LAVENU VERS LA FIN DE L’HISTOIRE


Le fondateur et patron historique de l’équipe aurait été notifié de son licenciement après le Tour de France par la nouvelle direction de Decathlon-AG2R La Mondiale. Une aventure qui s’achève dans la douleur au bout de trente-deux ans.

22 Aug 2024 - L'Équipe
ALEXANDRE ROOS et MANUEL MARTINEZ

"Les entreprises monomanagériales, 
avec tout le mérite qu’a eu Vincent, 
avec les années difficiles qu’il a 
dû passer à boucler des budgets, 
elles ne survivront pas dans 
l’hyper-professionnalisation du sport"
   - DO'MINIQUE SERIEYS, 
     DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ÉQUIPE DECATHLON-AG2R LA MONDIALE

Vincent Lavenu savait bien que son avenir était compté dans son équipe, la plus ancienne de l’élite française, celle qu’il avait créée en 1992 en s’associant à un charcutier du Jura, Alain Chazal. Qu’à 68ans, il serait bientôt temps de songer à la retraite. Les dernières évolutions de DecathlonAG2R La Mondiale pointaient dans ce sens mais, en attendant, il continuait d’incarner la vitrine de sa formation, celui à qui on tendait les micros ou les enregistreurs à l’arrivée des courses pour dresser un bilan, parler d’un coureur.

Lavenu n’avait, en revanche, pas anticipé que les choses se précipiteraient de la sorte. Selon nos informations, dans les jours qui ont suivi la fin du Tour de France à Nice, le 21juillet, le manager historique aurait été notifié par courrier de l’ouverture d’une procédure de licenciement à son encontre. Il lui aurait alors été demandé de rendre son téléphone et son ordinateur professionnels ainsi que sa voiture de fonction.

La semaine suivante, il aurait été convoqué par Dominique Serieys, le nouveau directeur général, et Philippe Chevallier, secrétaire général et responsable des ressources humaines, que Lavenu avait luimême recruté fin 2015 en tant qu’adjoint, pour lui signifier son licenciement. À l’issue de cet entretien, il aurait été pris d’un malaise qui a nécessité l’intervention des pompiers. Ces derniers se seraient déplacés au service course de l’équipe, à La Motte-Servolex, à côté de Chambéry (Savoie), mais ils n’auraient pas eu à transporter Lavenu. Depuis, le Haut-Alpin aurait pris les services d’un avocat de la région lyonnaise.

Des reproches à son encontre dans l’affaire Bonnamour

Selon nos informations, la direction actuelle reprocherait notamment à Lavenu de ne pas les avoir informés assez rapidement de la procédure antidopage qui avait été ouverte contre Franck Bonnamour, suspendu par l’Union cycliste internationale depuis le 5février en raison d’anomalies sanguines dans son passeport biologique, et qui a été licencié par son équipe le 26mars. Lavenu aurait ainsi tardé à prévenir ses nouveaux patrons de la situation du coureur. Hier, nous n’avons réussi à joindre ni Dominique Serieys ni Vincent Lavenu. Ces derniers jours, ce dernier avait disparu de l’organigramme de l’équipe publié sur le site Internet de Decathlon-AG2R La Mondiale alors que, jusque-là, il y était présenté comme le manager sportif.

Un premier déclassement intervenu il y a un peu plus d’un an, en juillet 2023, au moment de l’arrivée dans l’équipe de Dominique Serieys en tant que nouveau directeur général. Cette nomination par la direction d’AG2R La Mondiale avait entériné la perte de pouvoir de Lavenu dans sa propre maison, mais les remous avaient débuté pour lui plus de deux ans plus tôt. En 2020, pour continuer à faire évoluer sa structure, ne pas perdre pied dans la concurrence avec les formations les plus puissantes, il décide de faire construire de nouveaux locaux pour le service course. Il a alors l’appui de ses deux principaux partenaires de l’époque, AG2R La Mondiale et Citroën.

Lavenu lance son projet, s’endette personnellement, mais les ennuis vont débuter. Le constructeur automobile, qui avait pourtant signé pour cinq ans, active rapidement sa clause de désengagement. La compagnie d’assurances nomme un nouveau directeur général, Bruno Angles remplace André Renaudin, et ce changement aura un impact important sur la relation avec l’équipe cycliste. Vincent Lavenu au côté de Romain Bardet lors du Tour de France 2017, que l’Auvergnat finira sur la troisième marche du podium.

Fini la bienveillance d’un partenariat entamé en 1997, dans lequel les patrons voyaient un investissement, mais aussi un dada, leur "violon d’Ingres", place à la froideur du tout business. Devant la fragilité de la situation, AG2R La Mondiale pose ses cartes sur la table: ou ils rachètent France Cyclisme, la structure mère de Vincent Lavenu depuis 1992, ou ils s’en vont. Le prix avancé en CSE en juin 2022 estomaque certains participants à la réunion, notamment un des deux coureurs: 8000€ pour racheter le capital. En juillet dernier, Dominique Serieys justifiait ainsi ce changement de stratégie: «Les entreprises mono-managériales, avec tout le mérite qu’a eu Vincent, avec les années difficiles qu’il a dû passer à boucler des budgets, elles ne survivront pas dans l’hyper-professionnalisation du sport» , avait-il confié.

Lavenu est piégé. Coincé entre la volonté d’une entreprise puissante, dont le départ serait un désastre dans un contexte économique où il est compliqué de trouver des partenaires solides, et sa centaine de salariés dont il doit protéger les emplois. Le rachat est donc acté. Le fondateur est maintenu à son poste de directeur général mais, en réalité, il n’est déjà plus qu’un exécutant. Il paraphe un avenant à son contrat qui lui ôte tout pouvoir de signature, le centre de décision est transféré à Paris, d’où AG2R La Mondiale lance également un audit.

Il pensait partir en retraite en fin de saison, en douceur

Cette période de transition aboutira à la nomination de Serieys et à la rétrogradation formelle de Lavenu. Et à un choc des cultures entre la petite boutique familiale dirigée par un diplômé en comptabilité, où l’on est souvent autant collègues que copains, où nombreux sont ceux qui ont plus de trente ans de boîte, et le management moins sentimental d’une grande entreprise.

Si beaucoup, même parmi les anciens, jugeaient les bouleversements nécessaires, ne serait-ce que pour suivre les accélérations du World Tour, ils sont tout autant à regretter leur brutalité. Des membres du staff parmi les assistants, chauffeurs, mécaniciens ont ainsi préféré partir l’hiver dernier, parfois encouragés à le faire. Au moins deux salariés ont saisi le conseil de prud’hommes contre l’équipe, dont un directeur sportif depuis 1994 et une employée des services administratifs avec plus de trente ans d’ancienneté.

C’est dans ce contexte général de renouvellement, de rupture avec le passé que s’inscrit le départ de Vincent Lavenu. Un départ que Dominique Serieys avait d’ailleurs esquissé quand nous l’avions rencontré sur le Tour de France: «Je pense que de toute façon, dans un délai qui sera décidé ensemble avec Vincent, ben voilà, c’est la vie, on doit tous penser à la suite pour l’équipe, personne n’est indispensable.»

Lavenu avait quant à lui confié à des proches qu’il pensait partir à la retraite en fin de saison, en douceur. Il avait des rêves pour ses filles. Il avait espéré un temps que Magalie puisse avoir des responsabilités dans l’avenir de la structure, mais elle a quitté cette année son poste au département stratégie et développement. Il imaginait désormais que Nina, la seule de ses quatre filles à courir, puisse faire partie de son équipe si une section féminine était fondée.

Un tournant majeur pour le cyclisme français

Restent les murs du service course, dont il est toujours propriétaire et qu’il loue à AG2R La Mondiale. Un bruit insistant prêterait à la compagnie d’assurances l’intention de mettre l’équipe sur de bons rails avant de la céder à Decathlon et de déplacer son centre névralgique vers le Nord. «Sincèrement, à date, ce n’est ni dans les tuyaux ni dans une projection à court ou moyen terme, nous disait Serieys en juillet. Ce qui a été fait, c’est de consolider, pérenniser France Cyclisme. Le partenariat avec Decathlon et Van Rysel est sur une durée de cinq ans, rien n’est exclu, mais il ne faut pas brusquer les choses. À ma connaissance, comme je le disais, ce n’est pas dans les tuyaux.»

En attendant, même si l’équipe a pris un nouveau virage depuis quelques mois et que d’autres départs de membres historiques ne sont pas à exclure, la fin de l’aventure pour Lavenu marquerait un tournant majeur, pour sa formation et au-delà. Avec son départ, c’est un peu de l’équipe ChazalVanille et Mûre, des victoires de l’Estonien Jaan Kirsipuu, du podium hors du temps dans le Tour 2014 de Jean-Christophe Peraud, du panache de Romain Bardet qui partiraient. Beaucoup de l’âme de son équipe. Un gros morceau de l’histoire moderne du cyclisme français.

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