Tour de France : face à Pogacar, le peloton s’élance dans un contre-le-monstre


Alors que le Tour s’élance depuis Florence ce samedi, le coureur slovène et sa formation,
UAE Emirates, se présentent comme grandissimes favoris dans un groupe marqué par les chutes du début de saison et par les doutes.

29 Jun 2024 - Libération
Par QUENTIN GIRARD Envoyé spécial sur le Tour

Flèche wallonne, 1994. Dans cette classique belge, connue pour sa grisaille et son mur de Huy spectaculaire, trois hommes, Moreno Argentin, Giorgio Furlan et Evgueni Berzin s’échappent bien avant l’ascension décisive. Problème, ils appartiennent à la même équipe, la Gewiss-Ballan, et signent un triplé historique. Les images d’Argentin et Furlan passant tranquillement la ligne à la queue leu leu laissent un drôle de goût. Leur docteur, le fameux Michele Ferrari, lui, est satisfait : il compare l’EPO, que tout le monde n’utilise pas encore, à du jus d’orange et souligne surtout la qualité des nouvelles roues…

Tour de Suisse, début juin, une course prestigieuse. Lors de la cinquième étape, Adam Yates s’impose, suivi cinq secondes plus tard de Joao Almeida. Les deux grimpeurs sont dans la même équipe, UAE Team Emirates, celle de Tadej Pogacar. Le lendemain, rebelote, dans l’autre sens. Deux jours après, nouveau doublé. Pour le contre-lamontre, encore un et deux. Le quatre à la suite, comme une partie de Questions pour un champion qui se terminerait par un 12-0.

C’est le problème des images. Différents lieux, différents personnages, trente ans d’écart, et pourtant, elles se superposent. Et elles se collent si bien l’une à l’autre sur la rétine que, même avec toute la foi de charbonnier du monde, on peine à les distinguer. Depuis quelques saisons et particulièrement le début de celle en cours, les exploits de quelques-uns laissent les autres au bord de la route.

Superlatifs. A ce petit jeu, Tadej Pogacar, double vainqueur du Tour, est le plus fort. Profitant de la méforme de ses adversaires principaux, dont le vainqueur sortant Jonas Vingegaard qui se remet d’une violente chute, il se présente en grandissime favori au grand départ du Tour 2024, ce samedi à Florence. Aux Strade Bianche, début mars, le Slovène s’est envolé à 81 kilomètres de l’arrivée. A Liège-BastogneLiège, un monument, il s’est aussi imposé en solitaire, tandis qu’au Giro, il a remporté six étapes (!) et le général avec près de dix minutes d’avance sur le deuxième (!!). A 25 ans, il ne se départit jamais de son sourire sympathique, de ses mèches folles et de sa bouille d’ange, mais il est, littéralement, un ogre. Avec son équipe de cadors (Yates, Almeida, Ayuso…), il nous fait penser à Max et les maximonstres, prêts à multiplier les mauvaises farces pour le plaisir de la blague. Son Covid attrapé récemment ne lui fait pas peur. Il faut voir et écouter ce que les autres disent de lui. Thomas Pidcock, pas le dernier des zouaves, dans l’émotion de l’arrivée et de sa quatrième place aux Strade Bianche : «Avant déjà, nous allions pleins gaz. [Pogacar] a attaqué, et pour être honnête, nous avions l’impression d’être dans le gruppetto. Il n’y avait plus que des cadavres partout.» On note, depuis que l’on suit la grand-messe ASO, la ribambelle de superlatifs employés par les coureurs pour qualifier les exploits de Pogacar, Vingegaard et consorts. Mais, la mort, ça c’est nouveau. Le même Pidcock s’est amusé à imiter l’accélération d’une moto, à Roubaix, quelques semaines plus tard, quand il fut surpassé par Mathieu Van der Poel, autre extraterrestre qui, s’il s’était lesté de pavés dans sa musette, aurait sûrement quand même gagné. Dans la retraite de Thibaut Pinot ou dans celle annoncée de Romain Bardet, on ne peut s’empêcher aussi de voir une forme de renoncement face à un milieu qui a changé trop vite. Le second a lâché à l’Equipe : «J’ai tout essayé, je ne sais pas ce que je peux en attendre de plus de toute façon. J’ai atteint mon plafond.»

Autour de ces anomalies bruissent les agacements comme une terre assoiffée qui se craquelle. Plus la personne est loin de la source d’eau, ancien médecin, coureur, directeur sportif, plus elle ose partager ses doutes, sans apporter aucune preuve certaine, de dopage mécanique, génétique ou autre. De temps en temps, un sousfifre se fait attraper. Andrea Piccolo, 23 ans, s’est fait licencier la semaine dernière par son équipe EF Education-EasyPost pour avoir transporté des hormones de croissance. Récemment le journal suisse le Temps a révélé que le tapentadol, un opioïde «dix fois plus puissant que le tramadol», inquiétait le peloton.

Déchu. A l’inverse, plus les acteurs sont au centre du jeu, plus ils rivalisent d’explications pour relativiser les performances extraordinaires (la nutrition, le sommeil, le matériel, le suivi scientifique des coureurs…). Mauro Gianetti, le manager général d’UAE, est le monsieur Loyal par excellence. En 1994, il était coureur pro, pour la Mapei. La formation a donné au vélo le plus beau des maillots, quelques souvenirs troubles et aussi deux triplés, à Roubaix, en 1996 et 1998. Ah, les années folles.

Rien à voir, évidemment. Beaucoup en sont persuadés. Prenez Wout Van Aert, un autre phénomène. Dans la saison 2 du documentaire Netflix sur le Tour, il dit, pour défendre son coéquipier Jonas Vingegaard : «J’espère qu’un jour dans le futur, les gens oublieront l’histoire du cyclisme et feront vraiment confiance aux athlètes de cette génération.»

De toute façon, la Grande Boucle pardonne toujours. Le dopage fait partie intégrante de sa mythologie. Ce dimanche, les coureurs s’élanceront de Cesenatico, le fief de Marco Pantani, mort il y a vingt ans d’une overdose dans une chambre d’hôtel à Rimini… ville arrivée de la première étape. Une panthéonisation qui aurait bien fait sourire ce déchu, qui paya plus que les autres les turpitudes de son époque. Il aurait probablement adoré le style de Pogacar. Tiens d’ailleurs, si le Slovène remporte l’épreuve, il réalisera un doublé Giro-Tour réputé presque impossible depuis 1998 et… Marco Pantani. 

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