîtrapas son ancien frère de galère. Parker l’a regardé disparaître dans le virage suivant.Puis s’enest retournédans le Lancashire. Contrairement à soncolocataire de Boulogne, Robert Millar va s’accrocher et parvenir à intégrer l’équipe Peugeot au cours de sa première année en France, recommandé par un entraîneur de Troyes, Jack André. Une figure du monde du cyclismequi a participé à son premier Championnat dumondeamateurs à 19 ans, gagné plus de 200 courses, mais n’est jamais passé professionnel. Des connaissances, Joseph Joffo, l’auteur d’Un sac de billes, et son frère, lui proposent d’entrer dans la coiffure. Il obtient son CAP en six mois et, un an après, Jack André ouvre son salon à Troyes, qu’il tiendra durant trente-cinq années. Mais sa passion reste le vélo et il devient directeur sportif de UVCAT, le grand club cycliste de Troyes, où il a entraîné nombre de champions, et notamment les frères Simon. Pascal d’abord, «un talent rare » qui va lui signaler Millar. Voilà comment l’Écossais a quitté Boulogne pour rallier l’Aube.«On a commencé à prendre des coureurs britanniques, raconte le vieil homme, car ces mecs avaient la rage de réussir et ne coûtaient pas cher.»

Jack André loge Millar dans une ferme à Culoison, avec deux autrescoureurs british. Et l’emmène derrière son Vespa sur les routes vallonnées de laChampagnepouilleuse. Aujourd’hui, «coach Jack » a 79 ans. Son enthousiasme pour le cycle n’a jamais baissé. Il continue d’apprendre le métier à de jeunes coureurs. Mais concède que Millar estune personnalité unique. «C’est lemec le plus exceptionnel que j’aie croisé dansmonexistence, cela fait soixante-cinqansque je suis dans le vélo et j’ai fait la guerre d’Algérie! » Chez Peugeot, ce n’est pas l’avis du directeur sportif Maurice de Muer, qui n’apprécie guère l’Écossais. Mais Millar gagne le Grand Prix de Grasse, puis Paris-Évreux et la Palme d’Or, qui consacre lemeilleuramateur. Il signe alors un contrat professionnel chez Peugeot fin 1979 pour 4250 francs parmois. L’apprentissage est dur, les pros, c’est un autre monde. Il faut gagner sa place sur le vélo et en dehors. Millar fait chambre commune avec Roger Legeay. «On l’avait mis avec moi parce que je parlais anglais. Il était intraitable pour l’entraînement, il faisait de la musculation spécifique, c’était le seul. Il plaçait des poids d’un kilo sur ses chevilles et partait pédaler avec. Je n’ai jamais vu personne faire ça. Il était très dur avec lui-même. Et par conséquent avec les autres aussi.»

Millar se fait connaître lors du fameux Championnat du monde à Sallanches, en 1980. Il est l’un des rares à pouvoir suivre Bernard Hinault dans le final avec l’Italien Gianbattista Baronchelli. Le peloton apprend le nomde ce jeune Écossais qui grimpe les cols aussi vite que ses compatriotes descendent les pintes. Mais Maurice deMuer ne le laisse toujours pas disputer le Tour de France. Le vent tourne avec l’arrivée aux commandes de l’équipe de Roland Berland, dont Roger Legeay sera l’adjoint. Trente-quatre ans après, Legeay explique pourquoi ils n’ont pas hésité à lancer Millar dans la Grande Boucle. «Il était individualiste, mais pas égoïste. Il travaillait pour le groupe sans rechigner. On pouvait compter sur lui.»

Pour sa première participation au Tour, le 11 juillet 1983, il remporte la 10e étape entre Pau etBagnères-de-Luchon. Une étape d’entrelesétapes,avecquatrecolslégendaires: l’Aubisque, le Tourmalet, Aspin et Peyresourde pour finir. Cejour-là, Millar intègre l’histoire du cyclisme britannique et son coéquipier et ami, Pascal Simon, prend le Maillot Jaune. Las, le lendemain, Simonchute et devra abandonner lamort dans l’âme quelques jours plus tard. L’année suivante, Millar remporte à nouveau une étape dans les Pyrénées et termine 4e du Tour avec le maillot à pois sur les épaules.

1985 aurait dû être l’année de sa consécration. Mais le cyclisme a ses usages et ses lois. C’est durant cette saison que Ronan Pensec devient professionnel au sein de l’équipe Peugeot. « Robert était monmodèle, raconte le Breton. J’avais et j’ai toujoursénormémentderespectpour lui. On avait le même gabarit. Je buvais ses conseils. Il était précurseur sur tout. Sur les méthodes d’entraînement, sur la diététique. Il faisait attention à ce qu’il mangeait, il était végétarien. Un immense professionnel à une époque où l’on fonctionnait à la démerde.Lui était enmarge, un peu décalé. Mais j’étais vraiment très fierderoulerpour lui.Malheureusement, on s’est fait avoir… »

Ronan Pensec évoque la Vuelta 1985. Millar domine l’épreuve, porte le maillot amarillo àdeuxjoursdel’arrivée avec plus de quatre minutes d’avance. L’affaire est entendue. Il reste une étape demontagne et, comme il est lemeilleur grimpeur du moment… Mais voilà, les équipes espagnoles vont former une coalition pour empêcher l’Écossais de l’emporter. La météo est exécrable ce jour-là. Tout est contre Millar, sauf Pensec et Simon. Profitant d’une crevaison de l’Écossais, Pedro Delgado attaque. «On était à sa poursuite, raconte Pensec, on est arrivés à un passage à niveau, la barrière était fermée pour nous et aucun train n’est passé…»Delgado remporte l’étape avec plus de six minutes et le Tour d’Espagne avec. Millar est effondré, mais n’en montre rien. « Les gars de Gorbals ne pleurent pas», écrit un journal anglais. Décidément, rien ne lui sera donné dans l’existence.

Mais il est désormais une figure du peloton. Une sacrée figure. Avec une boucle d’oreille, les cheveux dans la nuque. Une allure peu commune. François Lemarchand est aujourd’hui responsable de la sécurité sur le Tour de France. Il a été cinq années durant l’équipier de Millar. « C’était vraiment un personnage atypique.Pas très aimable, dur avec lui-même et avec les autres. Combien de fois il nous a fait honte avec des serveurs parce que tout n’était pas parfait. Il pouvait être très désagréable dans la journée et puis, le soir, tout d’un coup, s’abandonner. En revanche, je ne lui ai jamais vu un signe de féminité, il m’aurait mis une claque si je lui avais fait une bise. Peut-être a-t-il dû beaucoup lutter pour refouler ça en lui. J’en garde un très bon souvenir. Et puis quelle classe sur un vélo. Quel coureur! Quel courage! De toute façon, il faut beaucoup de courage pour faire ce qu’il a fait et aujourd’hui l’assumer. Mais ça lui ressemble. Il était à part. Pour autant, il savait se dévouer pour les autres. Ce qu’il a fait avec Ronan tout demême…» En 1990, Millar a accompagné Ronan Pensec dans la montée de l’alpe d’Huez pour l’aider à préserver son Maillot Jaune. « Je n’oublierai jamais cemoment, lâche Pensec. C’était vraiment quelqu’un de parole.»

En revanche, c’étaitune sacrée pince.Dans lemilieu,onraconte que dès qu’il voyait une barrière ouverte sur l’autoroute, il soulevait la chaîne et sortait. Il préférait faire une heure de route supplémentaire plutôt que de payer lepéage…Il gardait ses vieux cuissards, ses vieuxmaillots et vendait les neufs que lui donnait sonéquipementier. «Ce n’était pasunÉcossais pour rien, se marre JackAndré.Quand il achetait quelque chose, vous pouviez être sûrqu’il avait fait le tour de la région pour comparer les prix. D’ailleurs, cela a eu des conséquences pour sa carrière, il préférait l’argent à la gloire. »Une allusion à certaines pratiques dans le peloton, où l’on payaitdesalliésdecirconstancepour assurer des victoires.Cetravers lui a surtout valu des démêlés avec le fisc français. Millar éprouvait d’énormes difficultés à payer ses impôts… «Onne peut rien dire», tranche la damedu département de recouvrement du centre des impôts de Troyes, où le coureur a laissé des dettes.

Car lorsqu’ilnecourtpasencompétition, Millar rentre à Troyes. Là, il rencontre une jeune femme, Sylvie, qu’il épouse en toute confidentialité, sans aucun membre de sa famille. Elle est la soeur de l’épouse de JérômeSimon, lui aussi porteur du Maillot Jaune, en 2001, et frère dePascal. Les frères Simon, que nous avons contactésmais qui préfèrent ne pas s’exprimer en raison de leurs liens familiaux, habitent encore dans des bourgs proches deBercenay-en-Othe. Cevillage de 400 âmesoù Millar emménagea avec sa femme et bientôt leur fils, Edward, dans une ancienne ferme restaurée, avec une magnifique grange à colombage, à deux pas de l’église. Il fait appel au service de son vieil ami Jack André pour aller s’entraîner. Pour lui couper les cheveux aussi. « Il avait les cheveux très raides, raconteAndré, un jour il m’a demandé de lui faire une permanente, je lui ai dit: “Mais tu vas ressembler à une fille!”» IlhabiteraBercenay-en-Othejusqu’à sonretraitdespelotonsen1995, avec des séjours plus ou moins longs à Lille et en Belgique. En effet, Millar quittePeugeoten1986pourallerchez Panasonic,puisFagor,etreveniravec Roger Legeay chez Z, avant departiciper à lamalencontreuse aventure de l’équipe Le Groupement. Celleci s’étant retirée soudainement, Millar cherche vainement une autreéquipe. IlparticipeauxChampionnatsdeGrande-Bretagne qu’il remporte à 37 ans. Ce sera sa dernière course. Sa situation est précaire, le fisc français se fait terriblement pressant, jusqu’à le poursuivre en justice. C’est pourquoi, à l’automne 1995, selon Richard Moore, Robert Millar laisse la France, sa femme et son fils derrière lui et s’installe enAngleterre, à Daventry, dans les Midlands. Se met au taekwondo. Rencontre une jeune femme avec qui il aura une fille. CollaboreaumagazineCycleSport puis à Procycling. «Ses chroniques étaientgéniales, raconte William Fotheringham, qui luicommandait les articles. C’est vraiment quelqu’un d’unique avec une sensibilité, une intelligence rare, et beaucoup de recul sur son sport. » Millar est nommé entraîneur national en 1997. Mais il sera démis de cette fonction par la Fédération britannique de cyclisme, une éviction dont il sera très affecté. Et puis Robert Millar va disparaître. Pluspersonnen’aura de nouvelles. Ni ses coéquipiers ni Jack André. Les années passent, le mystère s’épaissit et les rumeurs courent le peloton.

En 2000, un tabloïd écossais, Sunday Mail, retrouve sa trace. Le journal planque devant son domicile plusieurs jours. Les reporters finissent par saisir des clichés de l’ancien coureur et de ses longs cheveux auburn. L’article explique que Robert Millar suit un traitement hormonal pour changer de genre. Le cycliste avait déjà suivi des traitements hormonaux naguère, mais c’était ceux du docteur Bellocq et son fameux « rééquilibrage hormonal », qui lui avait valu un contrôle positif sur la Vuelta en 1992.

Et puis plus rien, à l’exception d’une apparition deux ans plus tard sur une course à Manchester. Dans le milieu du cyclisme, l’information sur la transition de genre de l’ancien meilleur grimpeur du Tour circule. On l’appelle même « Roberta». La société n’est pas alors très réceptive au sujet de la transidentité... «Et encoremoins le milieu du cyclisme, qui est très conservateur », explique WilliamFotheringham. Pourtant, ce milieu va profondément respecter son choix.

En 2007, le Tour part de Londres. Un autre tabloïd, le Daily Mail, révèle que Millar est une femme qui se fait désormais appeler Philippa York. Philippa refuse de s’exprimer. Elle n’est pas prête. Et puis dix ans après, le 6 juillet, elle fait son coming out public. « J’ai entrepris un “voyage” au début de ce millénaire, explique-t-elle dans son post. Le résultat de ce “voyage” est que je vis depuis un temps considérable maintenant dans la peau de Philippa… Si j’ai gardé ma vie intime secrète toutes ces années, c’est parce qu’il y a quelques raisons, évidentes je crois, pour lesquelles je n’ai pas eu d’imagepublique depuis matransition. C’est agréable cependant de voir que les temps ont changé…»

La caravane du Tour de France n’est pas surprise par lanouvelle et l’accueille avec une authentique bienveillance. Son lointain successeur, porteur du maillot à pois,Warren Barguil, explique: «Il a choisi sonstyledevie, c’est sa liberté, il n’y apasdedébat.» Ses anciens amis sont soulagés pour lui. Conscient de la souffrance qui a jalonné son parcours. « C’est tellement bien qu’il puisse enfin être aujourd’hui qui il veut, lâche son vieux copain Stephen Roche, qui a connu l’appartement de la rue de Sèvres, à Boulogne. À nouveau, il a fait preuve de courage. Comme lorsqu’il était coureur.» «C’est sa vie, lancePensec, peu m’importe. En revanche, j’aimerais tant le revoir. Je n’en ai rien à faire qu’il ait changé de genre, ce qui reste pour moi, ce sont lesmoments forts que l’on a vécus ensemble. »Aufond, Millar leur amanqué. Il n’a laissé personne indifférent. Alorshomme ou femme, il est temps qu’elle revienne.

Là-bas, dans le pavillon d’Isle-Aumont où JackAndré suit avec assiduité le Tour de France, son affection pourRobert/Philippa est intacte. « Je ne l’ai pas vu depuis vingt-cinq ans. Qu’il ait aujourd’hui des seins, cela ne change rien pour moi, il reste pour toujours mon copain, ou ma copine. Peu importe. »

«À la suite de mon interview avec elle dans le Guardian, raconte William Fotheringham, je n’ai reçuquedes témoignages positifs à l’égard dePhilippa. » L’époque a changé. Dans sonmessage sur le site Cyclingnews, où elle chroniquait naguère sous le nom de Robert Millar, Philippa York l’explique: « Heureusement, les questions de genre ne sont plus un sujet d’ignorance et d’intolérance, il y a beaucoup plus d’acceptation et de compréhension. » En bas de ce texte, Mickael, un amateur de vélo, a laissé ce message: « A hero for me in the 80’s, now a heroine in 2017. »∙
jccollin@lequipe.fr


* «In Search of Robert Millar: Unravelling the Mystery Surrounding Britain’s Most Successful Tour
de France Cyclist», Richard Moore, 2008.


RENÉE, CHRIS, CAITLYN ET LES AUTRES
L’an dernier, le triathlète américain Chris Mosier (37 ans) a eu les honneurs d’une publicité pour Nike.
Sous le titre « le courage sans limites », un clip louait la pugnacité de cet athlète transgenre, le premier
à intégrer une équipe nationale des États-Unis, en duathlon. Un combat qui rappelle celui d’une pionnière : Renée Richards (82 ans). Née Richard Raskind en 1934, Richards servit comme officier de
l’US Navy et devint ophtalmologiste. Après une opération de réassignation sexuelle, Richards entama une carrière de joueuse de tennis pro en 1976. Interdite d’US Open à cause de sa transidentité, elle porta l’affaire en justice. La Cour suprême de New York lui donna raison en 1977. Elle accéda au rang de 20e joueuse mondiale en février 1979, puis entraîna Martina Navratilova durant deux saisons. Ses deux biographies ont inspiré des adaptations à l’écran.
Une reconnaissance semblable à celle de Caitlyn Jenner (ci-contre), 67 ans, devenue animatrice de télévision. Quatre fois grand-mère, Caitlyn est née Bruce Jenner, qui fut médaillé d’or du décathlon aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976.
Plus récemment, Fallon Fox (41 ans) est devenue la première combattante ouvertement trans en MMA.
Elle compte 6 combats (5 victoires, 1 défaite) dans la cage, mais sa « densité osseuse et musculaire» supérieure ne cesse d’alimenter la polémique dans le microcosme du mixed martial arts... K. B.- I.

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