La plus triste histoire de «Totò»
Héros inattendu mais inoubliable de la Coupe du monde 1990 avec l’Italie, l’attaquant Salvatore Schillaci s’est éteint hier à Palerme.
19 Sep 2024 - L'Équipe
MÉLISANDE GOMEZ
Ses yeux se sont refermés à jamais mais, pour les Italiens, ils seront toujours grands ouverts et fous de joie, comme sur les photos de cet été 1990, ivres du bonheur d’un but et du vacarme d’un stade. Salvatore « Toto » Schillaci s’est éteint hier à l’hôpital de Palerme, la ville où il est né il y a un peu moins de soixante ans et où il est vite revenu à la fin de sa carrière, preuve qu’il était attaché à ses racines et à son île, dont il promenait un accent qui lui a valu quelques sarcasmes.Salvatore Schillaci célèbre son but contre l’Uruguay en 8es de finale de la Coupe du monde 1990 devant Roberto Baggio.
Puisqu’il venait du sud et que sa syntaxe n’était pas toujours très orthodoxe, il était le « terrone » («sudiste») à son arrivée à la Juventus, lors de l’été 1989, mais les moqueries n’ont pas duré très longtemps car moins d’un an plus tard, « Toto » était devenu le héros de tout un pays, celui qui avait illuminé les « Notti magiche » du Mondiale 1990 à la maison, un but après l’autre, six au total, une troisième place pour la Nazionale mais trois semaines de conte de fées, pour lui, qui l’auront ensuite accompagné jusqu’au bout de sa vie, parce que personne ne pouvait oublier ce personnage attachant à la trajectoire exceptionnelle.
Il le reconnaissait lui-même, sans nostalgie et avec la simplicité qu’il a toujours gardée: « Ma carrière a duré trois semaines, c’était court mais intense. Certains jouent vingt ans et ne vont jamais en équipe nationale, alors je ne me plains pas. » Il ne se plaignait pas car il venait de loin, né d’une famille modeste, un père maçon, trois frères et une soeur, élevés dans le CEP de Palerme, ces quartiers populaires érigés dans les années 1950 pour loger les plus démunis. Il joue au ballon sur le bitume devant l’immeuble puis à l’AMAT, le club de la société de transports publics, et il aide la famille comme il le peut : un jour il répare les pneus dans un garage, un autre il aide dans une pâtisserie, un autre encore il est vendeur ambulant. Alors, sur le terrain, il a une volonté que les autres n’ont pas et c’est ce qui le distingue, au-delà de son sens du but. « Il avait une faim de marquer que je n’ai jamais vue chez un autre joueur » , se souviendra Franco Scoglio, son entraîneur à Messine, qu’il a rejoint en 1982 en Serie C2 (4e division). Quatre ans et deux promotions plus tard, Schillaci découvre la Serie B puis, en 1988, il rencontre Zdenek Zeman, alors quadragénaire et déjà entraîneur novateur.
Présent dans les médias... et les téléréalités après sa carrière
Avec le technicien tchèque, porté sur l’offensive, « Toto » réussit sa meilleure saison jusque-là (23 buts en 35 matches), il finit meilleur buteur du Championnat et sur les tablettes de la Juventus, qui débourse 6 milliards de lires (4 M€ avec le cours de l’époque). Là-bas aussi, il s’impose vite comme titulaire, il gagne la Coupe d’Italie, la Coupe de l’UEFA (C3), marque 21 buts toutes compétitions confondues et son destin bascule : inconnu quelques mois plus tôt, il est l’appelé de dernière minute du sélectionneur Azeglio Vicini pour la Coupe du monde 1990. « C’était une nouvelle incroyable, racontait-il à L’Équipe, en 2014. J’ai appelé mes parents à Palerme, c’était beau. J’étais content d’en être, même si je ne me faisais pas d’illusions. Je me disais : “Au moins, tu seras en tribune, tu pourras voir les matches de près.” Titulaire, en revanche, c’était clairement impossible.»
Il ne se sera jamais assis en tribunes, finalement : il entre en jeu dès le premier match, contre l’Autriche, et marque de la tête (1-0), puis Gianluca Vialli se blesse et lui intègre le onze. Il marquera à chacun des cinq autres matches, jusqu’à cette petite finale contre l’Angleterre (2-1), et deviendra le visage de l’été italien, un petit buteur de 1,70 m tellement affamé de ballon qu’il saute plus haut que les autres, un attaquant en état de grâce qui réussit chaque geste ou presque, et qui fait la fierté du Sud : « Avec mes buts, j’ai réunifié l’Italie » , lance-t-il pendant la compétition, alors que son regard exalté fait la une des journaux et qu’il est le sujet central des débats télévisés. Éliminée en demi-finales par l’Argentine (1-1, 3-4 aux t.a.b.), l’Italie passe à côté de son rêve mais lui vivra le sien pour toujours, même vingt-cinq ans plus tard : « Partout où je vais, je vois l’enthousiasme des gens, ils me demandent : “Tu peux nous faire le regard halluciné ?” » Après les sommets de l’été 1990, Schillaci ne vivra plus de telles émotions, désormais attendu par les adversaires et très sollicité en dehors du terrain. Il jouera à l’Inter puis sera le premier Italien à s’exiler au Japon, contre un joli contrat, mais ne gagnera plus de trophée et n’ira plus beaucoup en sélection (8 capes supplémentaires, 1 but). Il s’éloignera vite du monde du foot professionnel, ensuite, pour rentrer à Palerme, où il reprendra une école de foot, en 2000, toujours active aujourd’hui.
Malgré la fulgurance de cet été de gloire, il est resté un personnage à part dans le coeur des Italiens, souvent disponible pour les médias et même personnage de téléréalité, entre l’île des célébrités, en 2004, puis Pékin Express, l’an passé. Entretemps, il avait expliqué être soigné pour un cancer du côlon, qui lui a coûté deux opérations à l’hiver 2023. Ses poumons ont fini par lâcher, trente-quatre ans après avoir exulté dans le ciel de Rome, et l’Italie a perdu « Toto », le gamin de Palerme qui lui a offert un été de nuits magiques.
EN BREF
Né le 1er décembre 1964. Décédé hier à l’âge de 59 ans.
Attaquant. 16 sél., 7 buts.
Carrière : FC Messine (1982-1989), Juventus (1989-1992), Inter Milan (1992-1994), Jubilo Iwata (JAP, 1994-1997).
Palmarès : Coupe UEFA (1990), Coupe d’Italie (1990), meilleur joueur et meilleur buteur de la Coupe du monde 1990 (6 buts).
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