DEUXIÈME ROUND


L’affrontement entre et dans les monts des Flandres est la promesse d’un combat immense, pour la victoire dans ce Ronde, mais surtout pour la suprématie dans les classiques, alors que Mads Pedersen et les mortels ne renonceront jamais à exister.

6 Apr 2025 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL ALEXANDRE ROOS

BRUGES (BEL) – La sentez-vous, l’excitation des grands matins, le petit frisson, la tension ? Cela déborde tellement de partout qu’on ne sait par quel bout saisir ce tortillon des Flandres, comment mettre de l’ordre dans ce manège frénétique dont on devine déjà le bourdonnement, le joyeux bazar, casse-boîtes et fête foraine, comment faire le tri entre les certitudes et les illusions, alors que s’annonce une bataille gigantesque. Il suffit de repenser à la furie des deux fois où Tadej Pogacar et Mathieu Van der Poel se sont croisés dans le tourniquet d’Audenarde, le sprint désarticulé de 2022 qui avait mis en colère le Slovène, une rareté, la revanche de l’année suivante où il avait flotté sur les pavés du Vieux Quaremont dans un moment de grâce, et notre cerveau toxine à l’idée de ce qui nous attend pour ce troisième round. Pour citer Arthur Rimbaud, en phase avec la légèreté printanière et les esprits papillonnants qui accompagnent l’approche de ce Tour des Flandres, nos «coeurs fous robinsonnent » à travers le champ des possibles, au milieu des scénarios, à la recherche de ce que les deux monstres nous réservent encore.

S’il faut être un peu raisonnable, les deux précédents esquissent les clés du duel, le squelette de leurs stratégies. À Pogacar l’envolée dans le dernier tour, dans le Quaremont ou le Paterberg, comme il y a deux ans, car il se sait quasi condamné dans un sprint final. À Van der Poel la résistance dans les monts, comme en 2022 où il avait souffert mille morts pour garder la roue du Slovène, pour ensuite le plumer à Audenarde, même si le Néerlandais, s’il s’en sent capable, ne se privera pas d’attaquer plus tôt et d’enfoncer le tournevis qu’il a planté dans le moral du champion du monde à San Remo.

Van der Poel est face à l’histoire, 
Pogacar a l’occasion de normaliser l’extraordinaire

Le bras de fer est indécis car, si on a bien compris que Pogacar était a minima aussi fort qu’en 2023, et donc en mesure de déposer son rival une nouvelle fois, le mystère concerne davantage Van der Poel, sur la qualité de sa réponse, qu’on pressent assez élevée, tant son niveau de jeu semble encore un cran au-dessus cette saison. Sauf que, dans tout cela, les outsiders et ce qui leur reste de courage ne vont pas attendre le dernier tour pour se faire empaler, petits agneaux qui conduiraient eux-mêmes la camionnette pour l’abattoir.

Les classiques sont entraînées par un effet boule de neige, un bouillonnement incontrôlable, une marmite posée sur un brasier et qui atteint l’ébullition de plus en plus tôt. La folie s’y nourrit d’ellemême. Les états-majors des équipes tentent bien de la contrôler, de rationaliser le déroulement des courses, d’échafauder des plans pour exister face aux ogres, mais leurs efforts ne débouchent que sur une issue : anticiper encore plus. Avec quel résultat? Encore plus de folie. C’est ce que tout le monde attend pour aujourd’hui et qui pourrait aboutir à ce que les deux favoris s’isolent bien avant le dernier tour de carrousel mais, là, la déraison nous reprend. Dans l’attente que le brouillard se dissipe, Tadej Pogacar et Mathieu van der Poel vont lutter pour bien plus qu’une « simple » victoire aux Flandres. Le petit-fils de Raymond Poulidor est celui qui est face à l’histoire ce matin, quand le champion du monde a l’occasion de normaliser l’extraordinaire, de rééditer l’exploit de s’imposer a lors que, rappelons-le, Louison Bobet et Eddy Merckx étaient avant lui les seuls vainqueurs du Tour de France à avoir également conquis le Ronde.

Van der Poel peut devenir le premier depuis le Cannibale à remporter San Remo et les Flandres la même saison, en lice pour un triplé jamais réalisé s’il ajoutait Paris-Roubaix dans une semaine et, surtout, en cas de quatrième succès cet après-midi, il serait le recordman de victoires d’un Monument vieux de 112ans. De quoi faire pencher la pression dans son camp ? Pas forcément. Déjà parce que le leader des Alpecin est froid et dangereux comme un pic à glace, mais aussi que Tadej Pogacar doit également se débarrasser d’un poids, inverser un rapport de force qui lui semble défavorable sur les classiques, notamment depuis sa défaite dans Milan-San Remo.

Une querelle d’orgueil va se jouer tout au long des 270 km. La morsure de 2023 brûle encore l’ego de Mathieu Van der Poel, largué dans le Vieux Quaremont, une punition que jamais personne d’autre n’a été en mesure de lui infliger et qu’il voudra effacer. Tadej Pogacar avait construit son triomphe cette année-là sur les cendres de son échec précédent et on peut être sûr que ce ressort va encore le propulser, que d’avoir été « camisolé », étouffé sur les pentes de la Cipressa et du Poggio fut une expérience insupportable et qu’il va vouloir régler ses comptes avec son plus grand adversaire, dans son jardin, là où le Néerlandais, meilleur pilote du monde, reste sur cinq podiums consécutifs, ce qui dessine l’immensité du défi.

L’orgueil, c’est aussi un peu tout ce qui reste 
à Van Aert pour tenter de s’approcher du podium

Mais le champion du monde a récemment rappelé qu’il s’accommodait mal de l’ordinaire, en cassant les courbes d’odalisque de la Primavera et, malgré son revers, en ouvrant une nouvelle voie pour la conquérir, puis en annonçant sa présence à Paris-Roubaix. Une manière de souligner qu’il décidait de tout, que les éléments venaient à lui et non l’inverse, et que les considérations et les raisonnements communs, banals, terre à terre sur les risques, le calendrier ou d’autre sergotages insignifiants ne s’appliquaient pas à lui.

L’orgueil, c’est aussi un peu tout ce qui reste à Wout Van Aert, pour tenter de s’approcher du podium tout à l’heure. Après l’arrivée à Waregem mercredi, il est subitement paru bien tendre, trop gentil, à s’ excuser comme un petit garçon après une bêtise. Le Belge n’a pas tout perdu de sa classe, de son talent, mais il est dur d’exister dans le labyrinthe des Flandres quand on est mal placé dans le Taaienberg sur le GP E3, une faute impensable s’il avait vraiment les jambes, ou qu’on est dominé au sprint par Neilson Powless au bout de 180 km. Il yen aura 90 de plus aujourd’hui et, au départ, Matteo Jorgenson camp e un candidat plus solide pour les Visma-Lease a bike. Les frelons feraient bien de s’entendre au moins un temps avec les LidlTrek de Mads Pedersen. S’il y en a bien un animé d’ une flamme intérieure, d’un incendie plutôt, d’une foi en son étoile, c’est le Danois, vainqueur de Gand-Wevelgem, qui sera encore plus redoutable dans une semaine sur les pavés du Nord, et qui ne laissera pas passer sa chance aujourd’hui pour autant. On peut compter sur ce guerrier infatigable pour mener la horde des rebelles, pour bousculer l’ordre établi, brandir le flambeau de la contestation. Et allumer en nous des petits feux de joie.

***

Des Monuments en vase clos ?


“On espère que la course nous préservera tout de même une once d’indécision (...) pour récompenser les braves, nos semblables que la génétique a certainement moins gâtés, mais dont les efforts au quotidien les rendent non moins admirables''

À l’aube du deuxième Monument de la saison, alors que les tireuses à bière et les friteries se préparent pour un dimanche de festivités au tour des collines flamandes aux pavés disjoints, des 175 valeureux qui rêvent d’accéder à la postérité au départ de Bruges, combien peuvent ambitionner de participer à la fête? Sur les quinze derniers Monuments, seuls Dylan van Baarle et Jasper Philipsen on tôt é le Graal des mains de Tadej Pogacar, Mathieu van der Poel ou Remco Evenepoel. Le premier acte à San Remo nous a offert un spectacle quasi total. La topographie du finalle long de la côte méditerranéenne condensa le suspense dans son ultime partie. Malgré un macadam parfait et des difficultés avalées grand plateau,la suprématie physique de Pogacar et van der Poel sur la Primavera nous a déjà éblouis. Il y a fort à parier que cette dynamique ser en force alors qu’on entre dans des terres beau coup plus hostiles. La route vers Audenarde aujourd’hui, bien que tournicotant dans un périmètre très concis – comme conçue pour donner le tournis aux profanes – semble être une partition en mesure d’être désormais parfaitement maîtrisée. Il fut une époque dans la dernière décennie où l’on espérait –avec un coup d’avance – réaliser le jackpot sur un Monument grâceàl’anticipation. Cette période semble révolue tant la bataille des géants ne saurait désormais attendre les dernières difficultés. Les souvenirs des victoires d’Alberto Bettiol en 2019 ouencore celles de Kasper Asgreen en 2021 résonnent comme un exploit sporadique d’un cyclisme dés ormais sous contrôle. On peut légitime mentimaginer qu’à 60 km de l’arrivée, sur le second passage du VieuxQuaremont, la course divise irrémédiablement les fantastiques dur este du monde. Tout sera mis en oeuvrepouryparvenir, un train d’enfersera imposé parles UAE Emirates et Alpecin-Deceuninck pour museler l’échappée matinale et asphyxier les seconds couteaux. La composition de l’équipe émiratie, avec six autres coureurs – tous au service de Pogacar – mais capable physiquement d’un top 5 sur cette course, contraindra toute option tactique concurrente. S’ensuivra pour tant l’enchaînement des plus grosses difficultés (Koppenberg, Taienberg, Paterberg…) dans les cinquante derniers kilomètres, tremplins qui devraient devenir le théâtre unique d’un mano a mano du match qui oppose les deux titans dans leur quête de leur huitième Monument.  Bien sûr, le sport, sa légende, son héritage se sont toujours nourris  de batailles homériques entre leurs icônes. On espère que la  course nous réserver atout de même une once d’indécision dans  l’interminable ligne droite finale menant à Audenarde pour  récompenser les braves, nos semblables que la génétique a certainement moins gâtés, mais dont les efforts consentis au quotidien les rendent non moins admirables. Le spectacle et l’ivresse des grandes courses sont à leur apogée quand la suprématie physique des champions est contre balancée par l’incertitude tactique qui par fois couronne les vassaux.

***


Mads Pedersen (à dr.) et, dans une moindre mesure, Wout Van Aert (ici se saluant après que le second ait été battu au sprint par Neilson Powless lors d’À travers la Flandre mercredi) figurent parmi les outsiders de ce Ronde.

Une troisième voie improbable?

Derrière les deux grands favoris, peu de coureurs, sur une course aussi typée que le Ronde, se dégagent au moment d’inscrire leur nom au palmarès. 
Il leur faudra être offensifs, mais le peuvent-ils ?

"Il ne faut pas qu’ils attendent que 
les deux favoris se découvrent car là, 
ils seront tous battus"
   - GILBERT DUCLOS-LASSALLE

YOHANN HAUTBOIS

BRUGES – Le peloton va s’élancer aujourd’hui pour 268,9 kilomètres et 19 monts (pavés ou non) qu’on appelle gentiment ici, en Belgique, des berg mais peutêtre n’est-ce rien en comparaison des deux seules vraies difficultés que vont affronter les mortels attendus au départ de Bruges : Tadej Pogacar et Mathieu Van der Poel. Parce que, dans des styles différents, le meilleur coureur de la planète et le meilleur coureur des classiques sont injouables?

C’est ce que pense Tom Steels, le directeur sportif de Soudal-Quick Step : « Ils sont un peu hors catégorie si la course est normale, qu’il n’y a pas de chute quand ils bataillent. Ou alors il faut anticiper mais s’ils te rejoignent, quand ils sont entre eux, ce n’est pas facile. Mads Pedersen est fort, Filippo Ganna aussi, il y en a toujours un ou deux capables d’être là à 110 %. Mais même si les deux autres sont à 95 %, ils sont quand même audessus.»

L’avis du dirigeant belge englobe les deux courses, le Ronde aujourd’hui et Paris-Roubaix la semaine prochaine, mais on imagine que le scénario du premier impact aura une incidence sur le second, huit jours plus tard. En attendant, Frédéric Guesdon, vainqueur de Roubaix en 1997 et sixième sur le Tour des Flandre sen 2003, dessine un éventuel scénario alternatif, sans grande conviction : « Il suffit qu’un des deux ne soit pas bien et que l’autre ne le sache pas. S’ils sortent tous les deux, que celui qui est moins bien ne roule pas, l’autre va penser : « Il ne roule pas parce qu’il veut m’enrhumer après, alors je ne roule pas non plus. » D’autres coureurs peuvent peut-être en profiter mais je n’y crois pas trop (rires). Parce qu’ils n’ont peur de personne, à part d’eux-mêmes.»

Bien sûr, il reste quelques doux rêveurs, des adeptes de l’autopersuasion, comme Steven De Jongh – qui est directement concerné puisque directeur sportif de Mads Pedersen chez Lidl-Trek (« c’est une longue course, il peut se passer tellement de choses. On va la disputer pour la gagner» )–ou d’autres, comme Gilbert DuclosLassalle, double vainqueur de L’Enfer du Nord 1992 et 1993, rescapé du Ronde apocalyptique de 1985 : « Attention, vous avez vos deux coureurs à cinq étoiles mais il y en a qui peuvent tirer les marrons du feu. Un garçon comme Mads Pedersen, s’il part, qui va faire l’effort pour aller le chercher ? C’est l’opportunité des coureurs à 4 étoiles (nous n’en avons pas mis dans nos pronostics) de partir pour obliger les deux autres à rouler. Certains peuvent décrocher le gros lot. Valentin Madouas connaît le Tour des Flandres, il a déjà fait podium (3 e en2022). Il ne faut pas qu’ils attendent que les deux favoris se découvrent car là, ils seront tous battus.»

Très peu de témoins citent Wout Van Aert et ses grands rêves de Ronde alors qu’on ignore tout de sa réelle forme entre son placement hasardeux à Harelbeke et son sprint imperdable mais perdu face à Neilson Powless lors d’À Travers la Flandre. Mads Pedersen, en pleine bourre depuis le début de saison, a plus d’adorateurs mais après sa troisième victoire à Gand-Wevelgem, luimême oscillait entre une forme de réalisme (« Gand est la course qui me convient le mieux parce que cela ne grimpe pas trop », sousentendu contrairement au Ronde) et son intuition d’un truc à tenter. En partant de loin ? «Oui, mais maintenant, la course s’ouvre de plus en plus tôt et les favoris partent aussi de plus en plus tôt. Et je ne vais pas y aller à 140km de l’arrialors vée, ça n’a aucun sens. Mais je ne peux pas juste attendre de voir ce que font les autres. Si j’essaie juste de les suivre, on l’a vu au GP E3 (avec Van der Poel) ce que cela a donné, il m’a lâché dans le Vieux Quaremont. » Le Danois, champion du monde en 2019, ne voulait pas non plus trop compter sur les autres équipes qui « ont leur propre plan. Nous avons le nôtre. Les directeurs sportifs élaborent les tactiques et je suis presque sûr qu’elles sont assez proches les unes des autres.»

Ce qui réduit encore le champ des possibles pour les vainqueurs inattendus du Tour des Flandres. Sauf à envisager une approche pas très réglementaire évoquée par le coureur de Soudal-Quick Step, Yves Lampaert, « partir avant le départ » (rires). Cela se tente.

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P. L. G., à Bruges.
Kopecky veut sa revanche

Battue l’an passé sur ses terres par Elisa Longo Borghini, la championne du monde Lotte Kopecky veut renouer avec le fil de son histoire aujourd’hui, elle qui a déjà remporté à deux reprises le Tour des Flandres, en 2022 et 2023. Si l’Italienne semble plus en forme que Kopecky depuis le début de la saison, la Belge misera sur sa connaissance du terrain et l’appui du public qui compte sur elle pour porter les couleurs de la Belgique alors que, chez les hommes, plus aucun Belge ne s’est imposé depuis Philippe Gilbert en 2017.

Kopecky – qui a raté le coche à Milan-San Remo (9e) il y a deux semaines et mercredi À Travers la Flandre (2e) où Longo Borghini avait pris le large avant une arrivée au sprint – a annoncé la couleur, elle vise le triplé. Le parcours du Ronde se prête à des attaques, et la championne du monde pourra compter sur sa coéquipière de SD Worx Anna Van der Breggen de retour à la compétition et qui a montré face à Demi Vollering aux Strade Bianche qu’elle a encore des arguments. Si la leader néerlandaise de FDJ-Suez ne sera pas au départ, la vainqueure du Tour de France 2024 Katarzyna Niewiadoma sera bien là après sa 2e place l’an passé, mais aussi Pauline Ferrand-Prévot avec en soutien sa coéquipière de Visma, Marianne Vos, finalement engagée, alors qu’elle était malade et qu’elle avait dû déclarer forfait à Waregem mercredi.

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