Pourquoi les joueurs privilégient les petits protège-tibias
De nombreux footballeurs délaissent les gros protège-tibias. Certains n’en portent même pas, par confort, au détriment de la sécurité.
21 May 2025 Le Figaro
S. F.
Ce soir-là, Michael Olise est passé entre les mailles du filet, même si les caméras de télévision ont capté l’entourloupe. L’international français est entré en jeu avec le Bayern Munich face au PSG, lors d’un match de Ligue des champions le 26 novembre. Quelques minutes plus tard, penché discrètement près du banc bavarois, il a retiré ses protège-tibias et les a lancés hors des limites du terrain. Avant d’entrer sur la pelouse, il se disputait avec le quatrième arbitre qui lui interdisait de jouer sans les protections en question.
L’incompréhension d’olise est le fruit d’une lente évolution sur la question des protège-tibias dans le football. L’objet en lui-même est aussi vieux que de simples armures. Sa création remonterait à l’antiquité, et son implantation dans le sport, notamment ceux de combat, s’est faite il y a plus d’un siècle. En tant que protection dédiée aux footballeurs, le protège-tibia a lentement gagné en popularité au XXE siècle, jusqu’à un tournant en 1990.
Pour sa Coupe du monde, la Fifa a rendu obligatoire le port de protègetibias par les joueurs, dans l’espoir de réduire le nombre de graves blessures au niveau des jambes qui concernaient parfois les plus grandes stars, de Pelé à Maradona, ciblées par des défenseurs pas toujours sanctionnés. « Au début des années 2010, les protège-tibias, c’était encore les gros blocs avec les grosses chevillères », éclaire Thomas Prouteau, journaliste depuis 2015 pour le média footpack, spécialisé dans les équipements.
Depuis près d’une décennie, la tendance est largement à la réduction de la taille des protège-tibias. Aujourd’hui, dans l’esprit des joueurs professionnels, l’objectif n’est non pas la sécurité, mais le confort. « Tu te sens un peu plus libre, moins serré au niveau des jambes », éclaire Maxime Estève, défenseur français de Burnley en D2 anglaise. Le choix épouse à la fois l’évolution du jeu, où on s’attend à ce que même les défenseurs soient fluides dans leurs mouvements et à l’aise balle au pied, et l’arbitrage, la sévérité des sanctions à l’encontre des mauvais tacles s’étant accrue. Ce changement de paradigme chez les arbitres exprimait une volonté de mieux protéger l’intégrité physique des joueurs et surtout des « artistes », favorisant ainsi un football plus spectaculaire.
De manière naturelle, les tacles non maîtrisés façon Roy Keane ou Gennaro Gattuso ont presque disparu. Dès lors, pourquoi s’embêter à se barricader les jambes ? « Le but, c’est que tu te sentes bien, que ce soit confortable », appuie Estève, qui considère ses protège-tibias comme « classiques ». « Le minimalisme est de plus en plus important, surtout chez les jeunes, avance Thomas Prouteau. Ils veulent le plus fin possible, le plus petit possible. »
Certains joueurs évitent pourtant d’aborder le sujet publiquement de peur de se faire taper sur les doigts au sein de leur club. Jouer avec des protège-tibias infimes, voire sans, implique « un risque énorme, surtout quand tu vois les niveaux d’assurance qu’ont les pros », s’étonne Thomas Prouteau. Selon la Charte du footballeur professionnel, en vigueur en France, « il est interdit à un joueur (…) de monter à cheval, de faire du ski, de prendre place dans un avion de tourisme et de pratiquer tout autre sport (telle la pêche sous-marine) sans l’autorisation du président du club après avis de l’entraîneur ». Autant dire qu’une grave blessure en match due à un tibia mal protégé malgré la réglementation passerait mal.
Une réglementation très floue
Le problème, c’est que la réglementation est pour le moins très floue. Dans les lois du jeu édictées par l’ifab (Conseil international du football association), il est dit que les protègetibias doivent être « faits d’un matériau adéquat et être d’une taille appropriée pour fournir une protection raisonnable et être couverts par les chaussettes ». Aucune indication quant au matériau toléré, ni à une éventuelle longueur minimale. « Les joueurs sont responsables de la taille et de l’adéquation de leurs protège-tibias », dit même l’ifab.
La responsabilité revient donc aux arbitres de juger si un protège-tibia fait l’affaire. À la sortie des vestiaires avant le coup d’envoi, ils vérifient aussi l’éventuel port de bijoux, proscrit, et la présence de crampons sous les chaussures, obligatoire. Dans la réalité, un arbitre ne va quasiment jamais regarder de près des protègetibias. Thomas Prouteau se souvient d’un jeune joueur de Ligue 1 qui lui montrait « un petit bout de polystyrène qui faisait 10 cm de haut sur 10 cm de large ». Placé sous la chaussette. Il est facile de tromper un arbitre. Lors de Bayern-psg, Olise avait pu finir la rencontre sans ses protège-tibias et sans la moindre remontrance, preuve d’un laxisme certain sur la question.
Le sujet n’en est d’ailleurs pas vraiment un dans le milieu du football professionnel. Chez les amateurs, en revanche, on trouve encore de grosses protections, mises en vente par les grands équipementiers qui s’adressent au grand public. Des enseignes plus discrètes assument de proposer des « mini-protège-tibias », comme les décrit la marque Joga sur son site internet. Elle se targue de voir certains joueurs de renom en porter, comme Harvey Elliott (Liverpool) ou Ansu Fati (Brighton, exbarça). Si le risque paraît évident, il n’y a pourtant pas de recrudescence de blessures aux tibias ces dernières années. Surtout parce que, on l’a dit, les tacles dangereux sont en voie de disparition. « À l’entraînement, on joue toujours sans », partage Estève.
Et peut-être aussi en match d’ici quelques années. ■
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