Flahute, alors?
Mads Pedersen, ici sur le GPE3 à Harelbeke vendredi,
qu’il a fini à la 2e place derrière un Mathieu van der Poel impérial, pourrait être qualifié de flahute.
Il est aujourd’hui l’un des grands favoris de Gand-Wevelgem,
qu’il a remporté à deux reprises (2020 et 2024).
Le « flahute », ce coureur flandrien taillé pour le vent, la pluie et les pavés, est moins présent sur les classiques dont les parcours ont évolué et sourient de plus en plus aux petits gabarits.
S’il était belge, Mathieu van der Poel serait le flahute parfait au Plat Pays, Mads Pedersen, vainqueur l’an dernier de Gand-Wevelgem, s’en rapproche aussi
30 Mar 2025 - L'Équipe
YOHANN HAUTBOIS
LEDEGEM (BEL) – Rien n’a vraiment changé et il y a un peu plus de vingt ans, déjà, Philippe Bouvet, plume de L’Équipe, se posait la question du «flahute», son sens comme sa survie: «Mis à part une évidente connotation rugueuse et même un peu rustique, on n’ a jamais su vraiment donner une irréprochable définition du terme.»
Dans l’imaginaire de ce sport mémoriel, on revoit de sacrés morceaux, des coureurs «avec de bons fessiers. À un moment, tu te demandais s’ils étaient haltérophiles ou cyclistes, sourit Martial Gayant que son équipier Charly Mottet surnommait déjà « le flahute » malgré son physique filiforme. Les Flandriens pouvaient prendre dix kilos l’hiver, ça ne les gênait pas. »
Deuxième du Tour de Lombardie en 1991, Gayant a passé une saison chez les Belges de Lotto en 1992, mais il gravitait dans les kermesses depuis dix ans déjà et, selon lui, c’est ici, sur ces épreuves où l’on cachetonnait sur 160 kilomètres, que le néo-pro apprenait le métier: «Les Belges ne faisaient pas de cadeau. Pas de respect, pas de politesse. Les mecs, s’ils pouvaient te mettre dans la caillasse…»
Pour Nico Mattan, le profil de Flandrien, comme on l’entendait, aurait disparu. Vainqueur de Gand-Wevelgem il y a pile vingt ans – ce qu’il fêtera aujourd’hui sur le mont Kemmel (mais il avait commencé hier l’apéro après avec une virée de 100 kilomètres «envéloélectrique, mais j’ai quand même mal aux jambes, c’est con »)- le coureur belge estime que le « Flandrien n’existe plus. Le dernier, c’est qui ? Tom Boonen, Johan Museeuw. Lui courait toutes les courses dans le coin et il gagnait tout jusqu’à Paris-Roubaix. Aujourd’hui, ils passent leur temps à Tenerife plutôt qu’en Belgique. Wout VanAert n’est pas un flahute!» Ce qui nous ramène à la quête de la définition: « C’est quelqu’un qui habite en Flandres, qui aime les pavés, prendre la pluie la gueule ouverte, poursuit Mat tan. C’ est un guerrier. Freddy Maertens, mon idole, était un vrai Flandrien, il vivait près de la mer alors il allait prendre le vent.»
Né à Saint-Méen-le-Grand, Frédéric Guesdon voyait moins souvent les embruns, mais le vainqueur de l’Enfer du Nord en 1997 ne peut pas renier son physique de flahu te, àl’ ancienne :« J’ aimais les pavés, frotter, avoir une bonne connaissance du parcours. Et puis je ne grimpais pas. Si je voulais réussir chez les pros, c’était le genre de course que je devais aimer. Je sentais que j’étais fait pour ça.»
Dix-sept Roubaix au compteur, seize Ronde, le Breton, directeur sportif chez Groupama-FDJ, sait de quoi il cause et, lui aussi, a vu le profil des coureurs de classique évoluer: «à mon époque, on avait peut-être plus des balèze s comme on dit. Il yen a encore quelques-uns, mais maintenant on a plus des petits grimpeurs. Même s’il y avait quand même des mecs qui grimpaient un peu, un Marc (Madiot), un Martial (Gayant) ou un (Frank) Vandenbroucke. Ils étaient punchy comme peuvent l’être Julian Alaphilippe ou Valentin (Madouas) chez nous.»
S’il était belge, Mathieu Van der Poel serait le flahu te parfait au Plat Pays, MadsPed ers en, vainqueur l’an dernier de Gand-Wevelgem, s’en rapproche aussi, alors que Filippo Ganna mue vers un coursier dédié à Roubaix où la libellule Tadej Pogacar a programmé de s’inviter le 13avril. Car le cyclisme a évolué, le matériel (« les pneus de 32 au lieu de 25 permettent aux poids plume d’être moins secoués maintenant qu’avant », observe Guesdon) comme l’approche globale du vélo. Le cyclisme belge a ainsi pendant des années privilégié des coursiers taillés comme des mammouths mais, pour Greg Van Avermaet, «la Fédération a joué un rôle très important en dénichant des grimpeurs dans les Ardennes, pas seulement les coureurs de classiques comme avant».
Philippe Gilbert en a profité et, sans être gaulé comme un menhir, le Wallon est parvenu à s’imposer à Roubaix (2019) après avoir vaincu le Tour des Flandres (2017), plus dans son style. D’ailleurs, les parcours ont bougé, avec plus de dénivelé dans les cent derniers kilomètres d’un Ronde par exemple (depuis 2012 et l’arrivée à Audenarde, le peloton avale le Vieux Quaremont trois fois, le Paterberg deux fois).
Si le revêtement favorisait également les bulldozers du peloton (« les flahutes adoraient rouler sur les bandes de béton, avec les rails de tramway », se remémore Martial Gayant), Gand-Wevelgem aujourd’hui, le Tour des Flandres dans une semaine et Roubaix à suivre ne seront quand même pas des chemins de roses. Y seront forcément sacrés des costauds, peu importe leur poids, leur nationalité et la taille de leur fessier.
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«Il faut être un peu dur dans la tête»
30 Mar 2025 - L'Équipe
Y. H., à Gand.
Oliver Naesen, habitué des classiques, est bien placé pour parler du profil particulier des « flahutes ».
"C’est devenu plus une course pour des grimpeurs"
Né à Ostende il y a 34 ans, Oliver Naesen est un Flandrien pur sucre, assez grand (1,84 m), mais beaucoup plus léger que les flahutes passés, dont son idole, Tom Boonen (1,92 m, 82 kg au temps de sa splendeur). Le coureur de Decathlon AG2R, trois fois 7e du Tour des Flandres, a vu l’évolution du profil des spécialistes des classiques, au fil des parcours, du progrès technique et du changement de mentalité des « petits » gabarits qui n’ont plus peur de se frotter auxpavés.
«C’ est quoi un flahu te?
C’ est plus un profil. Ce n’ est pas forcément quelqu’ un qui est né ici. Il a du punch, évidemment il est résistant, car il faut savoir répéter les efforts. Et il faut être quand même un peu dur dans la tête. Ma première courseWorld Tour, c’ était ce fameux GandWevelgemde 2015 avec ce vent extrême, quand tout le monde finissait dans le fossé. Donc je n’ oublierai jamais, ça c’ est sûr (sourires).
Vous étiez demandeur?
Bien sûr, mais c’ est aussi mon profil. Si on me regarde, on ne peut pas me mettre sur le mur de Huy. Donc, rapidement, je me suis position né sur les classiques. J’ habite ici, je connais les routes parcoeur.C’ est le dernier terrain de jeu qui n’ est pas 100% watt par kilo encore, contrairement aux chronos ou à la montagne où il faut faire 65 kg pour exister.
Le profil du Flandrien a-t-il évolué?
Oui, les coureurs lourds n’ existent plus et les puncheursgrimpeurs viennent un peu dans le jeu. C’ est surtout le niveau des petits maigres qui a monté ces dernières années. Quelqu’ un de 85 kg ne pourra plus exister sur les classiques. Par exemple un Aurélien Par et-Peintre qui a couru leGPE 3 avec nous, je pense que s’ il se mettait à faire des classiques, très rapidement, il serait meilleur que moi parceque son niveau global est élevé et qu’ il a la vis ta de la course. Il voit les espaces dans le peloton, où ça va s’ ouvrir et il a de lagic let te. Ce n’ est pas forcément tout à la jambe, c’estaussilatête.
Le matériel a-t-il participé à cette évolution du Flandrien?
Avant, on roulait sur des pneus de 25, aujourd’ hui on est en 32, on réfléchi taux 35! Avec un 25, sur les pavés, tu sautes d’ un caillou à l’ autre, c’ est tellement plus dur. Un Carrefour del’ Arbre, il y a 20 ans, le peloton le passait à38km/h, là on le passe à 48 je pense. Sur un pneu de 25, un gars de 60 kg aurait bien plus de ma là passer ce secteur.
Les parcours aussi ont changé…
Le Ronde est quand même vraiment dur par rapport à l’ arrivée à Ninove. Si on avait gardé le parcours du Tour des Flan dr es, il y aurait une très grande chance que ça arrive avec 50 coureurs. C’ est sûr que c’ est devenu plus une course pour des grimpeurs qu’ auparavant. Si Tom Boonen était né quinze ans plus tard, ça aurait encore été un grand coureur bien sûr, mais pas si grand qu’il l’a été.»
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Magnier, apprenti Flandrien
Et son équipe, Soudal-Quick Step, voit en lui un futur coureur de classiques.
"C’est un grand talent. Bien entouré. Intelligent.
Sa famille le considère comme un fils, pas comme un champion"
- JURGEN FORÉ, MANAGER DE SOUDAL-QUICK STEP
30 Mar 2025 - L'Équipe
PIERRE CALLEWAERT (avec Y. H.)
PIERRE CALLEWAERT (avec Y. H.)
WEVELGEM – Sur le podium du Samyn, Mathieu van der Poel ne cachait pas son enthousiasme. Après avoir gagné sa semi-classique de rentrée, il avait rendu hommage au jeune Français qui l’avait talonné. «Effrayantes ! », avait-il lâché sur les puissances en watts de Paul Magnier, 20ans, dont il avait eu vent: « Paul est encore très jeune. Faire un sprint contre quelqu’un de nouveau, c’est assez excitant. » Tim Merlier avait même confié à van der Poel que le chiot s’était aiguisé les canines sur lui en stage :« Le petit Paul, il marche pas mal !» Quelques jours plus tôt, on l’avait vu frapper son guidon, frustré de faire deuxième d’un Nieuwsblad qu’il aurait bien croqué aussi.Paul Magnier, lors du Nieuwsblad qu’il termina à la 2e place le 2 mars, se plaît sur les classiques.
Emporté dans le carnage de Brugge-La Panne mercredi, Merlier, six victoires en 2025, a hésité à prendre le départ de Gand-Wevelgem avec des points de suture sous le genou droit. S’il est à Ypres le pion le mieux armé pour jouer la victoire sur une course brutale, le voilà donc flanqué d’un des apprentis flandriens de Soudal-Quick Step. Du genre doué: il y a un peu plus d’un an, en Espagne, première course pro, première victoire. Il en compte six, dont trois étapes du Tour de Grande-Bretagne, cornaqué grand luxe par Remco Evenepoel et Julian Alaphilippe. Ou son coup de massue sur Jordi Meeus dans l’Étoile de Bessèges, au sommet de la côte de Bellegarde.
Pas mal pour un coureur qui confie dans Vélo Magazine qu’il «détestait la route». Il préférait le tennis et le ski. Puis le VTT, pour défier son père sur les sentiers autour de chez lui, à Varces-Allières-et-Risset, au sud de Grenoble. La route l’a rattrapé dès 2020, puis sous le maillot de Charvieu-Chavagneux, en U18, quand ses 64kg (79 aujourd’hui, pour 1,87m) auguraient un avenir de grimpeur.
Mag nier ne se dit pas sprinteur, ou pas tout à fait. Jurgen Foré, manager de SoudalQuick Step: «Paul a un type flandrien. C’est un beau coureur, comme Wout Van Aert ou Mathieu Van der Poel. Il sera plus un coureur de classique qu’un pur sprinteur.» Wilfried Peeters, directeur sportif l’a comparé à son poulain, Tom Boonen, pas moins. Tom Steels, pareil: «Il a la carrure, il peut passer les classiques sans problème.»
Soudal-Quick Step, qui moissonnait autrefois ses victoires sur les pavés, mais dont les derniers succès dans les Flandriennes remontent déjà à 2021 pour le Ronde (Kasper Asgreen) et 2019 pour Roubaix (Philippe Gilbert), garde Magnier sous couveuse. Et on pressent le bon gars derrière le sourire :« C’ est un grand talent, ditForé. Bien entouré, intelligent. Sa famille le considère comme un fils, pas comme un champion. On peut avoir des discussions intelligentes avec lui.»
Pas question de cramer celui qui pourrait bientôt prolonger son contrat : « On aime quand il gagne, bien sûr. Mais j’aime l’idée qu’il apprenne quand il perd. Certaines fois, il va nous surprendre et d’autres, il va souffrir, comme à Tirreno. » Deux chutes l’avaient éreinté et il avait dû zapper Milan-San Remo.
Sur le site de son équipe, Magnier dit attendre Gand-Wevelgem «avec impatience». Puis À Travers la Flandre, mercredi. « Si je ne suis pas trop fatigué, dit-il à Vélo Magazine, on tirera peut-être jusqu’au Tour des Flandres. » Il découvrira le Giro, en mai, pour gagner des sprints en encaissant du dénivelé. Paris-Roubaix, ce serait logique, mais pour plus tard. Il veut « quelques années » pour s’y préparer. Magnier a le temps. Il marche pas mal.
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