Pourquoi le doublé Giro-Tour est-il si dur?


Si peu de coureurs visent la victoire finale en Italie puis en France, comme Tadej Pogacar cette année, c’est parce que le défi est aussi d’éviter la fatigue mentale.

"On peut mesurer la fatigue centrale par des 
questionnaires sur le ressenti, sur l’humeur. 
Des bilans sanguins ne sont pas toujours fiables"
 - JULIEN PINOT, RESPONSABLE DE LA DIRECTION  ENTRAÎNEMENT DE GROUPAMA-FDJ

29 Jun 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL PIERRE CALLEWAERT

D’abord, un constat chiffré. Guillaume Martin, aligné sur le Giro et le Tour de France en 2022: «Si peu de coureurs réussissent le doublé, c’est que peu le tentent.» Au départ de Florence, ce matin, ils ne sont que quinze à sortir du Giro, achevé à Rome le 26 mai. Seuls six seulement l’ont terminé, dont trois dans le top 10: Tadej Pogacar (1er), Geraint Thomas (3e) et Romain Bardet (9e).

«Pourquoi c’est dur? Parce que le Tour est la plus grande course du monde, résume le leader de Cofidis, 10e du Tour 2023. Quand on parle du doublé, c’est surtout pour le Tour qu’il y a un enjeu. Le Giro est le premier de la saison et on l’aborde comme tel. Le Tour est la course la plus importante au monde, donc il y a un risque d’aller au Giro. Si on compare, l’enchaînement Tour-Vuelta est même plus dur parce que la fatigue s’est accumulée sur la saison. Mais mentalement, il est plus facile à aborder parce que le Tour est déjà passé.»

Depuis vingt-six ans et la double victoire de Marco Pantani en 1998, gagner en Italie puis en France est un monstre à deux têtes qui refroidit le cyclisme moderne, supposé plus propre, et plus pointu sur la science de la performance. Preuve de ce paradoxe: depuis six ans, aucun vainqueur du Giro ne s’est aventuré sur le Tour de France avant Tadej Pogacar aujourd’hui. Alberto Contador, 5e Tour 2015, et Chris Froome, 3e 2018, sont les derniers maillots roses s’étant maintenus dans le top 10 du Tour.

Dumoulin, presque aussi bien

Cette même année 2018, Tom Dumoulin terminait les deux courses à la 2e place, seul homme à faire aussi bien sur l’un et l’autre tour depuis Pantani. Adriaan Helmantel, aujourd’hui entraîneur de Louis Meintjes, avait planifié la saison 2018 du Néerlandais, vainqueur du Giro en 2017, et disposait exceptionnellement de quarante et un jours entre les deux tours pour résoudre l’équation: comment récupérer d’un grand Tour de trois semaines épuisant, montagneux, et atteindre à nouveau le fameux pic de forme sur le Tour? « Même s’il était un peu déçu parce qu’il avait loupé une chance de remporter un deuxième Giro, Tom était motivé pour le Tour. Et malgré sa frustration, il est possible que cette bonne performanceluiaitretiréunpeudepression,enpartant sur le Tour sans avoir à se focaliser sur la victoire.»

Il n’y a pas de plan magique. Les coureurs et entraîneurs interrogés s’entendent sur le même protocole: quelques jours de repos sans vélo, reprise en douceur, séjour en altitude, retour progressif aux intensités et, éventuellement, une course test. Si certains estiment que le Giro provoque une perte de capacité à atteindre son potentiel, d’autres estiment que ce n’est pas inéluctable: « Si vous procédez de la bonne manière, affirme Helmantel, il n’y a aucune raison de subir un déficit de puissance. »

L’idéal est de revenir d’Italie pas trop entamé. « Si on finit complètement mort, le Tour va être compliqué, explique Vincent Terrier, entraîneur de Simon Geschke, 14e du Giro, qui tente son troisième doublé cette année. On a des marqueurs pour évaluer la fatigue. On réalise des prélèvements sanguins et on observe le taux de fer, ou les hormones, pour vérifier qu’on n’est pas en train de “crasher” le coureur et pour voir s’il récupère bien.» «À la dernière étape, explique Geschke, je n’étais pas cramé. J’étais motivé pour le Tour et c’était un bon signe. Le Giro ne m’a pas paru si long parce que j’y étais plutôt pas mal. J’ai aimé et mentalement, c’est important. »


Ensuite, surtout ne rien faire. « En 2022, j’avais coupé une semaine, se souvient Martin. Je me rappelle la sortie de reprise, où je me sentais déjà très fort après trois semaines de Giro puis une semaine de jus, avec la surcompensation qui survient. Et dix jours après, je partais en stage une dizaine de jours en montagne. J’ai aussi fait une course, le Mont Ventoux Dénivelé Challenge. Je manquais un peu d’intensité mais j’étais dans le jeu (5e). En termes d’entraînement, on ne sacrifie rien à faire le doublé. » Au point qu’à 31 ans il envisage même de retenter sa chance avant la fin de sa carrière.

«C’est toujours la tête qui décide», disait à L’Équipe Thibaut Pinot, 5e du Giro l’an dernier, puis 11e du Tour. Et la tête, ce n’est pas que la dimension psychologique. Le coureur subit aussi une fatigue dite «centrale», neuromusculaire, qui encrasse la boucle cerveau-muscles.

Julien Pinot, son frère et ancien entraîneur, estime qu’il faut attaquer le Giro assez frais, en prévision du Tour, et «concevoir un plan clair sur les douze mois dès le début de saison, avec un programme allégé. C’est ce qu’afaitPogacarcettesaison.En2023, l’objectif premier de Thibaut était le Giro avec le Tour en plan B. Après un grand Tour, le cerveau est programmé pour trois semaines et on subit une décompression. Ensuite, il y a une phase de rebond, le corps a surcompensé et on se sent très bien. Ça corrobore ce que dit Pogacar ces jours-ci ou ce qu’on a vu de van der Poel au Mondial l’an dernier, deux semaines après un Tour très bien contrôlé. Et ensuite, on reprend l’entraînement. Thibaut n’avait pas eu besoin de beaucoup retravailler avant le Tour, juste une semaine en montagne. »

Pour l’actuel responsable de la direction entraînement de Groupama-FDJ, il est nécessaire « d’accepter ces trois phases, mentalement. On peut mesurer la fatigue centrale par des questionnaires sur le ressenti, sur l’humeur. Des bilans sanguins ne sont pas toujours fiables. Il y a aussi des capteurs qui mesurent le sommeil, ou la variabilité de la fréquence cardiaque, qui peuvent donner des indices.»

Pour contrer l’épuisement, Geschke peut voir sa femme et son chien tous les jours parce que ce séjour en altitude, il le passe à côté de chez lui, à Fribourg, dans un hôtel où il a investi, équipé en chambres hypoxiques. L’idée est de vivre et dormir à une altitude simulée et de rouler en bas, sur ses routes d’entraînement habituelles. « L’altitude réelle présente plein d’avantages parce qu’on monte des cols, détaille son entraîneur. Mais avec l’altitude simulée, on module nous-mêmes à quelle altitude il va dormir. Et on gagne du temps à ne pas descendre et remonter en haut de la station, c’est de la fatigue évitée. » « Certains s’en foutent de rester loin de chez eux toute la saison, explique Geschke. Ma stratégie est de rester à la maison le plus possible entre chaque course. Ça me procure une vraie récupération du cerveau. »

Pogacar tente lui aussi l’exploit de deux victoires avec cette stratégie classique: une semaine de repos total et trois semaines d’entraînement. Son équipe a planifié le projet Giro-Tour depuis l’hiver dernier et ralenti les cadences: ce matin, le vainqueur des Strade Bianche et de Liège-BastogneLiège ne compte que 31 jours de course en 2024, dont dix avant le Giro.

Question bonus: pour un glouton, le triplé Giro-Tour-Vuelta est-il possible? «C’est strictement théorique, répond Helmantel: si on peut gagner le Tour, on peut gagner les trois. Mais pour Pogačar, c’est risqué pour le reste de sa saison de puiser aussi profond. Il a aussi des ambitions aux Jeux Olympiques ou au Championnat du monde.»


7 - Le nombre de coureurs ayant déjà réalisé le doublé Giro-Tour de France. Il s’agit de Fausto Coppi (ITA) en 1949 et 1952, Jacques Anquetil (FRA) en 1964, Eddy Merckx (BEL) en 1970 et 1972, Bernard Hinault (FRA) en 1982 et 1985, Stephen Roche (IRL) en 1987, Miguel Indurain (ESP) en 1992 et 1993 et Marco Pantani (ITA) en 1998.

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