Face à Arsenal, un PSG ultra connecté
Le Parisien Vitinha dans les bras de Bradley Barcola
et suivi d’Ousmane Dembélé, le 19 février au Parc des princes.
«Faire en sorte que les joueurs restent connectés entre
eux sur l’ensemble de la saison est sans aucun doute
le plus grand défi des entraîneurs.»
- Luis Enrique Coach du Paris-SG
Amputé de son invincibilité en Ligue 1 après sa défaite contre Nice vendredi, le club sonde ses ressorts collectifs et ses qualités individuelles avant d’affronter Arsenal à l’Emirates Stadium de Londres ce mardi, en demi-finale aller de la reine des coupes européennes.
29 Apr 2025 - Libération
Par Grégory Schneider
Du shadow football. Le 22 décembre, au stade Félix-Bollaert de Lens, le Paris-SG était de la revue en Coupe de France et les spectateurs avaient alors sous les yeux un échauffement étrange et fantomatique, à contresens de tous les chemins consacrés pavant la montée en agressivité d’une équipe de foot jusqu’au coup d’envoi. Ailleurs, partout, les joueurs en terminent avec un toro, une circulation de balle sous pression dans un espace réduit. On stimule ainsi la réactivité, l’oeil. Marquinhos et consorts occupaient à l’inverse tout le demi-terrain. Disposés dans leur configuration habituelle du 4-3-3 (quatre défenseurs, trois milieux, trois attaquants dont deux excentrés) aussi précisément que des aimants sur un tableau magnétique. Et personne ne pressait pour contrarier leur jeu de passes: une opposition imaginaire, un monde intérieur et perché. Que l’on imagine habité par la doxa de leur entraîneur Luis Enrique et tout ce qui en découle, et qui vaut son pesant de conviction (le coach) et de croyances (les joueurs) à mesure que la caravane parisienne emprunte les itinéraires bis. Mais bon sang, qu’estce qui les lie ?
Fable d’Ésope et raisins verts
Battu (1-3) vendredi au Parc des princes contre l’OGC Nice, c’est un Paris-SG délesté de son invincibilité en Ligue 1 qui se déplace ce mardi à l’Emirates Stadium d’Arsenal, en demi-finale aller de Ligue des champions. Il traverse une période un peu floue, ce qui grandit encore le totem qu’il brandit depuis le début de la saison : où que l’on se tourne, la question collective écrase tout le reste. Elle fut tout d’abord politique, avec la volonté de Doha de communiquer cet été autour d’une équipe soudée, avec des forces réparties. L’idée était d’abord d’habiller le départ de Kylian Mbappé pour le Real Madrid, un peu la fable d’Esope où le renard fait mine de trouver trop verts des grappes de raisins inaccessibles. Et, au-delà, de régler quelques comptes avec des superstars (Neymar, Angel Di María et Lionel Messi en plus du Français) n’en faisant qu’à leur tête.
Neuf mois plus tard, on peut considérer que le message est passé. Si certains joueurs ont grondé et grondent encore au fil des impulsions de leur entraîneur ou des négociations contractuelles, et on parle là d’un Ousmane Dembélé ou d’un Gianluigi Donnarumma qui ont établi les succès du club sur le front européen cette saison, aucun ne s’est épanché devant un micro. Ni même sur ses réseaux sociaux par proches (agent, épouse) interposés. Gageons que les dirigeants qataris y voient une évolution salutaire. Ils peuvent d’ailleurs voir venir avec sérénité car le jeu, c’est-à-dire le réel, est venu créditer leur nouvelle démarche. Le demi-marathon qui a séparé les joueurs d’Arsenal de leurs homologues madrilènes en quart de finale (3-0 puis 2-1 pour les Londoniens, qui ont couru 22,5 kilomètres de plus sur la double confrontation) a torpillé et ridiculisé l’idée d’une équipe bâtie sur un empilage de superstars. Et les datas qui tombent après chaque match de l’Inter Milan, en déplacement à Barcelone mercredi dans l’autre demi-finale, embrasent la fine fleur des entraîneurs européens qui y voient les prémices du monde de demain.
Lutter contre son instinct
Lacunaire sur son vestiaire et les équilibres mouvant qui y règnent, Luis Enrique s’exprime en revanche volontiers sur son approche : «Faire en sorte que les joueurs restent connectés entre eux sur l’ensemble de la saison est sans aucun doute le plus grand défi auquel sont confrontés les entraîneurs, expliquait-il la semaine dernière. C’est une préoccupation
quotidienne, qui s’étale sur des mois. Et cette connexion est très difficile à obtenir. On a besoin de 16, 18, 20 joueurs connectés pour tenir nos objectifs. J’aime connecter le plus grand nombre de joueurs possibles.» Pas de tout repos dans une équipe dont il a, quoi qu’il raconte, gravé la hiérarchie dans le marbre : douze joueurs se partagent les onze postes de titulaires dans les matchs qui comptent depuis trois mois, la marge dont dispose le Paris-SG sur la concurrence en Ligue 1 lui permettant de lâcher du temps de jeu contre Le Havre AC ou le SCO Angers au petit peuple du vestiaire. Dont fait partie l’attaquant sud-coréen Lee Kang-In. Lequel s’est retrouvé, à sa grande surprise, à batailler à la récupération après que l’Asturien l’a aligné au poste de milieu de terrain défensif.
«Avec le ballon, il a de grandes aptitudes, que ce soit dans le jeu court [les passes courtes et le jeu combiné, ndlr] ou long, a détaillé l’entraîneur parisien. Quand il joue à ce poste, il faut compenser de manière défensive grâce au travail d’autres joueurs. L’idée, c’est d’essayer avec lui comme avec les autres de le sortir de sa zone de confort. Je veux que les joueurs explorent leurs capacités mentales. Justement parce que ce sont des positions qu’ils n’aiment pas. Ça leur apporte beaucoup.» Et voilà, très exactement, le coeur nucléaire de la saison parisienne et de ce qui se trame depuis des mois dans le vestiaire du mastodonte. On parle d’abord de la nécessaire croyance du joueur, tenu de lutter contre son propre instinct et suivre en aveugle un coach qui s’emploie à le fragiliser. Puis, d’une ouverture à l’altérité.
«Je me trompe assez peu souvent»
Et cette altérité, c’est ce que le joueur ne contrôle pas. Dans l’idée de Luis Enrique, elle a tous les visages. Un poste inhabituel, demandant des qualités de puissance alors que justement, le joueur en question en manque. Un équipier dont il faut compenser les déplacements, voire les défauts. Une configuration de match, comme la domination anglaise dans les airs qui ont conduit Donnarumma à voler au secours de ses défenseurs pendant deux heures lors du huitième de finale retour à Liverpool.
Un grand attaquant français nous expliquait un jour ne rien comprendre à la croyance, profondément ancrée dans le grand public français et entretenue à longueur de talkshows, qui rhabille un tacle en geste «collectif» alors qu’un but est considéré comme égoïste, «comme si un tacle avait ne serait-ce qu’une fois fait plus de bien à une équipe qu’un but», avait-il grincé. Pour lui, dans une optique disons généreuse pour le prolétariat du football, les deux pouvaient à la rigueur se valoir. Une façon de dire que c’est le puzzle qui compte, soit la manière dont les pièces s’emboîtent. Ainsi, le coach parisien n’en fait pas une affaire d’aptitude individuelle, mais d’état d’esprit. Entendu comme la capacité du joueur à sortir de lui-même pour se «connecter» à l’extérieur. Ses équipiers, les intuitions et règles de son entraîneur, les situations de jeu s’offrant à lui.
Ce qui pose la question, aveuglante depuis deux semaines et les deux défaites (2-3 à Birmingham le 15 avril contre Aston Villa, 1-3 en plus de celle devant l’OGC Nice) essuyés par les tout frais champions de France, de la valeur individuelle des joueurs parisiens quand leur équilibre collectif est balayé (Villa) ou contrarié (Nice). Comme d’autres, le milieu Vitinha, en grande difficulté, s’est retrouvé dans la tempête. Il n’en est pas sorti depuis, contraignant son entraîneur à monter sur la ligne de front médiatique pour le défendre : «Il est l’un des meilleurs joueurs du monde à son poste, sans aucun doute. Je ne vois pas de meilleur milieu de terrain que lui. Je peux me tromper mais je me trompe assez peu souvent.» Plus qu’une solidarité de façade puisque, avec quarante et un matchs au compteur cette saison, le Portugais est le milieu de terrain le plus utilisé du club avec l’Espagnol Fabián Ruiz. Quand il était son voisin de vestiaire il y a deux ans, Messi prenait pourtant Vitinha pour une bille. Et il est clair que l’octuple ballon d’or sait «lire» un joueur. Reste à savoir où poser les yeux. Après Birmingham, le coach de l’Olympique lyonnais, Paulo Fonseca, s’est invité dans le débat, pointant dans l’Equipe la qualité de la formation dont Vitinha, poids plume (1,72 mètre pour 64 kilos) dans le contexte féroce du très haut niveau, a bénéficié quand il était gosse au FC Porto: «Ce genre de joueurs, qui comprennent tout seuls ce qui se passe pendant le match, c’est une histoire de formation. En France, vous pensez que vous n’avez pas les joueurs avec les capacités de Vitinha. Mais vous les avez! Simplement, vous ne leur avez pas donné la capacité de lire aussi bien le jeu que lui.» Cette capacité s’apprend jeune. Et correspond, peu ou prou, à une scolarisation du jeu de football. En gros, Vitinha est bon car il a appris sa leçon de lecture de jeu. Il a son magistère de «connexion», lui permettant d’exister à travers les autres. S’il ne s’est pas trouvé grand monde pour comprendre sur le coup comment la sélection espagnole avait remplacé le Ballon d’or 2024 (Rodri) par un anonyme soutier de la Real Sociedad de San Sebastian (Martín Zubimendi) à la mi-temps de la finale du dernier championnat d’Europe, contre les Anglais en juillet, sans la moindre déperdition de niveau, l’explication est assurément là : les deux joueurs se valaient dans l’exécution d’une même grammaire. La situation de jeu ne leur demandait rien d’autre.
La part du joueur et du tout
Mais voilà, arrive toujours un moment où il faut en mettre plus. La grande question est ainsi de savoir si Arsenal jouera assez fort pour mettre les rouages de la mécanique collective parisienne, de Vitinha à João Neves en passant par Désiré Doué ou Bradley Barcola, en situation de devoir aller chercher ce qui leur appartient en propre ; quelque chose entre la classe individuelle, l’expérience et la capacité de réveiller tout ça quand ça tape de partout. On a récemment lancé un entraîneur de Ligue 1 sur la question parisienne et il avait eu un peu de mal avec le grand récit collectif : à son idée, les 24 buts inscrits depuis janvier par Dembélé, divine surprise à l’échelle d’un joueur qui ne marque qu’une fois tous les neuf matchs avec les Bleus, expliquaient beaucoup de choses. L’attaquant n’a plus marqué depuis un mois. Son équipe patine un peu. La part du joueur et du tout, de ce que l’on doit aux autres et de ce qu’on doit à soimême, du talent que l’on cultive partout et de ce qui n’appartient qu’à ceux qui partagent quelque chose à un moment et dans un endroit donné : à ces altitudes, une équipe est forcément à la poursuite d’elle-même. C’est peut-être pour cela qu’il arrive aux Parisiens de s’échauffer sans opposition.
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